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Liban - Reportage / Déchets

À Amroussiyé, le centre de tri... où l’on ne trie pas

Des sacs d’ordures fermés sortent tels quels du centre jusqu’à la décharge de Costa Brava.

Sur la route qui mène au centre de tri de Amroussiyé, à Choueifate, il est impossible de se tromper de chemin : il suffit de suivre l’odeur qui flotte dans l’air... jusqu’à la nausée.
À l’entrée du centre, cette odeur ne manque pas de s’intensifier. Les seules à ne pas s’en formaliser sont les mouches, nombreuses à l’accueil. Les allées, le parking et les bureaux bien aménagés servent de trompe-l’œil pour les visiteurs qui ne prennent pas la peine de se rendre à l’usine de tri.

À l’arrivée hier matin du comité d’experts composé de Jihad Abboud et David Abi Saab, chargé par la juge des référés de Aley Roula Chamoun de prendre au dépourvu le centre, les responsables de l’usine gérée par JCC (al-Jihad Group for Commerce and Contracting)-Soriko ne semblent pas pour autant surpris. Des informations autour de ce qui devrait être une « visite-surprise » semblent leur avoir été divulguées au préalable. À 9h pile, à l’heure prévue de la visite, et comme par pur hasard, un ingénieur de la compagnie consultante Laceco est déjà sur le site. Quelques minutes plus tard, c’est un ingénieur du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) qui s’invite au rendez-vous.
Cette visite s’inscrit, rappelons-le, dans le cadre d’une plainte déposée contre les travaux d’agrandissement de la décharge du Costa Brava par un groupe d’avocats de la société civile se faisant appeler Mouttahidoun. Le comité d’experts est chargé de présenter un rapport à la juge Chamoun, dans lequel il évalue le fonctionnement du centre de Amroussiyé, où les déchets sont censés être triés avant d’être déversé au Costa Brava.


(Lire aussi : Gestion des déchets : l’incinération, une solution chère et exigeante)



Un état déplorable
À l’entrée de l’usine, se dresse une montagne de déchets en provenance de la banlieue sud de Beyrouth, de Aley, du Chouf, de Baabda et d’une partie de Beyrouth. Si ces déchets sont transportés à Amroussiyé pour y être triés, cela ne veut pas pour autant dire qu’ils le seront forcément. Interrogé par L’Orient-Le Jour, un expert en matière de traitement de déchets qui suit le dossier de près tire la sonnette d’alarme : « Le centre de tri de Amroussiyé est dans un état si déplorable qu’il n’est même pas en mesure d’opérer ! » Cette affirmation est d’ailleurs remarquable à l’œil nu : bâti en 1997, le centre est ancien, son équipement est usé et 25 tonnes de déchets sont triés par heure alors que l’usine ne peut trier que 7 tonnes seulement par heure. Non seulement le centre dépasse de loin sa capacité, mais le nombre d’ouvriers est assez réduit. D’autant que la présence des ouvriers qui s’y trouvaient hier devait faire partie des « préparatifs » en prévision de la « visite-surprise » entrepris la veille par la compagnie.

Le tri se fait donc d’une façon très primitive. Outre le manque de main-d’œuvre, les ouvriers déployés des deux côtés du convoyeur laissent tranquillement passer des sacs d’ordures hermétiquement fermés. Les déchets qui s’y trouvent ne sont donc pas triés, ce qui signifie qu’il n’y a pratiquement pas de tri complet, et des fois, pas de tri du tout. « Si les sacs ne sont pas ouverts par les ouvriers, comment les trient-ils ? Et surtout, comment repèrent-ils les déchets organiques qui sont interdits d’entrer dans la décharge du Costa Brava ? » s’interroge l’expert.

Selon plusieurs observateurs, des déchets organiques sont déversés dans la décharge et le liquide qui en découle et qui doit en principe être traité finit, sans surprise, dans la mer...
Selon le directeur du centre, Mohammad Akil, 1 700 tonnes de déchets sont triés tous les jours dans le centre et transportés au Costa Brava. Des chiffres montrent cependant que 1 950 tonnes de déchets sont déversés quotidiennement dans la décharge. Comment expliquer ce décalage d’environ 250 tonnes ? M. Akil explique qu’outre les déchets déversés par le centre de Amroussiyé, des déchets provenant d’une autre partie de la capitale y sont déversés également. « Nous échangeons des déchets avec la décharge de Bourj Hammoud. Nous leur envoyons les résidus organiques et on reçoit une partie de leur déchets, ce qui fait que 2 000 tonnes sont déversés au Costa Brava et 2 000 autres à Bourj Hammoud », enchaîne-t-il. Ce décalage de chiffres est au cœur de l’enquête menée par le comité d’experts et dont les résultats ne seront – en principe – rendus publics qu’après la remise du rapport à la juge.


(Lire aussi : « Il n’y aura pas d’incinérateurs, alors réfléchissez aux alternatives », lance Paula Yacoubian)


 « Vol qualifié »
Pourquoi le centre ne trie-t-il pas comme il le faut ? Outre l’état de l’usine et le manque d’ouvriers, l’expert attire l’attention sur le fait que cette absence de tri des déchets augmente la quantité d’ordures stockées dans la décharge, ce qui sert l’intérêt de la compagnie, dont les services sont payés par tonne de déchets. « Il n’est certes pas dans l’intérêt de la compagnie de Jihad el-Arab de trier les ordures et de réduire ses revenus », commente l’expert avant de poursuivre : « Il s’agit de vol qualifié. »

Dans ce cadre, il convient de mettre en lumière le conflit d’intérêt qui entre en jeu. La décharge du Costa Brava est prise en charge par le groupe de Jihad el-Arab, et le centre de tri aussi. « En l’absence totale de l’État, censé contrôler la transparence et le fonctionnement du travail, le promoteur est le dernier organisme à qui il faut demander des comptes », affirme l’expert. Et d’ajouter : « Le citoyen est le premier à être responsable parce qu’il ne s’en plaint pas. L’État vient en deuxième lieu, la compagnie consultante qui n’est souvent pas qualifiée en troisième position, et finalement l’opérateur qui se contente d’exécuter ce qui lui est demandé de la part de la compagnie consultante. Celle-ci remet ses propositions à l’État et au CDR. Chaque organisme est censé superviser l’autre, à moins qu’ils ne soient tous impliqués dans une interminable chaîne de corruption... »


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Sur la route qui mène au centre de tri de Amroussiyé, à Choueifate, il est impossible de se tromper de chemin : il suffit de suivre l’odeur qui flotte dans l’air... jusqu’à la nausée. À l’entrée du centre, cette odeur ne manque pas de s’intensifier. Les seules à ne pas s’en formaliser sont les mouches, nombreuses à l’accueil. Les allées, le parking et les bureaux bien...

commentaires (10)

sacs poubelles et (hommes) politiques sont la même chose , des ordures qu'il faut se débarrasser

Talaat Dominique

13 h 48, le 12 août 2018

Tous les commentaires

Commentaires (10)

  • sacs poubelles et (hommes) politiques sont la même chose , des ordures qu'il faut se débarrasser

    Talaat Dominique

    13 h 48, le 12 août 2018

  • Triste pays ou les scandales au quotidien ne choquent plus .

    Antoine Sabbagha

    22 h 48, le 11 août 2018

  • Ceux qui ne trient pas leurs déchêts à la maison et qui se plaignent de la situation sont tous des hypocrites. Un sac pour le compost (toute matière organique) Un sac pour le verre, idéalement sous-trié par couleur. Un sac pour les plastiques. Un sac pour les papiers. Un sac pour les métaux. Et bien sûr les piles à part. Pas compliqué! Et si c’est trop pour l’esprit m’en foutiste du Libanais moyen, on peut se contenter d’un sac pour le compost (organique), et d’un autre pour tout le reste, qui lui sera retrié dans les usines de tri. Avec les piles toujours à part bien sûr. Lorsque nous saurons faire ça, et uniquement à ce moment là, nous pourrons envisager des incinérateurs. Mais à ce moment là nous nous rendrons compte également que nous n’en aurons plus besoin, ou dans des proportions bien moindres, la plupart des déchêts ayant été recyclés... Alors on commence chez soi, on convainc ses voisins, son quartier, de suivre, et ensuite on a le droit de se plaindre. Allez, bon dimanche à tous.

    Gros Gnon

    12 h 14, le 11 août 2018

  • Comment nos responsables qui eux se promènent vêtus des plus beaux costumes, dans de belles voitures, habitent dans dans de beaux appartements ou belles villas meublées luxueusement, voyagent à l'étranger...recoivent dans leurs palais des visiteurs du monde entier... comment peuvent-ils tolérer un tel enfer de saletés pas loin de chez eux ? Nous, rien que de voir les photos de cet article, on vomit de dégoût et de honte ! Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 55, le 11 août 2018

  • Et si on faisait appel aux barges turques pour trier nos déchets ? d'ailleurs cela s'appelle : ZIBIL MAVNA

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 21, le 11 août 2018

  • et l'on tient a la solution des incinerateurs aux conditions techniques dignes de pays evolues - et encore. lorsque le controle aussi simple que cela, controler le tri des dechets , ils en sont incapables.

    Gaby SIOUFI

    09 h 16, le 11 août 2018

  • "...à moins qu'ils ne soient tous impliqués dans une interminable chaîne de corruption..." La base de tout ce qui ne fonctionne pas correctement chez nous. Vient s'y ajouter l'ignorance totale chez les responsables de la façon correcte de travailler dans ce domaine du tri des déchets etc., augmenté d'un j'menfoutisme complet concernant les dégats sur la santé du citoyen, l'environnement etc. La seule chose qu'ils connaissent parfaitement: comment se remplir les poches sur le dos des citoyens. Et après eux...le déluge des saletés partout ! Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 14, le 11 août 2018

  • il faut absolument, imperativement trier a la maison. ca ne reussira jamais ce system de centre de tri. c'est une heresie

    George Khoury

    07 h 02, le 11 août 2018

  • CORRUPTION ET VOL MEME DANS LES DECHETS ! LE PAYS EN PASSE D,EFFONDREMENT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 44, le 11 août 2018

  • Inutile de continuer à nous décrire la dimension de la corruption et de l’incompétence criminellles qui sévissent dans ces lieux sinistres: le contraire aurait été incroyable! Même rengaine qui se répète à tous les niveaux! C’est vraiment en haut lieu que les magouilles débutent avec complot du silence des organismes officiels qui signent les contrats et font semblant qu’ils ne réalisent pas ce qui se passe... Un état dysfonctionnel qui ne pourrait pas être réparé de sitôt: absence de sanctions, impunité garantie, irresponsabilité totale etc... Continuons de dénoncer, au moins on aura une consolation intellectuelle ultime!

    Saliba Nouhad

    01 h 19, le 11 août 2018

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