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Sport - Billet

Quand la Mannschaft perd son football

L’attaquant allemand Mario Gómez (maillot n° 23) et son coéquipier défenseur Mats Hummels (maillot n° 5) sont catastrophés après l’élimination de la Mannschaft de la Coupe du monde de football, en Russie, dès le 1er tour. Eux qui étaient les champions en titre... Et à l’arrière-plan, le n° 9 allemand Timo Werner se cache le visage avec les mains pour ne pas montrer ses larmes. Saeed Khan/AFP

La moitié du Liban est en deuil aujourd’hui. L’autre moitié a exulté hier, avec quelque part un sentiment de vengeance après l’humiliation subie il y a quatre ans. On exagère à peine, tant la rivalité entre ceux qui supportent la Mannschaft et ceux qui vibrent pour la Seleçao rythme chaque Mondial au Liban, jusqu’à prendre des proportions complètement irrationnelles. Il suffisait de voir les réactions sur les réseaux sociaux quelques minutes après l’élimination de l’Allemagne pour se rendre compte de l’importance de l’évènement dans un pays qui oublie, pendant un moment, toutes ses autres préoccupations (vous avez dit gouvernement ?).

L’Allemagne a perdu donc et elle est éliminée de ce Mondial russe dès le premier tour. On peine encore à y croire. Après la France en 2002, l’Italie en 2010 et l’Espagne en 2014, la malédiction qui touche les champions du monde en titre a encore frappé. On pensait pourtant que l’Allemagne était faite d’un autre bois. Que l’équipe pour qui une demi-finale de Coupe du monde est un objectif minimum ne pouvait pas tomber de la sorte. Que l’Allemagne avait quelque chose, peut-être cette croyance intime qu’ils sont plus forts que leurs adversaires, que les autres n’avaient pas. Mais plutôt que de remettre l’équipe sur les rails, le génial but de Kroos contre la Suède n’a fait que retarder la sentence. L’Allemagne est sortie par la plus petite porte. Vaincue sans périls et sans gloire.

Comment en est-on arrivé là ? Est-ce la pire Mannschaft de l’histoire ? Non, probablement pas. L’Allemagne est morte avec ses idées. Elle est même morte du fait de son incapacité à les remettre en question. Jusqu’au bout, les Allemands ont considéré que leur possession du ballon était le seul remède. Que cette volonté de toujours jouer vers l’avant, d’être constamment dans la moitié de terrain de l’adversaire, allait finir par étouffer leurs concurrents et les pousser à la faute. On ne peut pas complètement leur donner tort. Cette Allemagne n’était pas laide, loin de là. Elle était beaucoup plus agréable à voir jouer que d’autres équipes pourtant déjà qualifiées pour les huitièmes, la France ou l’Argentine pour ne citer qu’elles.

Mais à trop vouloir faire du Guardiola, cette Allemagne a fini par se renier. Elle a oublié que le football pouvait être un jeu simple où il suffisait de marquer un but de plus que l’adversaire. Elle a oublié que le football pouvait être un jeu cruel où, pour l’essentiel des spectateurs, seul le résultat comptait. Cette leçon de réalisme, ce sont les Allemands qui l’ont apprise au reste du monde. C’est Beckenbauer qui remporte la finale de 1974 face à Cruyff. C’est Klose qui trône sur le classement des meilleurs buteurs de l’histoire de la Coupe du monde devant Ronaldo, pourtant le plus grand 9 de tous les temps.

L’Allemagne a perdu durant ce Mondial ce qui faisait l’essence de son football. Ce qui avait fait dire à Gary Lineker il y a 28 ans que « le football est un sport qui se joue à onze contre onze et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne ». Elle a perdu son efficacité. Elle a été capable d’enchaîner des centaines de passes, de faire des transversales d’un bout à l’autre du terrain, de tirer à chaque match plus de 20 fois (27 tirs encore hier ! ). Mais elle n’a fait trembler les filets que deux fois en trois matches, sur un exploit de Toni Kroos.

Cette Allemagne a manqué de simplicité, de sérénité et de réussite. Il est impossible de défendre systématiquement aussi haut à deux contre deux, voire à deux contre trois, lorsqu’on n’a pas concrétisé ses occasions devant. Il n’est pas permis de vouloir rentrer avec le ballon dans le but lorsque l’on a autant de bons frappeurs dans son équipe. Il n’est pas compréhensible de ne pas titulariser Gomez lorsque l’on joue contre une équipe regroupée et qu’on multiplie les centres pour tenter de marquer.

Joachim Löw est le premier responsable de cette défaite. Il a tellement apporté à cette équipe depuis 2006 qu’il serait malhonnête de ne pas le souligner. Mais, durant ce Mondial, il a été incapable de se réinventer. Il a titularisé des joueurs hors de forme, notamment Müller et Ozil, a empilé les attaquants pour faire la décision en fin de match sans jamais tenter de s’adapter à l’adversaire.

Le football est profondément injuste. Si l’Allemagne avait marqué toutes les fois où elle a touché le poteau ou si Hummels avait réussi sa tête à cinq minutes de la fin du match d’hier, on célébrerait sans doute aujourd’hui le football allemand comme un alliage de beauté et d’efficacité. Mais ce n’est pas avec des si que l’on gagne une Coupe du monde. Et cela, l’Allemagne le sait mieux que personne.


P.S. : Mise en difficulté comme jamais sur la scène politique interne, on n’ose imaginer la tête d’Angela Merkel au moment de l’élimination allemande...


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La moitié du Liban est en deuil aujourd’hui. L’autre moitié a exulté hier, avec quelque part un sentiment de vengeance après l’humiliation subie il y a quatre ans. On exagère à peine, tant la rivalité entre ceux qui supportent la Mannschaft et ceux qui vibrent pour la Seleçao rythme chaque Mondial au Liban, jusqu’à prendre des proportions complètement irrationnelles. Il...

commentaires (1)

"La moitié du Liban est en deuil aujourd’hui. L’autre moitié a exulté hier, avec quelque part un sentiment de vengeance après l’humiliation subie..." Un peuple vraiment unique! Comme si c'était vraiment la fin du monde...Mais ce n'est qu'un sport, voyons!

Georges MELKI

17 h 35, le 28 juin 2018

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Commentaires (1)

  • "La moitié du Liban est en deuil aujourd’hui. L’autre moitié a exulté hier, avec quelque part un sentiment de vengeance après l’humiliation subie..." Un peuple vraiment unique! Comme si c'était vraiment la fin du monde...Mais ce n'est qu'un sport, voyons!

    Georges MELKI

    17 h 35, le 28 juin 2018

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