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Culture - Design

Céline et Tatiana Stephan ne roulent pas des mécaniques...

Faire juste de « jolis objets » ne les intéresse pas. Pour ces deux sœurs, le design est de l’architecture à échelle réduite. Mais aussi une histoire, toujours inspirée du contexte dans lequel elles travaillent...

Cette table basse et luminaire incorporé illustrent la vision de « Beyrouth nue sous le masque social » des sœurs Stéphan. Photo D. R.

Elles ne roulent pas des mécaniques, Céline et Tatiana Stéphan. Et pourtant, elles pourraient, tant leurs objets se distinguent par une approche et une réflexion différentes, à la fois intellectuelles et architecturales. Et puis, avec ses lignes nettes, ses matériaux bruts, son esprit industriel et les mécanismes qu’elles y incorporent, le design que ces deux sœurs signent dégage quelque chose d’éminemment masculin, n’en déplaise aux partisans de la neutralité des genres !

Pour ces deux brunettes trentenaires, qui ont fondé depuis trois ans leur propre cabinet baptisé Architectures et Mécanismes, la conception de meubles et d’objets n’est pas juste une affaire d’esthétisme. Elle flirterait plutôt avec l’installation artistique et conceptuelle. Souvent dénonciatrice, d’ailleurs, de situations aux rouages bloqués… Du coup, leurs créations ne font pas dans le joliment décoratif, mais introduisent plutôt, dans les espaces qui les accueillent, un vent de frondeuse réflexion, mâtiné d’esprit scientifique. Elles le reconnaissent d’ailleurs volontiers. « Sans doute, le fait que nous soyons toutes les deux architectes nous conduit à envisager le design comme de l’architecture à échelle réduite. Mais surtout nous sommes très influencées par le contexte dans lequel on travaille. Beyrouth, notamment, qui avec son chaos, ses guerres et ses désordres sociaux, est très présente dans ce que nous faisons... », indiquent-elles d’une même voix. Forcément, il en résulte des objets qui empruntent leurs lignes plus aux tanks ou aux foreuses qu’aux plantes, fleurs et pétales de roses !


Le trône de la destruction du lien social
C’est en septembre 2014, l’année où la cadette termine son université que les deux sœurs signent leur toute première collaboration. Une installation, baptisée Throne Of Social Destruction, qu’elles présentent alors dans le cadre de la première édition de la Beirut Art Fair. « Il s’agissait d’un banc en fer (délibérément) rouillé, à la silhouette inspirée des barres de caractères des anciennes machines à écrire. Une personne pouvait s’y installer durant 24 h. Et en manipulant certaines des barres mobiles qui la composent, elle pouvait approcher une lampe incorporée pour lire, ou encore composer un plateau de table pour travailler ou manger », indique Céline Stéphan. L’idée de ce meuble (d’amphithéâtre ou de jardin) était de dénoncer la rupture du lien social et l’isolement des individus à l’ère des médias sociaux. « Notre attention étant en permanence braquée sur les tablettes et téléphones portables, et leurs applications qui relayent en continu les infos et les images des uns et des autres, on éprouve de moins en moins le besoin de bouger de chez soi. Et on s’isole de plus en plus, dans une sorte de réalité virtuelle assez dangereuse », soutiennent d’une même voix les deux sœurs.


(Lire aussi : Claude Missir, des restaurants de Beyrouth à Nilufar Milan...)


Beyrouth nue
Grâce à cette œuvre singulière, Céline et Tatiana Stéphan sont rapidement repérées par House of Today. La plateforme pour la promotion du design libanais, qui prépare alors sa première biennale sur le thème Naked, beyond the social mask, les invite à y participer. « Comme nous sommes d’un naturel assez réservé, nous avons détourné le thème en dévoilant plutôt Beyrouth, sous son masque social. » Elles feront ainsi de la capitale libanaise une drôle de table basse/luminaire, au spot dardé sur un mécanisme horloger central et qui projette sur le sol l’image d’une montre qui ne donne pas l’heure. Une pièce, éditée en 12 exemplaires (tous vendus), symbolique de la vision que la jeune génération a de cette ville : un lieu où tout tourne à vide, où le temps s’égrène aveuglément, sans perspective d’évolution.

Mais avant même cette pièce fondatrice de leur style affirmé, Céline – qui avait fait ses premières armes durant 5 ans dans le cabinet d’architecture de Bernard Khoury – avait déjà conçu, pour un copain, un premier objet inspiré de Beyrouth. « Une table basse cubique métallique incisée de la carte géographique de la ville et incorporant également un luminaire. Allumé, il projette ainsi la silhouette d’une Beyrouth toute éclairée… ».


Des histoires de lumière et de temps
Une certaine obsession de la lumière et du temps qui, avec le thème de Beyrouth, forme une constante dans leur travail. « C’est normal, nos créations naissent le plus souvent de nos questionnements et de nos réflexions sur notre environnement et les situations que l’on rencontre dans ce pays et cette ville où nous vivons » réaffirment-elles.

Chez ces deux frangines, la complicité est évidente. La complémentarité aussi. Surtout depuis qu’elles exercent ensemble la même (double) profession d’architecte et de designer. Un domaine auquel la première (diplômée de l’AUB en 2008) est venue un peu par hasard, tandis que la seconde (diplômée de l’ALBA en 2014) a toujours su qu’elle en ferait son métier. « Toute petite déjà, je ne dessinais que des maisons », indique Tatiana. D’ailleurs, dans le tandem professionnel qu’elle forme aujourd’hui avec son aînée, c’est elle qui fait les sketches des objets. Elle prend aussi en charge le côté technique (elle les traduit en 3D, vérifie l’adéquation des matériaux, fait les calculs d’équilibre…) tandis que Céline, en bonne aînée qui se respecte, est celle qui initie généralement les projets, réfléchit aux concepts et à leur traduction en… textes. Car chez les sœurs Stéphan, les idées nourrissent une trame narrative qui, elle, donne naissance à un objet. Évidemment fonctionnel. Et même souvent multifonctionnel. À en juger par leurs tables-luminaires évoquées plus haut, leur ventilateur-luminaire (une autre pièce réalisée pour House of Today) ou encore leur set de bureau en pierre et métal, à la forme de projectile alliant lampe, déchiqueteuse de papier, porte-cartes et taille-crayons. Un accessoire qui a eu beaucoup de succès aux derniers Design Days Dubaï. Et qui les a encouragées à se lancer dans les « accessoires architecturaux ». En particulier les interrupteurs et poignées de portes, de tiroirs et d’armoires qu’elles revisitent dans des formes et des matériaux qui sortent de l’ordinaire et de ce que l’on trouve généralement sur le marché. Et puis, entre deux projets d’architecture et de design, les sœurs Stephan retrouvent leur cocon familial. D’ailleurs, elles vont bientôt s’attaquer à la rénovation de la maison de leur grand-mère. « De fond en comble », assurent-elles, les yeux pétillants…


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