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Idées - Peine de mort

Le difficile combat pour l’abolition de la peine de mort au Liban

Illustration : M. Yassine

Comme chaque année depuis 2003, des centaines d’initiatives seront lancées à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre, pour dénoncer la persistance de ce châtiment ultime dans 53 pays. Un combat permanent, ô combien juste, mais si difficile, tant la nécessité de se soumettre à l’obligation de préserver – quelles que soient les circonstances – le droit à la vie garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 3) se heurte à d’innombrables obstacles au quotidien. Des obstacles auxquels j’ai notamment été confronté lorsque je me suis trouvé en première ligne pour mener ce combat au Liban.

Le premier événement auquel j’ai dû faire face fut le jour de juillet 2008 où je passais la porte d’entrée de mon bureau au ministère de la Justice. Un fonctionnaire zélé et greffier en chef me présente immédiatement un gros dossier. J’y vois des noms et des signatures de présidents de la République, du Conseil, d’anciens ministres. En fait, il s’agissait de dix-neuf condamnations à mort qui attendaient ma signature pour être mises à exécution. Choqué, je tends la grosse enveloppe au greffier en chef et lui murmure : « Tu ne tueras point. »


(Lire aussi : « Pourquoi je suis pour la peine de mort »)


Moratoire de 14 ans
Puis j’entre dans mon bureau, demande au chef du service de législation et de consultations de préparer un projet de loi abolissant la peine de mort et lui substituant une condamnation à l’emprisonnement à perpétuité.

J’ignorais tout des projets de loi antérieurs, comme des statistiques et autres activismes en ce domaine. Entre-temps, ce refus de contresigner les décrets de mise à mort a ainsi permis de maintenir un moratoire qui fut institué de facto en 1998 par un refus similaire du Premier ministre Sélim Hoss, mais avait déjà connu une interruption avec la mise en œuvre d’exécutions sous le mandat de son successeur Rafic Hariri en 2004.

Il dure depuis lors, et tous les ministres qui suivirent adhérèrent à cette politique du fait accompli. Aujourd’hui, si j’en crois des confidences, ni le chef de l’État ni le ministre de la Justice ne sont en faveur de l’exécution capitale. Il en va de même des ordres d’avocats.

Cependant, cette abolition de facto ne modifie pas les textes. Elle perpétue à ce jour plus de quatorze années de non-exécution de près d’une centaine de condamnations à mort, passées en force de chose jugée. Comment alors faire admettre l’adoption du projet d’abolition ? Des réunions groupant toutes les sensibilités du Parlement, tenues au ministère de la Justice, ne firent que démontrer la déchirure idéologique sur la question ; notamment en raison du fait que l’islam continue de considérer comme incontournables trois cas au moins (l’adultère, l’apostasie et le meurtre) où la peine de mort est une question de doctrine. Pour cela, il fallait œuvrer non seulement sur les plans politique et religieux, mais en utilisant des voies indirectes.

Les exemples en sont légion. Le contraste le plus frappant résulte d’une comparaison du droit interne, qui consacre la peine de mort, à ce qui est imposé pour le Tribunal spécial pour le Liban, qui connaît de l’assassinat de feu le Premier ministre Hariri et de ses compagnons ainsi que des assassinats qui y sont liés jusqu’au 12 décembre 2005. Le droit pénal libanais s’y applique, à l’exclusion de la peine de mort. En signant les protocoles d’accord avec ce tribunal, on se dit qu’il est quand même surprenant que des assassinats aussi graves et spectaculaires soient moins punissables que des crimes régis par la loi libanaise. En 2007, en effet, des violences inqualifiables ont opposé des terroristes du camp palestinien de Nahr el-Bared à l’armée libanaise, pendant des mois. Le président de la République vous dit clairement : « Il y va du moral de l’armée ; il faut exécuter les terroristes ! »

De même, des poursuites critiques et des surenchères violentes ont longuement prospéré à propos de faits d’espionnage en faveur d’Israël. En Conseil des ministres, vous entendez le Premier ministre déclarer, dans le but évident de ne pas en paraître complice : « Je suis prêt à signer le décret de l’exécution » ; alors que les représentants du Hezbollah vous apostrophent : « Vous devez appliquer la loi : elle prévoit la peine capitale ; vous n’êtes pas le législateur ! »


(Pour mémoire : La reprise des exécutions au Liban est un pas dans la mauvaise direction, avertit HRW)


Conflit de nécessités
En dépit de cette situation, somme toute assez supportable, puisque le ministre de la Justice peut, par sa seule volonté, refuser de signer le décret d’exécution, il reste que des cas surprenants posent un dilemme, en révélant un conflit de nécessités.

L’un d’eux est relatif à un Palestinien, condamné à mort en vertu de jugements définitifs et une procédure infructueuse de rabat d’arrêt (une procédure exceptionnelle d’annulation, par une juridiction, d’une décision rendue dans la même affaire), pour avoir été coupable d’assassiner l’attaché jordanien à Beyrouth. Je me souvenais en effet que le royaume hachémite avait mis à mort deux coupables pour le même crime. Comment admettre alors que le même crime puisse être sanctionné différemment en Jordanie et au Liban ? Comment faire admettre aux magistrats libanais qu’ils auraient pu, peut-être sans le vouloir, en toute bonne foi, se tromper ? Comment faire pour que la commission des grâces vous suive dans vos convictions ? Pourtant, nous avons pu finalement retourner la situation et la conviction des magistrats : pour la première fois, une grâce fut prononcée, non sans que le président de la République, Michel Sleiman, hésite longuement et obtienne le « nihil obstat » du souverain jordanien.

Plus que tout, c’est la clameur populaire qui vous interpelle. Comment répondre aux foules qui sont choquées par l’assassinat d’un jeune pèlerin par un militaire syrien? Comment répondre à une opinion publique surchauffée et excédée par les coups de main du Hezbollah, dont un membre tire et tue, « par erreur », sur un jeune et brillant lieutenant de l’armée de l’air ? Que faire pour calmer les foules en colère criant à la honte et l’injustice face à l’assassinat, en pleine rue et en plein jour, d’un jeune papa pour une question de priorité de passage ?

Comment gérer la question du réaménagement des peines, en attendant une problématique réforme législative, surtout lorsque l’élargissement du condamné est conditionné par l’agrément de la famille de la victime ? Une famille qui n’oublie jamais…

Il n’est pas aisé de continuer à défendre l’abolition. Elle appelle un combat pour le droit à la vie, la paix, une culture du droit à la différence, de la liberté, tout autant que l’établissement d’États de droit. Pourtant, rien n’est plus urgent que de s’en tenir à l’abolition, comme le fut celle de l’esclavage. Envers et contre tout. Il faut du courage pour croire. Pour croire à la vie.

Ancien ministre de la Justice (2008-2011) et vice-président de la Commission internationale contre la peine de mort.


Pour mémoire

Machnouk se dit en faveur de la peine de mort

La corde, mais quoi d'autre ? L'édito de Issa GORAIEB

« Je trouve choquant qu’à chaque crime, les appels se multiplient pour tuer, pour se venger »


Comme chaque année depuis 2003, des centaines d’initiatives seront lancées à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre, pour dénoncer la persistance de ce châtiment ultime dans 53 pays. Un combat permanent, ô combien juste, mais si difficile, tant la nécessité de se soumettre à l’obligation de préserver – quelles que soient les circonstances –...

commentaires (3)

Au fait la perpétuité est une peine de mort sans rompre la vie du condamné. Quelle peine serait plus grande que celle de réduire un être humain à un retenu sans aucun droit et sans liberté. La perpétuité est bien plus lourde à supporter que la peine de mort. Elle est largement suffisante pour autant qu'elle soit mise en oeuvre scrupuleusement. Le Président Salim Al- Hoss disait comment voulez-vous que signe alors je ne supporte pas de voir le sang. Il est végétarien !!! Dans les temps anciens il n'y avait pas de structures matérielles pour l'exécution de peine à perpétuité. La solution était de tuer le criminel.

Shou fi

20 h 12, le 06 octobre 2018

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Commentaires (3)

  • Au fait la perpétuité est une peine de mort sans rompre la vie du condamné. Quelle peine serait plus grande que celle de réduire un être humain à un retenu sans aucun droit et sans liberté. La perpétuité est bien plus lourde à supporter que la peine de mort. Elle est largement suffisante pour autant qu'elle soit mise en oeuvre scrupuleusement. Le Président Salim Al- Hoss disait comment voulez-vous que signe alors je ne supporte pas de voir le sang. Il est végétarien !!! Dans les temps anciens il n'y avait pas de structures matérielles pour l'exécution de peine à perpétuité. La solution était de tuer le criminel.

    Shou fi

    20 h 12, le 06 octobre 2018

  • UNE DECISION A DEUX SENS AU LIBAN... MAIS LA POSSIBILITE SI MINIME SOIT-ELLE QU,UN INNOCENT... QUE DES PREUVES CIRCONSTENTIELLES CHARGENT... SOIT CONDAMNE ET EXECUTE SUFFIT A ABOLIR LA PEINE DE MORT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 09, le 06 octobre 2018

  • Dans une société où la logique du lynchage et de la vendetta prédomine, témoigner pour le principe universel "Tu ne tueras point" est une entreprise courageuse qui confine à l'héroïsme. Je salue votre probité en la matière.

    COURBAN Antoine

    08 h 32, le 06 octobre 2018

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