Une vidéo montrant le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, éclater en sanglots à l'évocation, mercredi soir, du martyre de l'imam Hussein a été largement partagée ces dernières heures sur les réseaux sociaux. De nombreux internautes ont relayé cette séquence, qui a eu lieu lors d'un discours du leader chiite, au troisième jour des célébrations religieuses de l'Achoura, notamment sur Twitter et Facebook, en utilisant le mot-clé "Je ne t'ai pas abandonné Hussein".
Si Hassan Nasrallah fait la preuve, à chacune de ses interventions, de ses talents d'orateur, maniant avec aisance l'ironie, l’émotion ou la colère, il est extrêmement rare de le voir se laisser aller aux larmes, comme il l'a fait mercredi soir.
Cet affichage d'émotion est à remettre dans le contexte très spécifique d'Achoura, une célébration sacrée pour la communauté chiite, évoquant le destin tragique de l'imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet et troisième imam du chiisme, lors de la bataille de Kerbala, dans l'actuel Irak, en 680 après Jésus-Christ. D'après la tradition, l'imam Hussein a été décapité, son corps mutilé et ses proches décimés. Cet affrontement, à l'origine du grand schisme de l'islam, entre sunnites (majoritaires) et chiites, vit les hommes du calife omeyyade Yazid réduire à néant le soulèvement de Hussein.
Selon la spécialiste de l'islam chiite Sabrina Mervin, le rituel des pleurs a une véritable signification religieuse. "Durant les célébrations du mois de muharram (le premier mois du calendrier musulman), les fidèles chiites sont en deuil (...) Un grand nombre de hadiths encouragent les croyants à pleurer et à faire pleurer autrui, en racontant le martyre de l’imam", écrit-elle dans un texte, datant de 2006, intitulé Les larmes et le sang des chiites : corps et pratiques rituelles lors des célébrations de l'Achoura. "La souffrance de celui qui montre de la compassion pour le martyr, le chagrin et les pleurs mènent sur la voie du salut, puisqu’ils permettent l’intercession de l’imam" Hussein, explique-t-elle.
Quatre types de rituels sont observés par les fidèles lors des célébrations de l'Achoura, souligne la spécialiste dans ce texte : des séances de déploration organisées dans des lieux publics ou privés "où l’on raconte, jour après jour, les épisodes du drame de Kerbala"; des "processions publiques rassemblant les fidèles, regroupés par quartier, par affiliation politique, ou par affinité ; certains d’entre eux s’y adonnent à des pratiques de mortification"; "des représentations théâtrales du drame sont montées dans certains endroits : en Iran, surtout, mais aussi à Nabatiyé, au Liban-sud"; une visite pieuse au mausolée de Hussein, ou, à défaut, à d’autres mausolées. Selon Mme Mervin, "l’histoire de l’implantation de ces rituels relève à la fois de la survivance de pratiques antéislamiques, d’emprunts, et de l’invention d’une tradition, qui est en redéfinition constante".
En ce qui concerne les séances de déploration, "les vertus des pleurs et la rétribution que l’on peut en attendre sont mises en avant par les oulémas dans des ouvrages qui codifient le rituel", souligne-t-elle. "Chaque jour, un épisode de la passion de Hussein est consacré à un héros particulier, parmi les ahl al-bayt (la famille du Prophète). Le récitant fait revivre les scènes du drame (...) et insiste sur les points sensibles qui émeuvent l’auditoire : la force des liens familiaux et l’exemplarité des qualités morales des ahl al-bayt face à la cruauté des ennemis, l’aspect désespéré, inéluctable, de la situation, etc. Plus le récitant a le talent d’émouvoir, par le timbre et le ton de sa voix, et par son habileté à établir un parallèle entre le drame qu’il commémore et rejoue, et la situation présente des auditeurs, plus l’assemblée pleure", écrit la spécialiste dans son étude.
Au 10ème et dernier jour des célébrations d'Achoura, les fidèles se rassemblent pour des processions qui peuvent s'avérer spectaculaires. Certains fidèles, vêtus de noir, procèdent à des actes d'auto-flagellation. Des hommes se blessent volontairement à la tête, à l'aide de sabres ou de couteaux, entraînant d'importants saignements. D'autres se frappent la poitrine en écoutant le récit de la mort tragique de l'imam Hussein sur fond de chants religieux au rythme entêtant.Dans nos archives :
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23 h 54, le 14 septembre 2018