Étouffer, isoler et mettre à genoux diplomatiquement et économiquement l’Iran. Voilà ce que l’on peut retenir du premier grand discours de politique étrangère du secrétaire d’État américain Mike Pompeo. Hier, à la Heritage Foundation de Washington, le chef de la diplomatie américaine a voulu définir la nouvelle stratégie de son pays vis-à-vis de l’Iran, deux semaines après que Donald Trump eut annoncé son retrait de l’accord nucléaire (dit JCPOA).
M. Pompeo n’a pas fait dans la demi-mesure. À l’image du président américain, le secrétaire d’État a accusé l’Iran de tous les maux tout en lui promettant la plus grande hostilité américaine à son égard. « Les États-Unis vont exercer une pression financière sans précédent sur le régime iranien, avec les sanctions les plus fortes de l’histoire », a-t-il annoncé hier. Il a par ailleurs promis de « traquer les agents iraniens et leurs supplétifs du Hezbollah à travers le monde pour les écraser ». « L’Iran n’aura plus jamais carte blanche pour dominer le Moyen-Orient », a-t-il ajouté. En ce sens, le secrétaire d’État a établi un lien, à l’instar de ce qu’avait fait précédemment Donald Trump, entre la signature de l’accord nucléaire et « le rôle déstabilisateur » de Téhéran dans la région. Selon eux, la levée des sanctions aurait permis à l’Iran de multiplier ses activités régionales.
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Retrait de Syrie, abandon du Hezbollah
Contrairement à Barack Obama, qui avait fait une nette distinction entre les négociations concernant le nucléaire et les dossiers régionaux, l’administration Trump considère que tout participe d’une même logique. Sans surprise, le secrétaire d’État a ainsi précisé hier les douze conditions pour la signature d’un nouvel accord avec l’Iran en incluant les questions qui ne relèvent pas du nucléaire.
Pour Washington, l’Iran doit cesser tout enrichissement d’uranium, fermer son réacteur à eau chaude et donner des accès sans conditions aux inspecteurs internationaux dans toutes les installations nucléaires du pays. La République islamique doit aussi mettre fin à la prolifération et aux tirs de missiles balistiques ou à capacité nucléaire. Surtout, et en ce qui concerne la politique régionale, Téhéran doit se retirer de Syrie et cesser de s’ingérer dans les conflits de la région, de soutenir les groupes considérés comme « terroristes » par les États-Unis, tels le Hezbollah, le Jihad islamique palestinien, les talibans afghans ou encore el-Qaëda. Plus encore, Téhéran ne doit plus s’ingérer dans les affaires de ses voisins, comme en Irak ou au Liban, ou d’en menacer d’autres, comme Israël ou l’Arabie saoudite. Ces conditions « peuvent sembler irréalistes », mais elles sont « basiques », a-t-il ajouté. Si ces dernières sont remplies, la Maison- Blanche est prête « à lever, à terme, les sanctions », à « rétablir l’ensemble des relations diplomatiques et commerciales avec l’Iran » et à « soutenir » l’économie iranienne.
Washington demande clairement à l’Iran de renoncer aux fondements de toute sa politique étrangère. D’abdiquer en quelque sorte et de se soumettre au desiderata américain. Les conditions sont tellement excessives qu’elles ferment la porte à toute négociation à court terme. Mais Washington semble au contraire considérer que, s’il est mis au pied du mur, Téhéran n’aura d’autres choix que d’accepter la proposition américaine. Pour réaliser son dessein, l’administration Trump aurait, selon des propos rapportés par l’AFP, l’idée de réaliser un scénario similaire à celui de la Corée du Nord. À savoir : isoler diplomatiquement et économiquement l’Iran pour le forcer à revenir à la table des négociations.
« Le discours pourrait être résumé comme suit : “Appelez-nous après que vous aurez abandonné ou aurez été renversés” », dit à L’Orient-Le Jour Ali Vaez, directeur du département iranien à l’International Crisis Group. Signe que le discours de Pompeo cache à peine la stratégie de « regime change » de l’administration Trump, le Pentagone a dit envisager hier de prendre de « nouvelles mesures » pour contrer l’influence de l’Iran au Moyen-Orient. « Nous sommes en train d’évaluer si nous allons redoubler nos mesures actuelles ou si nous allons mettre en œuvre de nouvelles mesures », a déclaré le colonel Rob Manning au cours d’un point presse. « L’Iran reste une force déstabilisatrice dans la région et nous ferons tout ce que nous pourrons pour éviter cela », a-t-il ajouté, sans plus de précisions.
Washington mise notamment sur une rébellion interne qui entraînerait la chute du régime. À l’instar de Donald Trump le 8 mai, Mike Pompeo s’est directement adressé au peuple iranien, en l’opposant à son régime : « Au bout du compte, le peuple iranien devra faire un choix sur ses dirigeants. » « Croire que revenir à une stratégie qui a échoué pendant quatre décennies va permettre de modérer les positions iraniennes revient à croire à l’existence des licornes », résume Ali Vaez.
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« Avec ou contre nous »
Le discours belliciste de Washington semble toutefois assez isolé sur la scène internationale. À l’exception d’Israël, qui a appelé hier à soutenir la politique américaine, et des monarchies du Golfe, la vision des États-Unis ne semble pas pouvoir convaincre d’autre pays, pourtant nécessaire à la formation de la coalition souhaitée par Washington. Alors que l’Union européenne fait tout son possible pour sauver l’accord nucléaire, quitte à provoquer des tensions dans la relation transatlantique, les Américains n’ont fait aucun geste en sa faveur. « Les entreprises qui font affaire avec l’Iran seront tenues responsables », a déclaré le secrétaire d’État, en allusion à la volonté européenne de contourner les sanctions américaines contre les entreprises souhaitant investir en Iran. « Le message de Trump à l’Europe est maintenant clair : “Rejoignez-moi, non pas pour changer le comportement de l’Iran, mais son régime” », explique Ali Vaez.
« Pour convaincre les Européens de rejoindre la cause américaine, Mike Pompeo aurait dû insister sur une application moins rigide et plus souple des sanctions extraterritoriales, mais c’est exactement le contraire qui se produit », décrypte pour L’OLJ Pierre Vimont, ancien ambassadeur de France aux États-Unis de 2007 à 2010.
La cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a directement répondu à M. Pompeo en martelant qu’il « n’y a pas de solution alternative à l’accord avec l’Iran ». « Le discours du secrétaire (d’État) Pompeo n’a démontré en rien comment le fait de se retirer du Plan d’action conjoint (JCPOA, le nom officiel de l’accord nucléaire iranien) avait rendu ou rendrait la région plus sûre de la menace de prolifération nucléaire ou comment il nous placerait dans une meilleure position pour influencer la conduite de l’Iran dans des domaines en dehors de la portée du JCPOA », a ajouté Mme Mogherini dans un communiqué. « Vous êtes avec ou contre nous », dit en quelque sorte l’administration Trump aux Européens. Cette stratégie pourrait s’avérer contre-efficace et contribuer à agrandir le fossé entre les alliés. « Contrairement à la guerre de 2003 avec l’Irak qui a divisé l’Europe, la fissure est maintenant au milieu de l’Atlantique. Le discours de Pompeo a encore prouvé qu’il n’y a pas de terrain d’entente à explorer avec l’administration Trump », ajoute Ali Vaez.
« Qui êtes-vous pour décider pour l’Iran et le monde ? Le monde aujourd’hui n’accepte pas que l’Amérique décide pour le monde car les pays sont indépendants », a résumé hier le président iranien Hassan Rohani. « Cette époque est terminée (...). Nous suivrons notre voie avec le soutien de notre nation », a surenchéri le président iranien, cité par l’agence de presse Ilna.
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commentaires (5)
c'est de nouveau l'impérialisme américain, mais en pire Trump veut diriger le monde !!! il y aura t-il de vrais pays pour lui résister ????
Talaat Dominique
18 h 28, le 22 mai 2018