« De guerre en guerre (…), le Liban perd son identité et tout ce qui s’y rattache », a écrit jeudi dans sa chronique Impression ma consœur Fifi Abou Dib, à l’heure même où l’Assemblée des patriarches maronites, atterrée par le niveau de l’escalade verbale sur les réseaux sociaux et dans les médias, avertissait que « les mots peuvent être aussi mortels que les balles ».
Les Libanais ont-ils toujours la volonté de vivre ensemble ? Ne serions-nous pas entrés dans de nouvelles « guerres d’élimination » les uns des autres, prélude à de nouveaux déchirements barbares et à la disparition du Liban ?
Car voilà que, après avoir entendu le chef de l’État affirmer que les sunnites indépendants ne sont pas suffisamment représentatifs, numériquement, pour avoir droit à un portefeuille ministériel, un homme de parti se dresse non pour proposer, mais pour exiger que le président de la République et le Premier ministre désigné se dédisent et le leur accordent. Qui donc gouverne cette hydre à deux têtes qu’est l’État libanais ?
Du reste, le principe de la distanciation que nous avons adopté pour nous défendre des axes régionaux n’est-il pas encore une forme de ce double non, de ces deux négations qui ne suffisent pas à faire une nation, sans une contrepartie affirmative ? Ce que nous ne voulons pas être ne suffit pas à nous définir ; il faut dire aussi ce que nous sommes et voulons. Qui donc en a la volonté ?
Car voyez le Hezbollah cultivant la différence de toute une communauté, dans la droite ligne du projet israélien d’effritement du Moyen-Orient en entités ethnico-
religieuses, cultivant l’allégeance transnationale de la communauté chiite, au détriment de son identité et de son enracinement libanais, comme l’aurait voulu cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine. Voyez-le implantant ses missiles et déterminant, de ce fait, les orientations de notre politique nationale, en matière de défense et d’affaires étrangères, en lieu et place de ceux que nous avons élus pour le faire. Voyez l’État libanais morcelé en cantons administratifs autonomes. Gardez l’œil sur les fortunes de vos élus.
Et ce que nous sommes, culturellement, ne vaut pas beaucoup mieux. Il n’y a qu’à voir l’état de notre enseignement scolaire et universitaire pour constater que plusieurs projets de Liban sont en train de pousser, de se côtoyer et de s’ignorer ; il n’y a qu’à voir l’état des universités catholiques ou orthodoxes se disputant une masse étudiante en lambeaux. Avec un livre d’histoire absent et une histoire contemporaine du Liban qu’il est interdit d’enseigner à l’école, qu’est-ce que les Libanais, et les chrétiens du Liban en particulier, ont encore à offrir… sinon les projets de voyages d’études à l’étranger à leurs enfants ?
Le Liban-message est moribond. Bienvenue au Liban-hôtel où l’on réside tant que les identités d’emprunt qui nous plaisent davantage restent inaccessibles. Mais auquel nous tournerons le dos à la première occasion.
Plus grave que la récession, plus grave que l’effondrement de la monnaie dont on agite le spectre, est le désamour à l’égard de l’identité nationale qui gagne du terrain, et qui se nourrit de toutes nos exaspérations, dont celle qui vient des bouchons inextricables aux heures de pointe, et d’une route devenue une arène où s’épuisent nos nerfs.
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commentaires (6)
Pourquoi pas un hôtel California ? Californication.
FRIK-A-FRAK
18 h 48, le 10 novembre 2018