Le guide suprême iranien Ali Khamenei lors d’une rencontre avec les membres du gouvernement, mercredi soir, à Téhéran. Iranian Supreme Leaders’s Office/AFP
Dans le double viseur américain et israélien, l’Iran est aujourd’hui au cœur de plusieurs grands enjeux géopolitiques. L’accord nucléaire, bien sûr, dont les Américains se sont retirés et que les Européens tentent de sauver, mais aussi sa présence en Syrie qui fait de plus en plus de mécontents. Acculé et menacé par le couple américano-israélien, l’Iran va devoir batailler pour conserver son gain d’influence au Moyen-Orient acquis au cours de ces dernières années. Alex Vatanka, chercheur au Middle East Institute, spécialiste de l’Iran, répond aux questions de L’Orient-Le Jour sur la position iranienne par rapport à ces différents bouleversements.
Quelle est l’atmosphère en Iran après la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire ?
Les Iraniens s’attendaient à ce que Donald Trump se retire. Mais ils se demandaient s’il allait le faire de façon symbolique ou de manière drastique. C’est la seconde option qui a été choisie, et cela a provoqué de la colère et de la déception en Iran, malgré le faible espoir que l’Europe puisse sauver l’affaire avec les autres parties prenantes du JCPOA (accord nucléaire iranien).
Concernant l’ère postaccord nucléaire, Mike Pompeo et l’administration Trump veulent poursuivre ce qu’ils ont commencé. Mais si le secrétaire d’État espérait transformer les 12 points de son allocution, qui pose les conditions d’un futur accord avec l’Iran, en un début de négociation, c’est raté. L’administration Trump ne veut pas de nouvelles négociations. Il n’y a qu’à voir la longue liste de conditions que la Maison-Blanche réclame : aucun dirigeant de la République islamique n’acceptera de négocier dans ces conditions. Pourquoi ont-ils alors énoncé ces conditions impossibles ? Washington veut sans doute pousser les Iraniens à se rebeller contre leur gouvernement en insistant sur le fait que la République islamique a passé 40 ans à investir dans le monde arabe et non dans son propre système. Le pari de Trump est de faire émerger les conditions d’un « regime change » en Iran.
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La stratégie américaine n’est-elle pas condamnée à l’échec ?
S’il est mené en solitaire, je ne pense pas que le combat du président Trump puisse donner des résultats. Nous devons voir ce que l’Europe va faire mais je pense qu’à terme, ils rejoindront les Américains, auquel cas il n’y aura plus d’accord nucléaire. Téhéran n’ira pas jusqu’à se procurer la bombe, mais il sortira du JCPOA et se tournera alors davantage vers la Russie et/ou la Chine. C’est une situation inconfortable pour l’Iran, mais c’est la seule manière de minimiser les dommages économiques engendrés par le rétablissement des sanctions. La République islamique pourra ainsi encore espérer contenir la colère populaire.
Cette colère constitue-t-elle une réelle menace pour le régime ?
Il y a tellement de colère en Iran à propos de la politique du régime, que ce soit dans le pays ou à l’extérieur. Cette colère est due au fait que les Iraniens ne veulent pas être en Syrie, au Yémen ou en Irak, ou ailleurs dans le monde arabe. En parlant de leurs voisins régionaux, les Iraniens ont tendance à dire : « Ce sont nos voisins et nous devons avoir de la sympathie envers eux. Mais que faisons-nous là-bas, comment pouvons-nous les aider et comment pouvons-nous apporter plus de civilité au Liban en soutenant Hassan Nasrallah ? » Le scénario le plus optimiste impliquerait l’organisation d’un débat national sur la politique étrangère iranienne. Mais si celui-ci dérape ou n’est pas réglé, cela donnera raison à Trump.
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Évoquons la Syrie maintenant. L’Iran est-il prêt à une confrontation directe avec Israël sur ce terrain-là ?
La question n’est pas de savoir si les Iraniens vont provoquer les États-Unis et Israël, mais plutôt l’inverse. Dans le contexte actuel, les Iraniens ne sont pas en position d’engager leur armée ou des actions contre Israël, que ce soit en Syrie ou directement contre l’État hébreu.
Je ne pense pas que la République islamique ira jusqu’à s’engager dans un conflit avec Israël ou les États-Unis, en Syrie ou ailleurs, dans les mois qui viennent. La seule raison qui expliquerait une attaque ouverte iranienne contre les forces américaines stationnées dans l’est de la Syrie ou contre les Israéliens, c’est si l’Iran est attaqué en premier.
S’il y a une guerre interne au sein de l’establishment, les Iraniens pourront tenter de frapper les positions américaines. Mais les Iraniens ne sont pas en train de provoquer les États-Unis. L’ayatollah Khamenei n’ira certainement pas jusqu’à jouer avec le feu. Le régime iranien n’est pas un régime suicidaire. Il est en place depuis 40 ans et n’a pas l’intention de se donner la mort en commettant une erreur qui lui serait fatale. Le pouvoir ne parie que s’il a une chance de gagner, ce qui n’est pas le cas ici.
L’Iran peut-il accepter de se retirer de Syrie ?
L’Iran est impliqué depuis sept ans dans le conflit syrien et a investi énormément d’hommes, d’argent et de ressources. Un investissement qui trouve sa source dans le mariage idéologique organisé entre l’ayatollah Khamenei et le régime baassiste d’Assad. Il s’agit d’un mariage d’intérêts. Ce n’est pas parce que la famille Assad est alaouite et donc chiite, comme le dit la théorie populaire, mais parce que c’est une question de partenariats géopolitiques.
La grande question aujourd’hui est de connaître l’intensité du contrôle que peut exercer l’Iran sur Bachar el-Assad. La Syrie n’est pas un problème existentiel pour l’Iran. Ce dernier a choisi de s’engager dans plusieurs conflits dans le monde arabe, mais il n’était pas obligé de le faire. La plupart des Iraniens ne comprennent pas pourquoi leur pays agit de la sorte et finit par payer le prix le plus élevé. L’exemple le plus frappant est celui de l’implication iranienne dans la question palestinienne. On pourrait se demander : l’Iran est-il plus utile pour les pays arabes et pour les Palestiniens s’il est à la tête d’une résistance armée ou s’il entame des négociations avec Israël en le reconnaissant, d’un côté, mais en imposant des conditions de traitement favorables aux Palestiniens, de l’autre ?
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On peut être pour ou contre le régime iranien, mais peut-on croire que d'infliger des sanctions peut avoir les mêmes conséquences que tout autres pays ?
23 h 33, le 25 mai 2018