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Liban - Prisons syriennes

Dans l'enfer des Assad

Des ex-détenus libanais ayant survécu à l’épreuve racontent l’enfer dans la prison de Palmyre.

Photo extraite du film « Tadmor ».

Très rarement l’expression « descente aux enfers » n’a autant pris son sens qu’avec le film Tadmor, en référence à la tristement célèbre prison syrienne du nom arabe de la ville historique qui l’abritait, Palmyre. Réalisé par Lokman Slim et Monika Borgmann, les fondateurs d’Umäm, une ONG libanaise qui travaille sur les questions de la mémoire et des conflits, le film décrit l’horreur dans toutes ses ramifications que vécurent au quotidien les prisonniers politiques ayant séjourné dans ce lieu maudit, véritable royaume de la mort et de la folie. Les acteurs du film ne sont autres que d’anciens détenus qui ont eu la chance de survivre à ce cauchemar, 23 Libanais et un Palestinien, relâchés par le régime syrien au lendemain de la mort de Hafez el-Assad en 2000. Ils ont fait entre 6 et 13 ans de prison et s’en sont sortis par miracle.

Le film est dédié à tous ceux qui ont fait l’expérience dans ce lieu de détention, mais aussi aux nombreux Libanais portés disparus depuis la guerre et qui seraient encore détenus dans les geôles syriennes, le gouvernement libanais ayant démontré, au fil des années, une inefficacité légendaire face aux revendications de leurs proches.

Projeté dimanche dernier au Metropolis-Empire-Sofil, à l'initiative de la fondation allemande Heinrich Böll, dans le cadre du Festival international du film sur les droits de l’homme et la migration, le film est un témoignage inédit de la vie, ou plutôt de la non-vie dans ce lieu infâme, où les geôliers sont passés maîtres dans l’art de la torture et de l’humiliation infligées de manière soutenue.


(Pour mémoire : L’enfer des prisons d’Assad porté à l’écran)


La « roue d’accueil »
Dans un style sobre, et sur un rythme aussi lent que l’agonie qu’ils ont vécue, les acteurs rejouent cette tranche d’épouvante et d’angoisse qui avait marqué leur quotidien à Palmyre, pour se réapproprier ce chapitre de leur vie afin de mieux l’expier et de s’en purifier. Avec un courage exceptionnel, ils ont raconté dans les détails ce moment de folie humaine vécu dans leur chair et leur âme, longtemps tu et réprimé, dans l’espoir d’être entendu aux quatre coins du monde.

On apprendra ainsi ce que signifie « la roue de l’accueil », une technique de torture bien connue dans ces milieux où le corps est forcé d’entrer tout entier à l’intérieur d’un pneu pour que le prisonnier puisse être mieux rossé. On en saura un peu plus également sur la différence entre un câble de fer avec deux ou trois embranchements, utilisé selon le châtiment dicté par le commandant des lieux, ainsi que sur toute la panoplie de techniques de rabaissement que les geôliers s’ingéniaient à faire monter crescendo ou à moduler selon leur humeur.

Des scènes quasi surréalistes nous dévoilent dans le film comment se déroule notamment la pause de récréation dite « de respiration », un moment qui se convertit systématiquement en un nouvel épisode d’horreur durant lequel la foudre des geôliers peut s’abattre à tout moment, sans aucune justification, sur les corps frêles et impuissants des détenus. La scène de la « pause » – où l’on voit les prisonniers convoqués à l’extérieur de la cellule, le dos courbé, la tête entre les jambes, se hâter dans la cour extérieure sous la salve des coups de bâton qui rythment leur marche – en devient un moment d’étouffement et d’effroi destiné à mieux briser et à dompter, pour annihiler la dernière couche d’humanité qui restait chez les locataires des lieux.

« Ce que je craignais le plus, raconte Moussa Saab, c’est lorsqu’on me convoquait pour me raser le crâne. Le plus souvent, les geôliers faisaient passer le rasoir sur mes cils. Quand ils le faisaient, je savais pertinemment que je n’allais plus pouvoir dormir pendant plusieurs jours, tellement les paupières me picotaient. Je devais m’assoupir les yeux ouverts », témoigne-t-il.


(Lire aussi : « Nous avons un message pour Bachar el-Assad : nos jeunes sont morts, mais pas leurs idées »)


Confiné durant cinq années successives à l’isolement, hanté par le moindre bruit qui pouvait préluder à une horreur de plus, Moussa tremble dans son coin et se recroqueville en position de fœtus pour exorciser sa peur et échapper à la folie. Au fil des mois, il n’avait plus d’autre choix que de se faire des amis parmi les fourmis, les cafards et les mouches qui venaient lui rendre visite. « Je leur causais régulièrement. J’en suis arrivé même à envier la mouche qui se baladait dans ma cellule, pour la liberté dont elle jouissait et souhaitais vivement en devenir une », raconte l’ancien détenu.

Scène après scène, la tension monte à mesure que s’intensifient le sadisme et la barbarie des traitements infligés.

Ali Abou Dehn est contraint de s’agenouiller pour lécher le sol du parterre, couvert de boue et de crasse, dans la cour de récréation. Dans une autre scène, on le voit envahi par le remord après avoir caché à ses codétenus ce qu’il savait au sujet de la nourriture qui leur a été servie ce jour-là, et qui recelait l’urine de l’un des geôliers qui avait décidé de leur gâcher le seul plat de riz au poulet de l’année, servi le jour de la fête du parti Baas. Ali avait vu la scène à travers l’un des trous du mur de sa cellule et n’osait pas en parler devant les autres. « Comment aurai-je pu, dit-il, sachant qu’ils seraient châtiés s’ils n’en mangeaient pas. »

Saadeddine Seifeddine raconte à son tour comment les morts, tous ceux qui n’ont pas survécu aux supplices, étaient laissés sur place à côtés des vivants, dans une cellule collective où ils étaient entassés les uns sur les autres. Les corps restaient étendus plusieurs jours avant que l’administration pénitentiaire ne se décide à les enterrer. « À moi seul, j’ai vu plus de 700 morts durant mes cinq années de détention », dit Saadeddine.

Lors du débat qui a suivi la projection, les détenus confient au public que le film ne reflète qu’une partie infime de ce qui s’est réellement passé.


(Pour mémoire :  L’EI détruit la prison de Palmyre, symbole de la terreur du régime)


« On n’en sort pas vivant »
« Rares sont ceux qui sortaient vivants de cette prison. À Palmyre, on ne cogne pas en guise de sanction. Les coups et la torture sont destinés à tuer le plus souvent », confie Raymond Boubane, qui a effectué un séjour de douze ans dans les geôles syriennes, dont cinq passés à Palmyre.

Dans la salle où une foule de téléspectateurs retenaient leur souffle, trois jeunes Syriens s’écroulent en larmes. Cette expérience, ils l’ont eux-mêmes vécue, pour avoir fait un passage dans les geôles de leur pays.

En Syrie, les prisons sont réputées, dans leur ensemble, pour être parmi les pires en matière de torture et de mauvais traitement. Toutefois la prison de Palmyre, dont la mauvaise réputation remonte à très loin, reste parmi les plus redoutées.

En juin 1980, en pleine confrontation entre le régime syrien et les Frères musulmans, le président Hafez el-Assad avait échappé à une tentative d’assassinat. Le lendemain, son frère Rifaat envoie ses terribles Brigades de la Défense commettre un massacre dans la prison de Palmyre à l’encontre des détenus de la confrérie, dont près d’un millier vont être abattus à bout portant ou, rassemblés à l’extérieur sous prétexte de leur libération, tués depuis des hélicoptères.


Pour mémoire

"Cruauté la plus vile" dans les prisons du régime en Syrie (Amnesty)






Très rarement l’expression « descente aux enfers » n’a autant pris son sens qu’avec le film Tadmor, en référence à la tristement célèbre prison syrienne du nom arabe de la ville historique qui l’abritait, Palmyre. Réalisé par Lokman Slim et Monika Borgmann, les fondateurs d’Umäm, une ONG libanaise qui travaille sur les questions de la mémoire et des conflits, le...

commentaires (10)

Tadmor,Sayd Naya, Mazé et bien sûr d'autres en Syrie et ceux de la franchise que la dynastie Assad avait légué au Liban... signes d'un héroïsme et d'une civilité extrême. Bien sûr et malheureusement ceci est (très) commun dans notre moyen (plutôt médiocre?) orient!

Wlek Sanferlou

13 h 47, le 18 octobre 2018

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Commentaires (10)

  • Tadmor,Sayd Naya, Mazé et bien sûr d'autres en Syrie et ceux de la franchise que la dynastie Assad avait légué au Liban... signes d'un héroïsme et d'une civilité extrême. Bien sûr et malheureusement ceci est (très) commun dans notre moyen (plutôt médiocre?) orient!

    Wlek Sanferlou

    13 h 47, le 18 octobre 2018

  • Il faut que notre Papa a tous et l autre, le risistant de tous, le regarde

    Jack Gardner

    11 h 11, le 18 octobre 2018

  • Le pire dans crime c’est de penser agir en toute légalité .... les terrorisées sont ce qu’ils sont ...

    Bery tus

    05 h 17, le 18 octobre 2018

  • Dieu merci on ne parle pas de la décapitation du directeur du musée par les bactérie wahabites manipulés par israel et l'occident . Certaines âmes sensibles l'auraient mis sur le compte du HÉROS BASHAR.

    FRIK-A-FRAK

    17 h 25, le 17 octobre 2018

  • Rappel A tous ceux atteints d’amnesie.

    L’azuréen

    15 h 56, le 17 octobre 2018

  • Vive le héros Bashar et ses pantins au chez nous. Voici ce qui nous attends avec le Hezb, le PSNS etc. Chers amis libanais, ouvrez les yeux!

    Bachir Karim

    14 h 33, le 17 octobre 2018

  • PRIERE LIRE LIEU CAUCHEMARDESQUE ETC... MERCI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 24, le 17 octobre 2018

  • ON DIRAIT QUE -BELZEBUTH- EN PERSONNE DIRIGEAIT CE LIEU CAUCHEMARESQUE ET MAUDIT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 10, le 17 octobre 2018

  • y aura-t-il un jour un rendement de compte pour tous ceux qui ont commandite et execute ces atrocites sordides ??

    EL KHALIL ABDALLAH

    13 h 47, le 17 octobre 2018

  • Quelle est la difference entre cette prison de TADMOR et un camp de concentration nazi?aucune

    HABIBI FRANCAIS

    04 h 05, le 17 octobre 2018

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