Carlos Ghosn reste en prison : le tribunal de Tokyo a approuvé vendredi la prolongation de la garde à vue du tout-puissant patron arrêté le 19 novembre à Tokyo dans le cadre d'une affaire de dissimulation de revenus au retentissement mondial. "Un délai supplémentaire de dix jours a été décidé" à la requête du parquet, a indiqué un porte-parole du tribunal dans une brève déclaration transmise aux médias - une procédure d'extension courante dans le système judiciaire japonais.
Nouveau rendez-vous le 10 décembre : d'ici à cette date, les procureurs doivent décider de libérer sans charges le dirigeant de 64 ans ou de l'inculper. S'il est effectivement mis en examen, il pourrait être placé en détention provisoire ou bien relâché sous caution.
A ce stade, celui qui est toujours patron de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors est soupçonné d'avoir minimisé ses revenus chez Nissan d'un milliard de yens par an (7,7 millions d'euros) sur la période d'avril 2010 à mars 2015, dans des documents publics remis par la société aux autorités financières japonaises. Or selon une source proche du dossier interrogée par l'AFP, l'enquête montre que cette situation a débuté dès 2009 et perdurait encore l'an dernier. Les investigations pourraient donc théoriquement être étendues à d'autres années, ou à d'autres motifs, Nissan reprochant à son ancien sauveur d'avoir commis des abus de biens sociaux, tels que l'usage de résidences de luxe aux frais de la compagnie. Dans ce cas, M. Ghosn, qui nie toute malversation, pourrait être de nouveau interpellé et le processus se répéter.
Face à certaines critiques à l'étranger, en particulier en France, sur la longueur et les conditions de détention, le parquet s'est défendu. "Chaque pays a sa propre histoire, sa propre tradition, ses propres systèmes judiciaires. Je ne critique pas les règles des autres pays juste parce qu'elles sont différentes, et je trouve cela malvenu de le faire", a déclaré Shin Kukimoto, procureur adjoint de Tokyo, à l'occasion d'une conférence de presse jeudi. "Nous ne gardons pas les suspects en garde en vue prolongée si ce n'est pas nécessaire", a-t-il martelé.
Loin de son style de vie fastueux, le Franco-Libano-Brésilien séjourne à présent dans une cellule d'un établissement pénitentiaire du nord de Tokyo. Ses avocats ne peuvent assister aux auditions et les visites sont très limitées.
(Lire aussi : Ghosn a minoré une partie de ses revenus en connaissance de cause, selon une source proche du dossier)
Trois hommes pour une alliance
Sur le terrain automobile, les conseils d'administration de Nissan et Mitsubishi Motors n'ont pas attendu les conclusions de l'enquête pour démettre Carlos Ghosn de la présidence, tandis qu'il reste PDG de Renault et de la coentreprise Renault-Nissan BV sur le papier.
Jeudi, les patrons exécutifs des constructeurs se sont entretenus tous trois par visioconférence pour la première fois depuis l'arrestation de celui qui a bâti une alliance désormais fragilisée. Sans trancher la question de la gouvernance. Le ton se voulait rassurant, les propos sans surprise : ils ont rappelé "leur profond attachement" à cette structure qui domine le marché automobile mondial, avec 10,6 millions de véhicules vendus en 2017.
Interrogé par les médias japonais devant sa résidence tokyoïte, le responsable de Nissan, Hiroto Saikawa, s'est félicité de cet entretien avec ses partenaires, le numéro deux de Renault, Thierry Bolloré, et le PDG de Mitsubishi Motors, Osamu Masuko. En attendant des décisions formelles, "nous avons confirmé que nous dirigerions l'alliance à trois", a-t-il dit aux journalistes. Son homologue de Mitsubishi a tenu le même discours: "jusqu'à présent, une seule personne était aux commandes. Maintenant, nous sommes trois à travailler ensemble. C'est une grosse différence".
Depuis l'arrestation de son ex-mentor, M. Saikawa a dénoncé avec force la concentration des pouvoirs entre les mains de Carlos Ghosn. Des employés et des responsables de Nissan s'exprimant sous couvert d'anonymat, auprès de l'AFP et dans la presse, ont aussi fait état de leur ressentiment face à une alliance jugée déséquilibrée et sous influence de l'Etat français.
Vendredi, en marge du sommet du G20 en Argentine, le président français Emmanuel Macron a souhaité que l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors soit "préservée", lors d'un entretien avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe. "L'échange sur Renault a été succinct, avec simplement le rappel que la procédure judiciaire devait suivre son cours", a fait savoir l'Elysée. "Le président a pour sa part rappelé son attachement à ce que l'alliance soit préservée de même que la stabilité du groupe", a ajouté l'Elysée.
De son côté, Shinzo Abe a souhaité "le maintien d'une relation stable" entre les entreprises des deux pays, qualifiant l'alliance automobile de "symbole de la coopération industrielle entre le Japon et la France", a déclaré à l'agence de presse Kyodo une source au sein des services du Premier ministre. Mais l'avenir du groupe devrait être décidé par "les entreprises" et "les gouvernements ne devraient pas s'engager" sur le fonctionnement futur de l'alliance, a également souligné M. Abe, cité par la même source.
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commentaires (6)
COUP MONTE JAPONAIS. DEJA LES DIFFERENCES AVEC LA GOUVERNEMENT FRANCAIS SUR QUI SERA QUI ONT COMMENCE !
LA LIBRE EXPRESSION
18 h 09, le 30 novembre 2018