Des partisans du Hezbollah commémorent l'Achoura, le 20 septembre 2018 dans la banlieue-Sud de Beyrouth. Le Hezbollah interdit à ses membres de se scarifier lors des commémorations de l' Achoura.Photo AFP / ANWAR AMRO
Les chiites libanais ont commémoré jeudi le 10e jour de l'Achoura, en souvenir du martyr de l'imam Hussein, un des petit-fils de Mahomet, tué en 680 par les troupes du calife omeyyade Yazid durant la bataille de Kerbala.
Comme chaque année, ces commémorations donnent lieu à des processions impressionnantes à travers les différentes régions chiites du Liban. Dans la banlieue-Sud, les fidèles, hommes, femmes et enfants, défilent tout de noir vêtus. A Nabatiyeh, au Liban-Sud, les fidèles défilent eux-aussi, mais nombreux sont ceux, parmi eux, à se scarifier à la tête, une pratique appelée taṭbîr, ou à se flageller jusqu'au sang.
Les commémorations de l'Achoura, en photos :
Qu'est-ce que le tatbîr ?
"Le taṭbîr a lieu durant la dernière procession qui clôt les célébrations, le jour de l'Achoura. Ce rituel consiste en une scarification du crâne, préalablement rasé, que le pénitent va frapper en cadence, avec le plat de la main ou d’une épée, tout en défilant, afin de faire couler son sang « pour Hussein ». Lors de la procession de la veille, les « pénitents » arborent un linge blanc, en écharpe ou bien sur leur vêtement, et portent, pour certains, un sabre à la main, signifiant ainsi leur intention. On sait que le lendemain, leur sang va couler et teindre en rouge ce morceau de tissu qui symbolise le linceul de Hussein", explique Sabrina Mervin, spécialiste du chiisme, dans une étude datant de 2006 intitulée "Les larmes et le sang des chiites : corps et pratiques rituelles lors des célébrations de ‘Âshûrâ’ (Liban, Syrie)"
Selon la chercheuse, via ces pratiques de mortification, "les pénitents expriment la culpabilité qu’ils ressentent, en tant que chiites, d’avoir abandonné leur imam. À un autre niveau d’analyse, on relève que ces rituels ont longtemps permis de canaliser la violence et de dompter les passions. Bien plus, ils permettaient à la communauté de prêter allégeance non seulement aux imams, mais aussi aux clercs et aux chefs politiques traditionnels de la communauté".
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En ce qui concerne le dernier point, elle précise que dans les années 70, les célébrations de l'Achoura furent utilisées, au Liban, "comme moyen de politisation et de mobilisation de ce que l’on appelait alors « les masses chiites » contre l’ordre établi par les notables et les propriétaires terriens, et contre l’envahisseur israélien". Moussa Sadr, rappelle-t-elle, "fut le principal artisan de ce « mouvement des déshérités » qui consistait à réveiller les chiites de leur torpeur politique et de leur arriération économique et sociale, et à combattre toute forme de tyrannie, en suivant l’exemple de Hussein. Il ne fallait plus se contenter de pleurer sur le sort de l’imam et sur celui des chiites, mais se lever et agir. Ainsi, les célébrations de Achoura et, particulièrement les processions, devinrent autant de démonstrations de force d’une communauté en pleine expansion, qui voulait faire valoir ses droits".
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Une pratique qui ne fait pas l'unanimité au sein de la communauté
La pratique du tatbir ne fait pas l'unanimité. En 1994, souligne Mme Mervin, l'ayatollah iranien Ali Khamenei fit promulguer l’interdiction du rite du taṭbîr, sous peine de punition. Le Hezbollah a donc, lui aussi, interdit à ses militants d'observer cette pratique. Muhsin al-Amine (1867-1952), un clerc chiite du Liban-Sud pionnier de la réforme, est le premier à interdire cette pratique dont il estimait notamment qu'elle était contraire à la charia, ne s'appuyait sur aucun texte et faisait apparaître les chiite "comme des sauvages ridicules" aux yeux du monde.
"Toutefois, des groupes de pénitents continuent de pratiquer le taṭbîr, encouragés par des clercs délivrant des fatwâ pour l’occasion, qui sont reproduites et distribuées dans les rues de la ville. C’est qu’il est difficile d’éliminer des rituels aussi ancrés dans la culture chiite, qui font office de rites de passage, et contribuent à fixer le partage des rôles entre les sexes", note encore Mme Mervin.
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commentaires (6)
Le spectacle désolant des tas de détritus dans les rues où ont défilé les "fidèles": bouteilles d'eau en plastique vides, kleenex, restes de sandwiches et autres déchets...font-ils aussi partie du "tatbîr"...? Irène Saïd
Irene Said
15 h 56, le 21 septembre 2018