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Culture - Bande dessinée

Riad Sattouf a toujours mal à son Arabe

Le quatrième tome de « L’Arabe du futur» (Allary éditions, 280 pages) se dévore littéralement.

« Tu es un Arabe avant tout », lance le papa de Riad à son fils ballotté entre deux identités.

Oui : on peut, à la première lecture de L’Arabe du futur, le détester. Ou plutôt se forcer à le détester. Le monde arabe dépeint par Riad Sattouf est sordide et malsain : il est essentiellement fait de violence et de laideur, de superstitions et d’hypocrisies. Était-ce cela la réalité de la Libye et de la Syrie dans les années 1970-1980 ? Est-ce encore cela la réalité de ces deux pays aujourd’hui et, plus généralement, de toute cette région ? La lecture dérange. Elle est même douloureuse, tant l’auteur est doué pour décrire cette partie du monde telle qu’elle était, du moins dans ses souvenirs, et non telle qu’on aurait voulu qu’elle soit.

Sauf que le talent de Riad Sattouf balaye les états d’âme. À la relecture du premier tome puis des deux suivants avec délectation, avant que le quatrième, paru fin septembre, ne soit littéralement dévoré. On y retrouve tout ce qui a fait le succès de la série (plus de 1,5 million d’exemplaires vendus, traduit en 22 langues – mais toujours pas en arabe) : beaucoup d’humour, bien que jamais forcé, une narration de l’enfance et de l’adolescence dans ce qu’ils ont de plus tendre et de plus cruel et, enfin, un aller-retour constant entre deux mondes et deux identités au milieu desquels le petit Riad est baladé sans jamais réussir à trouver complètement sa place. Le lecteur libanais aura une nouvelle fois l’impression de lire une partie de sa propre histoire, d’autant plus si celle-ci s’est déroulée entre Beyrouth et Paris.

Le quatrième tome est plus épais que les précédents (280 pages). Plus sombre aussi, malgré les rictus et même les fous rires que suscitent la majorité des scènes. Le petit ange aux boucles d’or est devenu un adolescent au physique ingrat, moqué par ses camarades de classe en Bretagne, qui l’appellent

« Sattouf, mattouf, tattouf ». Le père, clairement le personnage le plus important de la série, a changé. Son fils aîné, qui lui vouait une sorte d’admiration, ne le regarde en tout cas plus de la même manière. Les disputes entre sa mère bretonne et son père syrien deviennent de plus en plus courantes : leurs mondes ne font pas que s’éloigner, ils s’entrechoquent.

Dans les trois premiers tomes, Abdel Razek Sattouf était attachant, malgré ses diatribes racistes, ses comportements immatures et sa bêtise crasse. Dans le dernier numéro, il est devenu gênant, pour sa famille comme pour le lecteur, se transformant au fil de l’aventure en une caricature de lui-même. Au respect qu’il voue à Hafez el-Assad, à l’idolâtrie qu’il porte à Saddam Hussein – il n’est pas à une contradiction près –, il ajoute désormais une dérive vers le fondamentalisme islamique qui l’amène à distribuer, au gré de ses humeurs, des certificats de mécréance... Son passage en Arabie saoudite a fini de le former en matière de radicalisation politique.


(Lire aussi : Premier essai dans l’animation pour Riad Sattouf avec « Les Cahiers d’Esther » sur Canal+)


Hergé/Sattouf

Le personnage de Abdel Razek Sattouf raconte l’histoire sombre du monde arabe de ces dernières décennies : ce sentiment d’orgueil et en même temps d’humiliation vis-à-vis des Occidentaux, cette haine des juifs accusés – depuis la création d’Israël – d’être à l’origine de tous les maux de la région, cette attirance pour la modernité qui se fracasse au quotidien sur le mur des traditions, cette violence subie et tout de suite redistribuée comme si c’était le seul moyen d’expression possible. Un monde façonné par les dictateurs au nom du panarabisme ou par les islamistes au nom d’Allah, qui revendiquent chacun la primauté de leur lutte contre l’impérialisme américain et contre l’ennemi sioniste.

Comme tout dictateur qui se respecte, le père de Riad va faire son coup d’État. Et comme tout coup d’État qui se respecte, il est aussi inattendu que révoltant. Cet épilogue est la raison d’être de ce quatrième tome. Peut-être même de toute la série, si l’on en croit les propos de l’auteur, qui avoue ne jamais avoir raconté cette histoire auparavant.

Il y a du Hergé chez Riad Sattouf. Ce dernier ne cache d’ailleurs pas son admiration pour l’auteur de Tintin. À l’instar du génie belge, il décrit un monde complexe et cruel avec tendresse, humour et simplicité. Il touche le nerf sans pour autant porter de jugement. Il dérange, car il fait le choix de ne pas filtrer la réalité de ses personnages – de son grand-père breton homophobe à sa cousine syrienne complotiste –, de ne pas romancer une histoire qui n’a pas grand-chose de romantique, mais qui n’en reste pas moins incroyablement drôle et touchante.

L’Arabe du futur 4 n’est ni un livre d’histoire ni une étude sociologique. C’est le regard terriblement personnel, et parfois caricatural – ce qu’encourage le format de la bande dessinée –, d’un jeune adolescent sur une époque et sur les sociétés dans lesquelles il vit. À 40 ans, Riad Sattouf n’a pas complètement tourné la page de cette adolescence – si tant est qu’il soit possible de le faire. En découle un récit à la fois perturbant et innocent, et un rapport avec le monde arabe qui semble toujours aussi douloureux.


Pour mémoire

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Oui : on peut, à la première lecture de L’Arabe du futur, le détester. Ou plutôt se forcer à le détester. Le monde arabe dépeint par Riad Sattouf est sordide et malsain : il est essentiellement fait de violence et de laideur, de superstitions et d’hypocrisies. Était-ce cela la réalité de la Libye et de la Syrie dans les années 1970-1980 ? Est-ce encore cela la réalité...

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