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Idées - Économie

La politique monétaire libanaise est-elle durable ?

Photo d’illustration T.H.B.

La mise en œuvre effective des réformes que le Liban s’est engagé à mener lors de la CEDRE, qui s’est tenue à Paris le 6 avril dernier, constitue une opportunité à ne pas manquer pour résoudre les problèmes économiques structurels du pays. Ces réformes – qui portent notamment sur la hausse de l’investissement public et privé ; le rééquilibrage des finances publiques ; la mise en place de réformes sectorielles et transversales essentielles ; et la mise au point d’une stratégie de renforcement et de diversification des secteurs productifs – sont aussi bien liées à l’ampleur des difficultés que traverse le pays qu’aux performances et limites de la politique monétaire, qui représente le cadre dans lequel se greffent la croissance et le développement économique au Liban.

Les difficultés auxquelles fait face l’économie libanaise sont connues et consistent notamment en : une dette publique atteignant 150 % du PIB à fin 2017 ; un déficit énorme du compte courant (20 % du PIB en moyenne ces dernières années) provenant essentiellement d’un déficit très élevé au niveau de la balance commerciale ; une croissance économique au ralenti, dont le taux n’a pas dépassé 2 % depuis 2011 ; et une faible croissance des dépôts bancaires (+3,9 % en 2017).

Mesures exceptionnelles
Face à cette conjoncture en berne, la Banque du Liban (BDL) adopte depuis plusieurs années une politique monétaire non conventionnelle qui vise clairement à soutenir la croissance et la création d’emplois. Elle souscrit souvent aux bons du Trésor en livres libanaises et en devises étrangères sur le marché primaire, parfois à des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché, et assure tous les paiements du gouvernement en devises. D’un autre côté, la Banque centrale a injecté depuis 2013, à travers différents plans de relance annuels, près de 7 milliards de dollars dans l’économie à des conditions très favorables, et ce en plus du mécanisme de crédits subventionnés existants. Font aussi partie de cette politique les opérations financières multiobjectifs mises en œuvre par la BDL en 2016 et 2017.

Parallèlement à cette politique monétaire conjoncturelle, la Banque centrale a diversifié les instruments à sa disposition afin d’assurer sa mission principale : soutenir l’ancrage de la livre libanaise au dollar américain pour préserver et renforcer la confiance des agents et résister aux chocs potentiels. Parmi ces instruments non conventionnels, une grande attention a été portée aux opérations ou ingénierie financière effectuées par la BDL ces dernières années pour maintenir un niveau approprié de réserves en devises étrangères. De nature et d’ampleurs différentes, elles consistaient à offrir des incitations aux banques pour placer des dépôts supplémentaires en devises étrangères auprès de la Banque centrale. Ainsi, les dépôts des banques en dollars auprès de la BDL ont augmenté à un rythme exponentiel pendant cette période et d’une valeur dépassant les 20 milliards de dollars, et ce sous la forme de certificats de dépôt (surtout en 2016) et de dépôts bien rémunérés (surtout en 2017). Cela a contribué dans une large mesure au renforcement des avoirs extérieurs de la BDL et au maintien de la stabilité monétaire. 

Il est utile de rappeler que ces mesures exceptionnelles ont été prises suite au ralentissement des afflux nets de capitaux au Liban et à la persistance des grands besoins de financement de l’économie libanaise en devises étrangères, ce qui s’est traduit par une baisse alarmante des avoirs extérieurs de la BDL (-10 % entre mai 2015 et mai 2016, soit une baisse de 4 milliards de dollars) et des déficits énormes dans la balance des paiements (-9,4 milliards de dollars durant la période 2011-2015). La BDL a pu ainsi préserver la stabilité monétaire et renforcer ses réserves liquides en devises étrangères à environ 35,8 milliards de dollars à fin 2017 (contre 34 milliards à fin 2016) et ses réserves globales (liquidités et titres) en devises étrangères à 42 milliards de dollars à fin 2017 (contre 40,7 milliards à fin 2016). Il est important d’ajouter dans ce contexte qu’elle dispose d’un stock important d’or – classé 19e dans le monde et 2e dans la zone MENA selon les derniers chiffres du Conseil mondial de l’or –, dont la valeur a augmenté à environ 12 milliards de dollars à fin 2017. 

Répercussions négatives
Cependant, la préservation de la stabilité monétaire n’est pas sans coût et répercussions négatives. Il suffit d’examiner quelques indicateurs monétaires et financiers pour se rendre compte de la dégradation, voire la gravité de la situation. Citons entre autres les réserves nettes de la BDL en devises étrangères qui sont passées graduellement d’un niveau assez confortable et positif à fin 2010 à un niveau négatif et alarmant à fin 2017 ; la part grandissante des emplois bancaires auprès de la BDL (47 % du total actif à fin 2017 !) ; la baisse aiguë de la part des dépôts des banques libanaises auprès des banques correspondantes ; le risque accru d’asymétrie de maturité dans le bilan des banques… Dans son dernier rapport sur le Liban publié en février, le FMI a de nouveau pointé du doigt les coûts associés aux opérations financières non conventionnelles et à la politique monétaire en général. 

Dans ce contexte, se pose impérativement la question suivante : la politique monétaire actuelle est-elle durable ? Bien qu’à court terme, la réponse reste positive puisque la BDL dispose de moyens suffisants pour défendre la livre libanaise et a récemment pris des mesures préventives pour sécuriser les devises étrangères dont le Liban a besoin durant la prochaine période, cette réponse est bien différente quand on se projette sur le moyen terme.

Le recours à d’éventuelles opérations d’ingénierie financière similaires aux précédentes étant peu probable, à cause de leurs coûts élevés et leurs effets temporaires, la BDL pourrait être obligée de recourir à une hausse généralisée des taux d’intérêt pour attirer les capitaux. Soit précisément ce qu’elle a évité de faire jusqu’à présent ! Car une hausse des taux d’intérêt affecterait, d’un côté, le service de la dette et donc le déficit budgétaire et la dette publique, et, de l’autre, le coût des crédits octroyés aux ménages et aux entreprises, et par la suite la consommation, les investissements privés et la création d’emplois. 

C’est donc parce que la politique monétaire actuelle a presque atteint ses limites et ne sera donc plus durable à moyen terme dans le contexte actuel que Le Liban n’a pas d’autres choix que de mettre en œuvre les réformes structurelles promises, dans le cadre d’une stratégie durable de croissance et de développement.


par Nicolas KHAÏRALLAH
Retraité. Ancien directeur général adjoint de la Fransabank et ancien professeur et chef du département management à l’École supérieure de commerce (ESC) de Rennes.

La mise en œuvre effective des réformes que le Liban s’est engagé à mener lors de la CEDRE, qui s’est tenue à Paris le 6 avril dernier, constitue une opportunité à ne pas manquer pour résoudre les problèmes économiques structurels du pays. Ces réformes – qui portent notamment sur la hausse de l’investissement public et privé ; le rééquilibrage des finances publiques ; la...

commentaires (2)

Entre ""coût et répercussions négatives de cette politique monetaire " et la chute de la livre qui s'en suivrait sinon le choix est fait, refait et rererererefait car nul ne voudrait revivre -faire revivre les affres dues a la chute de la livre.

Gaby SIOUFI

09 h 33, le 03 juin 2018

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Commentaires (2)

  • Entre ""coût et répercussions négatives de cette politique monetaire " et la chute de la livre qui s'en suivrait sinon le choix est fait, refait et rererererefait car nul ne voudrait revivre -faire revivre les affres dues a la chute de la livre.

    Gaby SIOUFI

    09 h 33, le 03 juin 2018

  • LES REFORMES PROGRAMMEES ET PROMISES -DANS CEDRE- SONT NECESSAIRES MAIS NON SUFFISANTES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 32, le 02 juin 2018

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