La charge menée samedi par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, contre ses détracteurs, qui l’accusent d’exploiter la question de l’intégration des députés sunnites proches de l’axe Damas-Téhéran pour bloquer la genèse du cabinet dans un contexte stratégique de conflit ouvert entre les États-Unis et l’Iran, a-t-elle sonné le glas du processus gouvernemental ? Pas forcément.
La réémergence dudit « nœud sunnite » et l’adhésion totale du Hezbollah aux doléances du « Rassemblement de concertation », qui regroupe les six députés pro-Assad, avaient, rappelons-le, torpillé au tout dernier quart d’heure les efforts conjoints du président de la République Michel Aoun et du Premier ministre désigné Saad Hariri pour mettre sur pied la nouvelle équipe ministérielle. Suite à quoi le chef de l’État avait pris fait et cause pour M. Hariri lors de son entretien télévisé pour célébrer l’anniversaire de son élection, se prononçant en faveur d’un « Premier ministre fort » et précisant que ces députés sunnites ne formaient de toute façon pas une entité homogène, chacun d’eux faisant déjà partie de différents autres groupes parlementaires.
Cependant, face à l’impasse politico-institutionnelle et alors que de plus en plus d’experts et de responsables mettent en garde contre les dangers d’un effondrement socio-économique au cas où le pays s’enliserait dans l’immobilisme et le vide, Michel Aoun – qui avait pris acte personnellement des revendications des six députés sunnites vendredi à Baabda – a chargé le chef du Courant patriotique libre, le ministre Gebran Bassil, d’une médiation auprès des différentes parties au conflit. Objectif : trouver un compromis acceptable de tous afin de mettre fin à la crise.
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Un entretien orageux
M. Bassil a d’abord rencontré Hassan Nasrallah vendredi soir, soit la veille du discours virulent du leader chiite. Une rencontre qui aurait été orageuse, le secrétaire général du Hezbollah ayant exprimé sa colère face aux positions du président de la République relatives à la représentation des sunnites pro-8 Mars et aux déclarations du chef du CPL, qui avait qualifié la crise de « sunnito-chiite » stricto sensu. Le leader du parti chiite aurait également rappelé à son interlocuteur, selon des sources bien informées, que des gouvernements avaient autrefois été bloqués durant des mois pour que M. Bassil soit ministre et que l’élection présidentielle avait été également paralysée durant deux ans et demi pour que Michel Aoun soit président de la République. « Pour nous, il s’agit d’une position de principe. Nous resterons attachés à l’entrée de nos alliés, qui ont une base solide dans la rue sunnite, même si nous devons attendre mille ans », aurait dit en substance Hassan Nasrallah à Gebran Bassil.
Des sources proches du Hezbollah, citées hier par l’agence al-Markaziya, rejettent dans ce contexte le blocage du gouvernement sur le camp adverse, qui a « ignoré la revendication des six députés sunnites, formulée depuis le début du processus de formation du cabinet ». Selon ces sources, une « double dynamique interne et externe tente actuellement de prendre pour cible le Hezbollah pour torpiller le projet de la résistance au Moyen-Orient et de la fragiliser face à Israël ».
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Une médiation pourquoi ?
En marge de la séance parlementaire d’hier, M. Bassil a poursuivi ses efforts auprès des différents responsables pour trouver une porte de sortie à la crise, sans toutefois en révéler le contenu. À l’issue d’un entretien avec le président de la Chambre Nabih Berry, il a proposé une « solution médiane entre toutes les parties » en revenant aux « critères de représentation au sein du cabinet », loin de « l’esprit qui veut que chacun marque des points contre l’autre ». « Le principe est qu’au sein d’un cabinet d’union nationale, aucune communauté ne soit monopolisée par une seule partie », a-t-il souligné. « La question n’est pas de porter atteinte aux prérogatives de quiconque, mais de reconnaître une représentation légitime », a ajouté le chef du CPL. Il a toutefois précisé que la démission du Premier ministre désigné n’était pas envisageable et qu’il fallait que ce dernier soit « fort », sans quoi « le mandat et le gouvernement seront faibles ».
Gebran Bassil n’en a pas dit plus sur son projet, mais sa reconnaissance d’une revendication légitime des six députés sunnites du 8 Mars constitue un recul par rapport à la position initiale exprimée par le président Aoun sur l’hétérogénéité de ce groupe parlementaire lors de son entretien télévisé à la fin du mois dernier. Selon notre chroniqueur politique Philippe Abi-Akl, M. Bassil œuvrerait avec les trois parties concernées – le Hezbollah, le courant du Futur et les députés sunnites du 8 Mars – en faveur de la mise en application d’un plan en trois étapes. D’abord, briser la glace entre les six députés sunnites et le Premier ministre désigné, et obtenir de Saad Hariri qu’il les reçoive chez lui pour écouter leurs doléances, comme l’a fait la semaine dernière le chef de l’État. La deuxième étape serait de plébisciter, avec l’accord de M. Hariri et l’aval des six députés sunnites concernés, une personnalité sunnite du 8 Mars – mais « modérée » et dont la présence ne constituerait pas un défi pour le chef du courant du Futur – qui intégrerait la quote-part du président de la République de manière à régler ce problème. Plusieurs noms de ministrables circuleraient dans ce cadre, dont certains gravitant dans l’orbite de l’ancien ministre et député Mohammad Safadi. La troisième étape serait la mise sur pied d’un mécanisme d’application pris en charge par le chef de l’État. La démarche de M. Bassil viserait ainsi à satisfaire le Hezbollah, sans susciter de gêne pour M. Hariri.
C’est dans ce cadre que le chef du CPL a été reçu hier deux heures durant à la Maison du Centre par le Premier ministre désigné qui l’a retenu à déjeuner, mais rien n’a filtré de la rencontre concernant une acceptation tacite de M. Hariri de recevoir le groupe de députés sunnites du camp adverse. Selon les milieux du courant du Futur, la situation resterait pour l’heure en l’état, sans changements, en attendant la conférence de presse que le Premier ministre doit donner aujourd’hui. Ce dernier camperait sur sa position de refuser l’intégration des six parlementaires compte tenu de ce qu’ils représentent, sans pour autant fermer la voie à une porte de sortie. Mais Saad Hariri entendrait aussi montrer que c’est à lui que revient, in fine, la prérogative de former le nouveau gouvernement en collaboration avec le président de la République. Et pas à Hassan Nasrallah, quel que soit le ton de son discours. Faute de quoi cela reviendrait notamment à reconnaître de nouveaux usages constitutionnels qui torpillent l’accord de Taëf et la Constitution qui en découle, conformément aux craintes exprimées hier par le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt.
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commentaires (7)
M. Bassil arbore un visage détendu car il passe désormais pour un brave facilitateur sympathique. Le peuple oublie très vite. Super !
Shou fi
14 h 15, le 13 novembre 2018