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À La Une - Chronologie

Gestion des déchets ménagers au Liban : retour sur un terrible fiasco

Depuis trop longtemps, les autorités parent au plus pressé sans pour autant parvenir à produire un plan viable et durable en matière de gestion des ordures. Retour sur une des pires crises jamais vécues au Liban.

Scène apocalyptique des déchets rejetés par la mer jonchant la plage de Zouk Mosbeh, dans le Kesrouan, le 22 janvier 2018. Photo Joseph Eid/AFP

La crise des ordures ménagères au Liban a éclaté en juillet 2015, après la fermeture définitive de la plus grande décharge du pays, située à Naamé, au sud de Beyrouth, sous la pression des riverains. Depuis, les ordures s’amoncellent dans les rues du pays à intervalles réguliers.

Depuis près de trois ans, les gouvernements successifs de Najib Mikati, Tammam Salam et Saad Hariri parent au plus pressé en mettant en œuvre des plans temporaires de stockage des déchets, au grand dam des écologistes et des mouvements de la société civile qui contestent également les options envisagées par les autorités pour le plan de long terme de gestion des déchets.


Naamé


En 1997, le gouvernement de Rafic Hariri adopte (déjà) un "plan d’urgence pour la gestion des déchets", suite à la fermeture (déjà) du dépotoir sauvage de Bourj Hammoud, sur le littoral du Metn, l'une des deux décharges, avec celle installée dans le secteur de Normandy, à Beyrouth, où les déchets de la capitale et du Mont-Liban étaient entassés depuis le début de la guerre civile.

Il construit alors une décharge sanitaire sur une large parcelle de terrain sur les pentes de la localité d'Ebey-Aïn Drafil, à trois kilomètres à l'est de Naamé. L’État délègue la gestion du site au groupe privé Averda, qui comprend les compagnies Sukleen et Sukomi. Sukleen assure le balayage, la collecte et le transport des déchets ménagers à Beyrouth et au Mont-Liban, alors que Sukomi opère sur le site et se charge de l'enfouissement des déchets. Le tout sous l’égide du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), sur la base d'un contrat courant jusqu'au 17 janvier 2014, et renouvelable un an.

Le plan d'urgence comportait l'établissement d'une autre décharge sanitaire. Qui n'a jamais été établie. Résultat, le site de Naamé est saturé au bout de cinq ans, au lieu de dix.

En 2007, un plan de substitution est mis au point par le ministère de l’Environnement, fondé sur la construction d’une série de décharges sur l'ensemble du territoire, mais ce plan n'a jamais vu le jour.

Pour parer à l'absence d'alternative, le site de Naamé est élargi à deux reprises, au grand dam des riverains qui se plaignant des odeurs pestilentielles dégagées par ces ordures et de la recrudescence de maladies, selon eux.




Une montagne de déchets à Jiyé, ville côtière du Liban-Sud, le 3 février 2018. Photo Ahmad Mantache.


(Pour aller plus loin, découvrez le dossier du mois de février
du Commerce du Levant : Les nouveaux rois des déchets au Liban)



La prorogation de trop


Lorsque le gouvernement de M. Mikati prend la décision de repousser d'un an la date de fermeture de la décharge (initialement prévue le17 janvier 2014), les habitants de Naamé, pas convaincus par les assurances données par les responsables politiques locaux, laissent exploser leur colère. Ils entament le jour même de l'expiration du délai un sit-in à l'entrée de la décharge, empêchant les camions de Sukleen d'y accéder. Après la promesse d'une fermeture définitive en 2015, les protestataires libèrent l'accès à la décharge au bout d'une semaine de mobilisation au cours de laquelle les ordures ont littéralement envahi les rues de Beyrouth et sa banlieue.

Quelques jours avant la date fatidique du 17 janvier 2015, le gouvernement, après plusieurs mois de discussions, adopte un plan directeur pour la gestion des déchets ménagers au Liban, présenté par le ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk. Il est fondé sur une division du Liban en six zones, chacune d'entre elles devant être gérée par une société privée.

Le temps de mettre en place le plan Machnouk, la date de fermeture de la décharge de Naamé est repoussée au 17 juillet 2015. Mais les écologistes et la société civile, qui se sont organisés dans les régions où les décharges prévues par le plan Machnouk devaient être installés, ne l'entendent pas de cette oreille.



"Vous puez !"


Le 17 juillet, la crise éclate pour de bon. Les manifestations essaiment alors à Naamé, Beyrouth et dans différentes régions du pays, où les chaleurs de l'été accentuent la puanteur des ordures qui s'accumulent dans les rues et sont parfois brûlées n'importe comment. Le 21 juillet, de jeunes activistes déversent des ordures devant le siège du gouvernement, au centre-ville de Beyrouth, dénonçant la négligence et la corruption des autorités. Le collectif "Vous puez!" naît. Le mouvement de contestation grossit à mesure que les activistes se mobilisent. A la fin du mois d'août et jusqu'en septembre 2015, des milliers de manifestants se réunissent à plusieurs reprises au centre-ville de Beyrouth. Ces rassemblements sont violemment réprimées par les forces de l'ordre qui protègent l'accès au siège du gouvernement, du Parlement et du ministère de l'Environnement. Mais la contestation finit par s’essouffler.

Pendant cette période, le résultat des appels d'offres prévus par le plan Machnouk sont annoncés. Et annulés le lendemain même de leur annonce.

Le 11 octobre, le ministre de l'Agriculture, Akram Chehayeb, à qui le gouvernement confie le dossier après l’échec du ministre de l’Environnement, propose un plan de gestion des déchets, prévoyant la réouverture temporaire de la décharge de Naamé et l'aménagement de deux autres décharges, à Srar dans le Akkar, et sur un terrain aux frontières de l'Anti-Liban. Ce projet est abandonné en raison de l'opposition des habitants des régions concernées. Fin 2015, le gouvernement annonce, après de longues et secrètes tractations, que les déchets de Beyrouth et du Mont-Liban seront exportés en Russie par la compagnie britannique Chinook. Mais en février 2016, Moscou dément et Chinook est mise hors jeu. Le deuxième plan Chehayeb tombe à l'eau.




Des déchets amoncelés sous le pont... Photo prise à Beyrouth en janvier 2017. Aziz Taher /Reuters


(Lire aussi : Incinération sauvage au Liban : les chiffres chocs de l'impact de la pollution sur notre santé)


Décharges côtières


Le 12 mars 2016, un troisième plan Chehayeb est finalement approuvé. Il s'étend sur quatre ans et prévoit des mesures temporaires et immédiates. Deux décharges côtières, sur le site de Costa Brava, situé sur le littoral de Choueifat au sud de Beyrouth, ainsi qu'à Bourj Hammoud, seront aménagées. La décharge de Naamé, rouverte pendant deux mois pour permettre l'enfouissement des déchets accumulés durant la crise, ferme, elle, définitivement le 18 mai 2016.

Ce plan "Chehayeb III" sera mis en œuvre, même si les écologistes et la société civile continuent d'exprimer leur opposition à l'option des décharges côtières. Les Kataëb rejoignent les rangs des protestataires. En 2016 et 2017, ils organiseront des sits-in, en 2016 et 2017, avec plusieurs collectifs de la société civile, pour empêcher la construction d'une décharge à Bourj Hammoud, jugée polluante pour le milieu marin.

Les deux décharges côtières, construites à même la mer, sont au cœur d'une polémique en raison de leur potentiel de pollution et de leur sursaturation très rapide, en deux ans à peine, alors qu'elles avaient été conçues comme étant une solution pour quatre ans.

Pour répondre à l'urgence posée par l'accumulation des déchets produits par la capitale et ses environs, le CDR avait, à la demande du gouvernement, proposé un plan d'agrandissement de la décharge de Costa Brava dans un premier temps, puis de celle de Bourj Hammoud ensuite. Une option présentée comme la seule alternative au retour des déchets dans les rues. Nouveau tollé.




Des déchets dans les rues de Bir Hassan, à Beyrouth, en janvier 2017. Photo Nasser Trabulsi.



Le plan El-Khatib


En septembre dernier, le ministre de l'Environnement, Tarek el-Khatib propose un plan à long terme recommandant l'amélioration des capacités de tri et de compostage dans les usines existantes à Beyrouth et au Mont-Liban, la taxation de produits comme les sacs en plastique, l'amélioration de la qualité des recyclables et du compost. En vue de réduire le volume des déchets inertes (ceux qui restent après le tri, le recyclage et le compost), le plan du ministère évoque particulièrement la technique du RDF ("Refused Derived Fuel", ou combustible dérivé des déchets), même s’il garde la porte ouverte à toutes les autres techniques, notamment l’incinération.

Étant donné que tous les déchets ne peuvent être transformés en RDF, le plan du ministère propose d'enfouir le reste soit dans des carrières désaffectées, soit dans les décharges de Bsalim, sur les hauteurs du Metn, et de Naamé, pourtant fermée depuis 2016. Autre option : l'aménagement d'une décharge doublée de centres de tri et de compostage dans la région de Srar. Cette partie du plan n'a jamais été approuvée.


(Lire aussi : Nouveau plan du ministère de l’Environnement pour les déchets : faire du neuf avec de l’ancien ?)



Plages dépotoirs...


Début janvier 2018, le gouvernement de Saad Hariri décide d'agrandir la décharge de Costa Brava, qui sera saturée dans les mois à venir. Agrandie, cette décharge devra recevoir les déchets de Aley et du Chouf. Si M. Hariri n'évoque pas la question d'un agrandissement de la décharge de Bourj Hammoud, qui doit rester opérationnelle pendant un an encore, la question devrait inévitablement se poser dans un avenir proche.

Le gouvernement annonce également que des appels d’offres seront lancés pour l’usine de tri du site de Costa Brava, et, dans six mois, des appels d’offres pour la construction d'incinérateurs et d'usines de transformation "waste to energy" (récupération des gaz pour la production d’énergie). Les écologistes, la société civile et les riverains sont très circonspectes vis-à-vis de l'option des incinérateurs, notamment en raison de son impact environnemental et de son coût. A plus long terme, Tarek el-Khatib, prône une décentralisation de la gestion des déchets du pays basé sur le rôle-pivot des municipalités.

Mais ces décisions ne permettent, concrètement, que de répondre à l'urgence des déchets qui s'accumulent à Costa Brava et de Bourj Hammoud.

A la mi-janvier 2018, les déchets ont littéralement recouvert les plages du sud de Beyrouth jusqu'au Kesrouan à la faveur d'une tempête ayant balayé le Liban. Le chef des Kataëb, Samy Gemayel, estime que ces immondices provenaient des décharges de Costa Brava et de Bourj Hammoud, soutenant que les digues supposées protéger les décharges n’ont pas tenu. Faux, répond le ministre de l'Environnement, qui pointe du doigt les décharges sauvages et les déchets jetés dans les cours d'eau.



Pour mémoire
Déchets ménagers : pourquoi on en est arrivé là

Crise des déchets : les principaux points du plan de Machnouk (infographie)

La crise des ordures ménagères au Liban a éclaté en juillet 2015, après la fermeture définitive de la plus grande décharge du pays, située à Naamé, au sud de Beyrouth, sous la pression des riverains. Depuis, les ordures s’amoncellent dans les rues du pays à intervalles réguliers. Depuis près de trois ans, les gouvernements successifs de Najib Mikati, Tammam...

commentaires (5)

Le problème n'est pas specifique pour le Liban, pensons à Naples en Italie ou crise de déchets à Malaga en Espagne. Ou récemment en France dans le village de Méricourt, à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de Paris, plus de 200 tonnes de déchets se sont accumulés. L'Europe et le pollueur le plus grand, les Etats-Unis les Américains exportent surtout des déchets (par exemple j'ai lu que bcp. de déchets européens sont exportés vers la Chine). Mais j'éspère bien-sûr que les Libanais savent nettoyer aussi la mer, car le "Mare Nostrum" notre mer méditerranée est victime de toute pollution, donc les déchets Libanais concernent aussi la Grèce et l'Europe ... C'est pour cela que je trouve une bonne initiative de la UE pour l'usine de tri à Tripoli, mais c'est fermé maintenant ...

Stes David

09 h 31, le 08 février 2018

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Commentaires (5)

  • Le problème n'est pas specifique pour le Liban, pensons à Naples en Italie ou crise de déchets à Malaga en Espagne. Ou récemment en France dans le village de Méricourt, à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de Paris, plus de 200 tonnes de déchets se sont accumulés. L'Europe et le pollueur le plus grand, les Etats-Unis les Américains exportent surtout des déchets (par exemple j'ai lu que bcp. de déchets européens sont exportés vers la Chine). Mais j'éspère bien-sûr que les Libanais savent nettoyer aussi la mer, car le "Mare Nostrum" notre mer méditerranée est victime de toute pollution, donc les déchets Libanais concernent aussi la Grèce et l'Europe ... C'est pour cela que je trouve une bonne initiative de la UE pour l'usine de tri à Tripoli, mais c'est fermé maintenant ...

    Stes David

    09 h 31, le 08 février 2018

  • Et avec tout ca, vous croyez vraiment que le dossier du Gaz et du Petrole va avancer? La bonne blague. Meme pas foutus de gerer des dechets et vous voulez gerer.....

    IMB a SPO

    19 h 27, le 07 février 2018

  • Toute réflexions faites, il semble que ces déchets exposés sur nos plages, nos rivières, nos montagnes, enfin partout, reflètent bien notre société démocratique où des partisans de toutes les couleurs (bleu, jaune, rouge, orange, blanc, neutre ...) moisissent au soleil et ceus qui flottent sur la mer se retrouvent sous d'autres horizons peut être plus cléments. Les visiteurs de la station spatiale doivent facilement reconnaître notre democratie. Signe qu'on est déjà au siècle prochain à notre façon... Dommage...

    Wlek Sanferlou

    16 h 23, le 07 février 2018

  • Priere m'eclairer a in sujet J'ai lu que l'usine de tri des dechets qui a coute 1.6 million de dollars offert par l'Europe a ete fermee recement a cause des odeurs Qui a donc decide de construire cette usine qui, pour trier, degage des odeurs pres des habitants? Qui a ferme cette usine ? ( les journaux ont nomme M Hariri ) et pourquoi puisque la seule solution definitive des dechets , c'est justement le tri qui fait de toute facon moins d'odeur que de les jeter en ville ( ou a la mer ) Y a t il eu des commissions illicites pour faire approuver ce dossier qui evidement est une perte seche pour le Liban qui n'a plus son usine meme si c'est l'Europe qui a finance ET VOUS VOULEZ DES MILLIARDS CETTE ANNEE D'AIDE AU LIBAN DE L'EUROPE POUR FAIRE DES CHOIX IDENTIQUES ???????????????

    LA VERITE

    15 h 24, le 07 février 2018

  • Comme nous pouvons être fiers de notre beau pays, n'est-ce pas ? Nos responsables sont les champions des réunions, des projets jamais aboutis, des querelles entre eux pour des broutilles, ils adorent se pavaner devant d'innombrables délégations et poser pour des photos...mais sont incapables de résoudre ce problème des déchets, car ils veulent contenter tout le monde, ce qui est impossible, dans n'importe quel pays... Personne n'a le courage de décider, d'imposer. Comment font les autres pays...qui produisent aussi des déchets ??? Ils en garnissent le bord de mer, les cours d'eau et les vallons, les rues ? Irène Saïd

    Irene Said

    14 h 57, le 07 février 2018

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