Saad Hariri, hier, à la Maison du Centre. Photo Dalati et Nohra
L’immobilisme restait hier le maître-mot dans le processus de formation du nouveau gouvernement alors que les tractations entreront bientôt dans leur septième mois. Un nouveau round de concertations est prévu cette semaine entre les différentes parties prenantes pour tenter de mettre fin au blocage, mais aucune solution ne semble poindre pour l’instant à l’horizon, chacun campant sur ses positions : les députés sunnites de la Rencontre consultative sunnite (proches du régime Assad et activement soutenus par le Hezbollah), qui revendiquent leur droit à intégrer le gouvernement, demandent toujours à être formellement reçus par le Premier ministre désigné Saad Hariri. Ils ont demandé une audience sans obtenir de réponse.
Or M. Hariri refuse toujours catégoriquement de recevoir ces parlementaires, y voyant une tentative de l’axe Damas-Téhéran de s’ancrer politiquement au sein de la communauté sunnite en créant un contrepoids à son leadership au sein des institutions. Une valse de concertations se poursuivrait cependant loin des feux de la rampe pour convaincre le Premier ministre désigné de recevoir ces députés ne serait-ce que formellement, tout en leur répétant sa position hostile quant à leur entrée au gouvernement.
Solidaire de M. Hariri – son allié au sein du « compromis présidentiel » établi depuis 2016 et qu’il souhaite préserver en tant que « Premier ministre fort » et représentatif pour la suite de son mandat – le président de la République, Michel Aoun, veille aussi tant bien que mal à adopter une position d’arbitre entre les belligérants. En fait, les deux hommes se retrouvent principalement, chacun pour des raisons propres à lui, sur le refus d’intégrer dans sa quote-part un éventuel ministre sunnite du 8 Mars : le chef de l’État pour se réserver le tiers de blocage qui, dans le cas où il accepterait le principe de la représentation d’un de ces sunnites, se retrouverait alors sous le bon vouloir du Hezbollah ; le Premier ministre désigné parce qu’il ne saurait tolérer la présence de « chevaux de Troie » de l’axe Damas-Téhéran parmi ses ministres.
Initiée à la demande du chef de l’État, la médiation du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil visant à rapprocher les deux parties devrait entrer incessamment dans sa deuxième phase, selon les milieux proches du palais présidentiel, qui soulignent que la médiation n’est pas terminée « même si elle se trouve en difficulté ». Baabda refuse toujours de tirer pour l’heure un constat d’échec de cette dynamique, « d’autant qu’il n’existe pas d’autre démarche pour tenter de rapprocher les points de vue ».
(Lire aussi : Le cadeau du Hezbollah pour Noël... un cabinet ?)
Aoun et le jugement de Salomon
« Nous en sommes arrivés à une crise de formation du gouvernement qui a pris de l’ampleur », a ainsi reconnu avec gravité Michel Aoun samedi devant ses hôtes à Baabda. Se référant au premier livre des rois dans l’Ancien Testament, M. Aoun a comparé la situation à l’histoire du jugement de Salomon, en l’occurrence le différend qui aurait opposé deux femmes ayant chacune mis au monde un enfant, mais dont l’un était mort étouffé et qui se disputaient l’enfant survivant. Pour régler ce désaccord, Salomon avait réclamé une épée et ordonné de partager l’enfant vivant en deux pour en donner à chacune des deux femmes. L’une des femmes déclara aussitôt qu’elle préférait renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir. La ruse de Salomon avait poussé la véritable mère de l’enfant à crier son empathie et à se révéler. Il lui donna le nourrisson et sauva ainsi la vie de l’enfant.
« Nous voulons savoir qui est la mère du Liban pour lui donner le pays », a conclu Michel Aoun devant ses visiteurs. Des sources proches du palais présidentiel citées par l’agence al-Markaziya indiquent que le chef de l’État a voulu laisser entendre que le processus de formation du gouvernement avait pris trop de temps et que ses répercussions négatives commencent désormais à affecter la situation et la réputation du Liban.
(Lire aussi : Gouvernement : la médiation de Bassil menacée d’enlisement)
La réponse de Karamé
Cependant, le Hezbollah n’aurait pas apprécié la métaphore du chef de l’État, y voyant une allusion à son agenda propre et à son alliance avec l’Iran. Si bien que le président s’est attiré samedi la réponse de l’un des six parlementaires sunnites antihaririens, Fayçal Karamé. « Nous cherchons la mère… mais aussi Salomon ! » a-t-il dit, dans une volonté manifeste de remettre en cause la capacité de Michel Aoun à jouer un rôle d’arbitre.
Qu’à cela ne tienne, Gebran Bassil a de nouveau veillé, dans la foulée du président Aoun, à se démarquer samedi des différentes parties en résumant la situation à sa façon : « Malheureusement, deux tendances gouvernent le pays, l’une consiste à vouloir imposer et l’autre à monopoliser. Elles ne ressemblent pas au Liban et ne peuvent le briser. Lorsqu’elles nous contrôlent, le pays, son économie et ses gens en pâtissent. » « Les deux parties portent atteinte à leurs gens, a dit M. Bassil, appelant à la collaboration et à l’entente sur les bases de la justice », a-t-il ajouté, au cours d’une cérémonie à Batroun, précisant que « le gouvernement allait voir le jour en dépit de tout, ce qui sera du reste tout à fait naturel si les critères d’une représentation juste sont adoptés ».
Dans le même ordre d’idées, le ministre sortant de l’Énergie César Abi Khalil, proche de M. Bassil, a appelé dans un entretien à La Voix du Liban Saad Hariri « à reconnaître l’existence de ceux qui ont une présence politique » et les députés sunnites dits « indépendants » « à régler la question de leur légitimité politique », en l’occurrence le fait qu’ils ne constituent pas un bloc parlementaire homogène (ces derniers avaient d’abord intégré d’autres groupes parlementaires sans en former un entre eux, ce qui leur ôterait en principe, sur le plan formel, le droit à une représentation au gouvernement).
(Lire aussi : Nœud sunnite : Bassil renvoie la balle dans le camp de Hariri)
Le Hezbollah intraitable
Par le biais de ses cadres supérieurs, le Hezbollah s’est montré intraitable durant le week-end sur la question de la représentation des six députés sunnites. Le chef du groupe parlementaire de la Fidélité à la résistance, le député Mohammad Raad, a ainsi affirmé samedi que « ceux qui ont été élus par les fils de la communauté sunnite et qui représentent une large fraction de cette dernière (…) ont le droit d’être représentés au gouvernement sans que ce ne soit une faveur accordée par quiconque ». « Nul ne peut les outrepasser », a-t-il indiqué. « Nous souhaitons que le gouvernement soit formé au plus vite. Il s’agit d’une question de bonnes intentions, pas de petits comptes, parce que si nous devions faire des comptes en matière de représentation, ils seraient aux dépens des parties qui n’acceptent pas que ces derniers soient représentés », a ajouté M. Raad, sous-entendant que le camp politique représenté par M. Hariri avait échoué face à celui du Hezbollah lors des dernières élections.
« La crise gouvernementale gagne en ampleur parce que le Premier ministre désigné refuse de reconnaître les résultats des élections législatives », a indiqué pour sa part le cheikh Nabil Kaouk, membre du conseil central du Hezbollah. « La crise se poursuivra » aussi longtemps que Saad Hariri continuera d’avoir des œillères, a-t-il souligné, en substance, en renvoyant la balle dans le camp de ce dernier.
(Lire aussi : Gouvernement : entre « invention de blocages » et crispations communautaires, l’horizon reste bouché)
Hariri optimiste malgré tout
En dépit de tout cela, le Premier ministre désigné s’est montré optimiste hier quant à la formation du futur gouvernement, appelant les différentes parties à « se concentrer sur ce qui nous rassemble ». « Au bout du compte, je suis certain que nous trouverons une solution et nous devons le faire », a lancé Saad Hariri lors d’un discours prononcé lors d’une cérémonie à la Maison du Centre. « Tout le monde doit être conscient du fait que c’est la Constitution qui nous rassemble. Peu de choses nous divisent et nous devons nous concentrer sur ce qui nous rassemble », s’est-il contenté de dire.
Mais quelles sont les véritables possibilités d’obtenir un déblocage interne d’une situation qui est de surcroît inextricablement liée à la confrontation en cours entre les États-Unis et l’Iran avec l’imposition des sanctions contre Téhéran et ses auxiliaires ? Une source souverainiste indique à L’Orient-Le Jour que l’Iran chercherait en fait à rappeler aux deux pôles de l’exécutif qu’il est le maître sur le terrain tout en utilisant la carte libanaise, à travers le blocage institutionnel, afin d’opérer un marchandage avec la communauté internationale sur le dossier des sanctions.
Selon une source proche des milieux haririens, il y aurait trois possibilités de déblocage : un recul du Hezbollah, qui semble pour l’heure inenvisageable ; une concession du chef de l’État qui accepterait de sacrifier le tiers de blocage en prenant dans sa quote-part le ministre sunnite proche du Hezbollah, ce que Michel Aoun continue de refuser ; ou un désistement du Premier ministre désigné face à un fait accompli qu’il ne saurait accepter, ce qui pour l’heure n’est pas à l’ordre du jour. À l’heure où les mises en garde contre un effondrement économique ne cessent de se multiplier, la lumière au bout du tunnel reste plus que jamais indicible.
Lire aussi
Aoun à la veille de l'Indépendance : Une "nation indépendante signifie une liberté de décision"
Un « nœud interne » peut cacher un grand conflit..., le décryptage de Scarlett HADDAD
Trump à Aoun et Hariri : Nous attendons de travailler avec le nouveau gouvernement
Gouvernement : un nœud, trois phases et beaucoup de complications..., le décryptage de Scarlett HADDAD
Gouvernement : le Hezbollah accentue les pressions « sunnites » sur Hariri
Médiation gouvernementale : le « Bassil nouveau » est arrivé !, le décryptage de Scarlett Haddad
L’immobilisme restait hier le maître-mot dans le processus de formation du nouveau gouvernement alors que les tractations entreront bientôt dans leur septième mois. Un nouveau round de concertations est prévu cette semaine entre les différentes parties prenantes pour tenter de mettre fin au blocage, mais aucune solution ne semble poindre pour l’instant à l’horizon, chacun campant sur...
commentaires (14)
Un gouvernement de 12 expert loin des partis et voila on économise en salaires et en temps perdus .Aucun pays européen n'a 30 ministres
Mona Joujou Dfouni
16 h 27, le 26 novembre 2018