Le Premier ministre libanais désigné, Saad Hariri, a directement accusé mardi le Hezbollah de bloquer la formation du gouvernement en utilisant la question de la représentation des sunnites pro-8 Mars élus à l'issue des législatives de mai dernier, affirmant qu'il était le "père" des sunnites libanais et qu'il ne modifiera pas la composition de son cabinet.
"Il y a une vérité : la formation du gouvernement fait face à un obstacle. Certains l'appellent le nœud des six députés sunnites. En fait, il est beaucoup plus grand que cela. Hassan Nasrallah l'a clairement dit : le Hezbollah a décidé de bloquer la formation du gouvernement. Cela me déçoit profondément. Je ne pensais pas que le Hezbollah allait œuvrer contre moi et le chef de l'Etat", a déclaré M. Hariri lors d'une conférence de presse à la Maison du Centre, sa résidence beyrouthine, en présence de l'ensemble des députés du bloc parlementaire du courant et des anciens députés de la formation politique.
Il y a quelques jours, alors que la formation du nouveau gouvernement semblait imminente, le Hezbollah a apporté son soutien actif à la demande des députés sunnites du 8 Mars d'être représentés au gouvernement par un ministère. Cela avait mis un terme aux espoirs de déblocage. Cette revendication est catégoriquement rejetée par Saad Hariri, qui a reçu sur ce point le soutien tacite du chef de l'Etat, Michel Aoun. Samedi, le leader du parti chiite a réaffirmé dans un discours son exigence d'attribuer un ministère aux députés sunnites anti-haririens.
"Ce n'est pas au Hezbollah de me dire comment telle ou telle partie devrait être représentée", a répondu mardi M. Hariri.
"Je suis le père des sunnites"
"J'ai été clair depuis le départ et j'ai expliqué au Hezbollah que j'étais définitivement contre l'attribution d'un portefeuille aux sunnites pro-8 Mars", a affirmé le Premier ministre désigné. "Si vous étiez vraiment attachés à la représentation des six sunnites, pourquoi refusez-vous d'en nommer un, ou n'avez-vous pas désigné l'un d'eux comme Premier ministre ?", s'est-il interrogé, s'adressant au Hezbollah.
"J'ai toujours considéré qu'il y avait une représentation sunnite en dehors du courant du Futur. Le chef de l'Etat et l'ancien Premier ministre Najib Mikati vont nommer un ministre sunnite. Je ne permettrai à personne de m'accuser de provocation communautaire car cela va à l'encontre de la philosophie de (son père) Rafic Hariri, a lancé Saad Hariri. Tous les Libanais savent que mon discours politique est positif et que ma formation prône une politique de modération et d'ouverture malgré les crises et les divergences. Certains ne veulent pas que le pays ait un Etat ou des institutions. Nous devons prêter allégeance au peuple, à la Constitution et à Taëf".
"Je suis le père des sunnites au Liban, et je sais seul où se trouvent les intérêts des sunnites au Liban, comment les protéger et défendre leur cause. Nous ne permettrons à personne d'attaquer la communauté sunnite et l'intérêt national", a-t-il martelé sous les applaudissements de l'assistance. "Ils essaient de me briser depuis 2005. Personne ne peut briser Saad Hariri", a ajouté le Premier ministre désigné.
"Après que les Forces libanaises aient accepté ma proposition - consistant à leur attribuer quatre portefeuilles ministériels - je pensais que le gouvernement allait être formé très vite. La formation du gouvernement est une nécessité politique et économique", a-il ajouté. Et de conclure : "J'ai fait ce que j'avais à faire. La Constitution charge le Premier ministre, en concertation avec le président, de former le cabinet, et personne d’autre. Mon gouvernement est prêt, et les présidents Michel Aoun et Nabih Berry le savent. Il est temps que tout le monde assume ses responsabilités pour que le pays se remette en marche".
(Lire aussi : « Hassan Nasrallah se trouve en confrontation avec tout le monde »)
"S'il y avait une solution, je me serais rendu à Baabda"
A une question d'une journaliste sur l'existence d'une solution, M. Hariri a déclaré qu'il n'y en avait pas. "S'il y en avait une, je me serais rendu à Baabda".
En début d'après-midi, M. Hariri avait reçu à la Maison du Centre, sa résidence beyrouthine, l'ancien ministre Mohammad Safadi, dont l'un des proches, l'ancien bâtonnier du Liban-Nord, Khaldoun Naja, est cité par les médias comme personnalité consensuelle pour obtenir le portefeuille réclamé par les sunnites pro-8 Mars. Ces derniers estiment que "la seule et unique solution" au problème qui fait obstacle à la naissance du gouvernement était de leur attribuer un portefeuille ministériel comme ils le réclament.
Par ailleurs, M. Hariri n'a pas voulu donner les détails de son entretien, la veille, avec le chef du Courant patriotique libre et ministre sortant des Affaires étrangères, Gebran Bassil. Mandaté par le président, Michel Aoun, pour tenter de résoudre le "nœud sunnite", M. Bassil s'est entretenu avec le Premier ministre désigné, ainsi qu'avec le président de la Chambre, Nabih Berry, et le député Faycal Karamé, l'un des six députés sunnites pro-8 Mars.
Selon notre chroniqueur politique Philippe Abi-Akl, M. Bassil œuvrerait avec les trois parties concernées – le Hezbollah, le courant du Futur et les députés sunnites du 8 Mars – en faveur de la mise en application d’un plan en trois étapes. D’abord, briser la glace entre les six députés sunnites et le Premier ministre désigné, et obtenir de Saad Hariri qu’il les reçoive chez lui pour écouter leurs doléances, comme l’a fait la semaine dernière le chef de l’Etat. La deuxième étape serait de plébisciter, avec l’accord de M. Hariri et l’aval des six députés sunnites concernés, une personnalité sunnite du 8 Mars – mais "modérée" et dont la présence ne constituerait pas un défi pour le chef du courant du Futur – qui intégrerait la quote-part du président de la République de manière à régler ce problème. La troisième étape serait la mise sur pied d’un mécanisme d’application pris en charge par le chef de l’Etat. L'objectif est de régler ce nœud et de former un gouvernement avant la fête nationale de l'Indépendance, le 22 novembre prochain.
Mardi soir, M. Bassil a été reçu à Clemenceau par le leader druze Walid Joumblatt avec qui il a discuté de la formation du gouvernement et des solutions possibles à la crise, selon les médias locaux. M. Bassil est arrivé en compagnie du ministre sortant de l’Énergie, César Abi-Khalil, membre du CPL. Taymour Joumblatt, fils du leader druze et député du Chouf, a lui aussi pris part à la réunion. Le chef du CPL a quitté les lieux sans faire de déclaration.
Commentant le discours de M. Hariri, un ancien député ne souhaitant pas être nommé a déclaré que "les propos du PM désigné sont logiques et fermes". "Il n'y a pas de solution en vue, seul le président de la République peut encore intervenir pour débloquer la situation car il a de bonnes relations avec les deux parties (M. Hariri et le Hezbollah, ndlr)", a ajouté cet ancien député à notre correspondante sur place Suzanne Baaklini. Un autre ancien député a de son côté estimé que la balle était désormais "dans le camp du Hezbollah", ajoutant que la situation était "très inquiétante".
Réagissant lui aussi aux propos de M. Hariri, le leader des FL a estimé sur Twitter que le discours du PM désigné était "acceptable sur la forme et logique sur le fond".
Les députés sunnites du 8 Mars se font entendre, mais pas approuver, par le chef de l’État
Entre dérobades et langue de bois, le nœud sunnite reste entier
Aoun ne signerait pas le décret de formation d’un gouvernement qui comprendrait un sunnite prosyrien
Pour le Hezb, pas de retour sur la désignation de Hariri
commentaires (13)
ca y est. C chose faite. HN a pour une fois senti le vent se retourner contre lui, il a senti pour la 1ere fois ce que les autres acceptent de lui depuis des annees . QUELQU'UN A OSE L'ATTAQUER, OSE LUI DIRE NON, OSE REJETER SES DESIDERATA PUBLIQUEMENT. ET PAS N'IMPORTE QUI , PAS GB . NON RIEN DE MOINS QUE LE 1er MINISTRE SUNNITE LUI-MEME.
Gaby SIOUFI
15 h 51, le 14 novembre 2018