Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les sanctions sont-elles une arme efficace pour faire plier l’adversaire ?

L’administration Trump a choisi d’imposer les « plus fortes sanctions de l’histoire » à l’Iran afin de négocier un nouvel accord.

Le secrétaire d’État Mike Pompeo a annoncé la semaine dernière que Washington allait imposer les « plus fortes sanctions de l’histoire » contre Téhéran. Toya Sarno Jordan/Reuters

Même enjeu, même méthode. Persuadée que c’est le renforcement des sanctions à son encontre qui a amené la Corée du Nord à la table des négociations, l’administration Trump veut réitérer la même expérience avec l’Iran. À savoir : asphyxier Téhéran, l’acculer, jusqu’à ce qu’il accepte de négocier selon les desiderata américains. Présentant la nouvelle stratégie américaine contre l’Iran, le secrétaire d’État Mike Pompeo a promis la semaine dernière d’instaurer contre la République islamique les sanctions « les plus fortes de l’histoire ». Un outil particulièrement prisé des Occidentaux pour faire plier leur adversaire à moindre coûts mais qui comporte tout de même de nombreuses limites.

Si les sanctions économiques font florès depuis une vingtaine d’années, c’est qu’elles s’emploient autant pour affaiblir l’adversaire que pour marquer un désaccord ou le dissuader d’entreprendre une politique jugée agressive. L’ancien président américain Barack Obama avait multiplié l’imposition des sanctions durant son premier mandat dans une logique d’incitation plus que de punition, pour mieux négocier leur levée progressive lors de son second mandat, par exemple dans le cas de la Birmanie. Autre exemple : l’annexion de la Crimée par la Russie où « la communauté internationale ne pouvait faire autrement qu’avoir recours aux sanctions économiques pour marquer qu’une ligne rouge a été franchie », explique Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS. « Mais la question de savoir quel effet dissuasif produisent les sanctions reste toujours entière », ajoute-t-elle.

Les leçons du passé laissent en effet douter de l’efficacité des sanctions et incitent à se méfier des retours de bâton : dans la plupart des cas, elles renforcent le pouvoir en place, favorisent la corruption et le développement de l’économie parallèle, comme l’ont montré les cas irakien et russe. L’embargo imposé à l’Irak en 1990 a renforcé la combativité de la population au profit de l’ex-dictateur Saddam Hussein. Doser l’ampleur des sanctions désignées à asphyxier la population juste assez pour retourner celle-ci contre son régime relève d’une manœuvre fort risquée et jusque-là non maîtrisée. C’est « la très faible performance opératoire des sanctions et leurs effets contre-productifs », dont de nombreuses recherches rendent compte, que met en avant le colonel Michel Goya, professeur d’histoire militaire à Sciences Po, interrogé par L’Orient-Le Jour. L’effet des sanctions est sapé par des stratégies de contournements grâce au soutien d’alliés extérieurs et à l’opacité des circuits financiers. En Syrie, la « hawala », un système traditionnel de paiement informel vers lequel les acteurs humanitaires et la population civile sont contraints de se tourner, augmente non seulement les coûts et les délais des transactions, mais réduit aussi leur transparence. Le risque d’effets « boomerang » pour les pays initiateurs des sanctions est également à prendre en compte : en 2014/2015, l’Union européenne perdait 40 milliards de dollars d’exportations potentielles vers la Russie. L’ancien président français Jacques Chirac avait déclaré en 1997, au Sommet de la francophonie à Hanoi : « Je n’ai jamais vraiment observé que la politique de sanctions ait eu des effets positifs... »


(Lire aussi : L’aventure iranienne des banques allemandes menacée)


Coup de poker
De manière générale, les sanctions sont censées être ciblées afin de distinguer l’appareil d’État de la société. « Le terme “ciblées” est trompeur, car souvent, comme dans le cas syrien, une panoplie de sanctions sélectives sont combinées simultanément de manière à exercer une pression sur l’ensemble d’un État et sa société », estime toutefois Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS contactée par L’Orient-Le-Jour. En Syrie, en plus du gel des avoirs des proches du régime, elles concernent entre autres les produits importés et exportés, et le système financier et bancaire. Le rapporteur spécial de l’ONU Idriss Jazairy, de retour de sa mission en Syrie le 17 mai, dénonce le dommage des sanctions sur l’économie qui « ont un impact humain, direct et sans distinction qui touche particulièrement les plus vulnérables ». D’après son enquête, elles « exacerbent la crise humanitaire » et sont clairement « responsables de l’aggravation de la souffrance des 10 millions de Syriens ayant besoin d’aide ».

« Il est difficile de mesurer l’efficacité réelle de la sanction à aboutir à une sortie de crise. Pour cela, il faudrait d’abord la mesurer à l’aune d’objectifs préétablis, or ceux-ci sont rarement clairs et évoluent. Ensuite vient la complexité d’isoler l’effet réel des sanctions en elles-mêmes, alors qu’une multitude de variables entrent en jeu suivant les cas », estime Sylvie Matelly. Pour le colonel Goya, il s’agit en vérité souvent de « coups de poker » aux conséquences « aléatoires ». Ceux-ci semblent bien caractériser « l’ère Trump », dont sont symptomatiques les multiples volte-face – il annulait jeudi son face-à-face avec Kim Jong-un prévu pour juin à Singapour.


Réponse pavlovienne

Finalement, c’est surtout la dimension politique et symbolique, plus qu’opérationnelle, des sanctions qui en font un outil diplomatique privilégié des gouvernements : elles représentent un instrument à la portée des chancelleries pour montrer les dents ou lutter contre l’impunité à moindre coût. C’est parce que ses alternatives – la guerre ou l’inaction – ne sont pas viables politiquement que les sanctions sont devenues la réponse quasi-pavlovienne en cas de crise internationale. Mais si pour les gouvernements les sanctions représentent le choix de la facilité, c’est largement parce que l’opinion publique n’a pas conscience de leur impact sur la population. En 1999, un article des politologues John et Karl Mueller publié dans Foreign Policy avertissait que les sanctions économiques de l’ère postguerre froide avaient tué plus de personnes que toutes les armes de destruction massive de l’histoire, y compris les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki.



Pour mémoire
Pour Paris, la politique US sur l'Iran risque de "mettre davantage en danger" la région

Comment Washington veut mettre l’Iran à genoux

En Syrie, la fin de la lune de miel entre Moscou et Téhéran

Accord nucléaire : Téhéran juge les efforts européens insuffisants 

Trump, l’Iran, l’Europe : la révolte des agneaux ?, l'analyse de François Nicoullaud, ancien ambassadeur en Iran

Washington travaille-t-il à un changement de régime à Téhéran? "Non, mais..."

Même enjeu, même méthode. Persuadée que c’est le renforcement des sanctions à son encontre qui a amené la Corée du Nord à la table des négociations, l’administration Trump veut réitérer la même expérience avec l’Iran. À savoir : asphyxier Téhéran, l’acculer, jusqu’à ce qu’il accepte de négocier selon les desiderata américains. Présentant la nouvelle stratégie...
commentaires (3)

les embargos ne servent à rien ils sont contournés soient par des états, soit par la contrebande le problème c'est que les usa et surtout leur président veulent diriger le monde !!! si tout les pays du monde , refusaient leur diktat ou refuser tout paiement en dollars, serait déjà un goût amer pour leur économie

Talaat Dominique

23 h 46, le 29 mai 2018

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • les embargos ne servent à rien ils sont contournés soient par des états, soit par la contrebande le problème c'est que les usa et surtout leur président veulent diriger le monde !!! si tout les pays du monde , refusaient leur diktat ou refuser tout paiement en dollars, serait déjà un goût amer pour leur économie

    Talaat Dominique

    23 h 46, le 29 mai 2018

  • Rappelons que la Chine avait été mise sous embargo toute la période du règne de Mao Tse Toung , le général de Gaulle fut le 1er occidental à lever cet embargo en déclarant comment pouvons nous nier l'existence d'un peuple qui compte 1milliard d'individus . Ce pays est la 1ere puissance économique mondiale et en passe de devenir la 1ere militaire et industrielle . L Iran sous embargo depuis 40 ans , regardez où ils sont en ce moment aux portes du pays le plus vil au monde . La Corée du Nord sous embargo depuis 51 , ils arrivent quand même à se hisser aux rangs d'État nucléaire, au point qu'il fait danser un clown déséquilibré mental américain, en lui tressant des bonnets d'âne avec ses " déculottées". La Russie de Poutine faut pas oublier , elle est aussi sous embargo , sanctions boycott et que sais je , elle est l'arbitre d'un conflit qui voit l'occident s'effondrer. Conclusion , pompeo ou pas pompeo , ça n'en pompera pas plus , croyez moi .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 25, le 29 mai 2018

  • SI ELLES SONT BIEN APPLIQUEES LES SANCTIONS FERONT PLIER SANS AUCUN DOUTE LE PAYS VISÉ ! DANS CE CAS IL S,AGIT DE L,IRAN QUI S,ETAIT DEJA DECULOTTÉ UNE PREMIERE FOIS A CAUSE DES SANCTIONS. REITERER L,EXPLOIT EST PLUS QUE POSSIBLE ET PREFERABLE EN TOUT CAS A LA GUERRE CHAUDE !

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    08 h 23, le 29 mai 2018

Retour en haut