Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, s’est entretenu, hier, avec le président du Parlement, Nabih Berry, pour évoquer ce dossier. Photo Flick/Parlement libanais
Pour la première fois depuis le début du long processus cahoteux de formation du gouvernement, la tension sunnito-chiite, latente depuis le début, commence ces jours derniers à se matérialiser dans la rue. Au lendemain de la brève fermeture de l’autoroute du Sud au niveau de Naamé et Jiyé (Chouf), lundi soir, suite aux attaques lancées par l’ancien ministre prosyrien Wi’am Wahhab contre le Premier ministre désigné, Saad Hariri, des manifestants ont tenté hier, à plusieurs reprises, de couper des artères dans Beyrouth même, entre le quartier de Qasqas et Tarik Jdidé, toujours dans le cadre d’une protestation contre les atteintes visant le chef du gouvernement désigné. Pour un œil averti, le timing de la guerre verbale déclenchée par M. Wahhab n’est certainement pas anodin, encore moins dénué de messages qui, de l’avis de nombreuses observateurs, sont « en provenance de l’extérieur » et liés, bien sûr, au fameux « noeud sunnite » qui, sous la direction du Hezbollah, retarde la mise sur pied du cabinet. Survenue à un moment où le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, poursuit ses efforts pour tenter de débloquer la crise provoquée par les députés sunnites anti-haririens qui insistent pour se faire représenter au sein du prochain gouvernement, le lynchage médiatique orchestré par M. Wahhab – connu pour répercuter en priorité le point de vue du régime syrien – ne saurait être compris autrement que sous l’angle des pressions ultimes exercées, directement ou indirectement, par le camp du 8 Mars et, par extension, du camp irano-syrien, pour tenter d’exploiter le processus gouvernemental libanais dans le bras de fer opposant principalement Téhéran à l’Occident, et notamment aux États-Unis.
Ayant choisi de l’attaquer sur des questions personnelles plutôt que politiques liées à la formation du gouvernement – Wi’am Wahhab s’en est pris au Premier ministre l’accusant de tremper dans la corruption et d’œuvrer à « piller le pays ».
Des propos qui ont été considérés par ses partisans comme infâmants, provoquant la colère dans la rue sunnite pro-haririenne. De l’avis d’une source du 8 Mars qui a requis l’anonymat, « la Syrie chercherait ainsi à faire son come-back sur la scène libanaise par messages interposés adressés au Premier ministre ». Selon cette source, l’attaque menée contre le Premier ministre « serait notamment une réaction syrienne au refus de M. Hariri de saluer (le jour des cérémonies officielles de la fête de l’Indépendance le 22 novembre dernier) l’ambassadeur syrien venu à Baabda pour les vœux ».
Cette source, qui écarte la possibilité que M. Wahhab ait été poussé par le Hezbollah, soutient le principe que le parti chiite « n’a aucun intérêt aux mobilisations de la rue, mais a tout intérêt à ce que le gouvernement se mette en place ». Pour preuve, poursuit la source, « Hassan Nasrallah a clairement affirmé, lors d’une réunion interne du haut commandement du parti, que la priorité doit être désormais accordée à la stabilité sur la scène intérieure, maintenant que la situation en Syrie est sous contrôle ».
(Lire aussi : Les sans-gilets, l'éditorial de Issa Goraieb)
S’il n’est pas encore clair dans quelle mesure le message syrien est en symbiose avec celui du Hezbollah, il n’en reste pas moins vrai que le silence observé par le parti chiite après les propos de M. Wahhab en dit long sur l’intérêt qu’il tire d’une nouvelle pression exercée sur le Premier ministre, sans qu’il n’en soit nécessairement l’instigateur. « Le Hezbollah aurait très bien pu faire taire M. Wahhab s’il le voulait réellement », commente une source proche du courant du Futur, qui tient à rappeler que les récentes déclarations de l’ancien ministre ne sont pas nouvelles même si elles se sont intensifiées ces derniers jours, comprendre qu’elles ne sont pas nécessairement liées à « l’incident » de Baabda.
Pour Karim Bitar, politologue, le coup de gueule de M. Wahhab « est à prendre au sérieux ». « Au-delà de ses excès, ses propos reflètent très souvent une tendance de fond, à savoir que l’impasse gouvernementale dépasse de loin les questions de rivalités internes ». Le problème aurait été réglé « en un clin d’œil s’il y avait un modus vivendi entre les puissances régionales qui continuent à se livrer à des guerres par procuration au Liban », commente M. Bitar.
En soirée, le bloc parlementaire du courant du Futur a répondu aux détracteurs de M. Hariri. « Ces atteintes (contre Saad Hariri) s’inscrivent dans le cadre de campagnes connues par les Libanais depuis le milieu des années 1990 et qui émanent de cerveaux malades qui veulent éradiquer la famille Hariri du paysage politique libanais », a estimé le bloc à l’issue de sa réunion hebdomadaire.
Wi’am Wahhab, qui est clairement visé par le communiqué du bloc du Futur, n’a pas tardé à répondre : « Vous êtes les porte-voix de location, et Saad Hariri est votre porte-voix, mais il est muet », a-t-il lancé.
(Lire aussi : Aoun prend l’initiative en vue d’un déblocage du nœud sunnite)
La médiation de Bassil
Toutefois, pour une source proche du Futur, les incidents récurrents dans la rue sunnite « ne sont rien d’autre qu’un simple défouloir qui fera long feu ».
En attendant que la colère se tasse, la médiation entamée il y a quelque temps par M. Bassil s’est poursuivie hier sur la base d’une formule ambiguë consistant en deux négations qui se résument comme suit :
Il s’agit de rejeter à la fois « tout veto contre le droit de quiconque de participer au gouvernement s’il le mérite » et « toute injonction contraire à la volonté du Premier ministre ».
Ce serait l’équation dont seraient convenus M. Bassil avec le chef du Parlement, Nabih Berry, avec lequel il s’est entretenu hier à Aïn el-Tiné. Le chef du CPL a présenté au président de la Chambre trois idées pouvant aboutir à une solution et dont la teneur est restée confidentielle. C’est ce qui fera dire à une source proche du courant du Futur que dans les milieux haririens, « on n’arrive toujours pas à comprendre quelles sont exactement les propositions de M. Bassil, qui se confine à ce jour à des généralités ».
La source nuance cependant les informations de presse selon lesquelles M. Hariri aurait « refusé » de recevoir les six députés sunnites qui réclament de se réunir avec lui depuis le début de la crise, soulignant que le Premier ministre « n’a pas officiellement exprimé ce refus. La porte est encore entrouverte », souligne la source.
M. Bassil, qui a rappelé hier encore que la crise n’est pas liée à des considérations régionales, a souligné par la même occasion que le CPL ne faisait pas partie du problème qui empêche la naissance du gouvernement et qu’il ne fait qu’intercéder auprès des parties concernées, c’est-à-dire M. Hariri et les députés sunnites qui lui sont opposés.
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commentaires (7)
Un ministère de technocrates et basta comme on dit en Italien. Il y a eu en 20011 en Italie
Eleni Caridopoulou
20 h 21, le 28 novembre 2018