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Les sans-gilets

C’est en pulvérisant une vieille équation politique que l’on croyait immuable, c’est en renvoyant dos à dos la gauche et la droite et en ratissant large des deux côtés de la barrière, qu’Emmanuel Macron s’était fait élire président. La leçon n’a pas été perdue pour tout le monde. Car c’est bien en court-circuitant à leur tour les traditionnelles organisations syndicales, en lançant une fronde qui transcendait largement les appartenances sociopolitiques des Français, que les gilets jaunes viennent d’imposer un sérieux ralentissement à la République en marche.

En un temps record, et en dépit de son manque évident d’organisation et de structuration, ce mouvement anti-impôts a fait tache d’huile. Mais non moins vite, et conformément au classique processus, il s’est trouvé en butte à deux vicieuses formes d’infiltration, redoutables sources de discrédit : les tentatives de récupération déployées par plus d’un parti et l’entrée en scène des casseurs. Outre de nombreux Français, des millions de personnes de par le monde auront ainsi frémi au spectacle des actes de vandalisme commis sur les Champs-Élysées, à Paris.

Bien plus grave cependant que ces outrages infligés à la plus belle et plus célèbre avenue de la planète est le tort considérable que toutes ces routes bloquées et ces désordres auront porté aux grands et petits commerces : autant dire à la santé économique de la France. Voilà qui n’aidera sans doute pas à satisfaire l’exigence d’un meilleur pouvoir d’achat brandie par les manifestants, qui ont bien mal accueilli la promesse, faite hier par l’Élysée, d’une grande concertation sur la transition écologique et sociale appelée à se tenir dans les trois prochains mois.

Toujours est-il que par la spontanéité même de leur éclosion à la manière des champignons, ces peu esthétiques mais hautement visibles survêtements ont pu faire rêver nombre de Libanais. Révoltés contre la vie de chien que leur réserve un État indigne (pas de courant électrique, pas d’eau mais en revanche des montagnes d’ordures au grand air !), ils sont, dans le même temps, déçus par le score modeste qu’affiche une société civile encline à l’essoufflement. Outre les brutalités policières, ceux et celles qui, sans gilet de reconnaissance, sont descendus dans la rue ont pourtant eu affaire aux manœuvres de récupération, au noyautage, aux casseurs et incendiaires infiltrés dans leurs rangs. Pire encore – et cela ne peut arriver qu’au Liban –, on a vu des caïds politiques envoyer leurs brutes encagoulées casser… du manifestant.

C’est néanmoins aux dirigeants eux-mêmes que revient, en définitive, la palme de la casse. Ils ont démonté les institutions pour assouvir leurs appétits de pouvoir. Ils n’ont cessé de nous casser les pieds en parlant de réformes, et c’est précisément le rêve d’un État de droit, d’un État des institutions délivré du cancer de la corruption, qu’ils s’acharnent à mettre en miettes.

Avec ces virtuoses du gâchis installés aux commandes sur fond de vide gouvernemental et de crise économique, quel besoin encore de casseurs ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est en pulvérisant une vieille équation politique que l’on croyait immuable, c’est en renvoyant dos à dos la gauche et la droite et en ratissant large des deux côtés de la barrière, qu’Emmanuel Macron s’était fait élire président. La leçon n’a pas été perdue pour tout le monde. Car c’est bien en court-circuitant à leur tour les traditionnelles organisations...