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Moyen Orient et Monde - Décryptage

En Syrie, la fin de la lune de miel entre Moscou et Téhéran

Le Kremlin siffle la fin de la partie militaire pour les puissances étrangères stationnées en Syrie. Le moment semble choisi pour que le message soit bien compris par Téhéran.

Le président russe Vladimir Poutine rencontre le 23 novembre 2015 à Téhéran le guide suprême Ali Khamenei pour évoquer le conflit en Syrie. Photo/AFP

Moscou est en train de changer à nouveau les règles du jeu dans le conflit syrien. Se félicitant de « pourparlers assez approfondis » avec son homologue syrien Bachar el-Assad à Sotchi jeudi dernier, Vladimir Poutine a estimé qu’ « avec le début du processus politique dans sa phase la plus active, les forces armées étrangères vont se retirer du territoire syrien ». L’effet de surprise a laissé place hier aux explications de textes contradictoires. L’émissaire du Kremlin pour la Syrie, Alexandre Lavrentiev, a indiqué que la remarque présidentielle concernait « les Américains, les Turcs, le Hezbollah bien sûr et les Iraniens », tandis que le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a précisé par la suite que la remarque visait les troupes étrangères présentes en Syrie « de facto de manière illégitime du point de vue du droit international », excluant a priori l’Iran, « invité » par Damas.
Le message est équivoque, mais le timing choisi a de quoi mettre Téhéran dans l’embarras. La République islamique est actuellement mise sous pression, par la décision de Donald Trump de se retirer de l’accord nucléaire iranien et par les interventions israéliennes contre ses positions en Syrie. Si la question du nucléaire divise les pays occidentaux, la présence iranienne en Syrie est unanimement contestée, dans des termes plus ou moins forts. Ni les Occidentaux ni les monarchies du Golfe ne s’accommodent du gain d’influence de Téhéran en Syrie. Seule la Russie, l’autre parrain du régime, semblait jusqu’alors sur la même longueur d’ondes que l’Iran, profitant de la présence de ses hommes sur le terrain tout en tolérant l’influence iranienne sur le régime syrien.
 La visite de Benjamin Netanyahu à Moscou pour les célébrations du 9 mai 1945 a peut-être fait perdre à Téhéran son bouclier russe. Le Premier ministre israélien a répété son habituel refrain sur « l’obligation et le droit d’Israël à se défendre contre l’agression iranienne depuis le territoire syrien » et, probablement en privé, ses doléances rituelles pour que Moscou utilise ses leviers contre l’implantation iranienne à sa frontière nord. Le même jour, Israël menait sa plus grande intervention militaire en Syrie depuis plus de 40 ans. Silence radio à Moscou, qui avait pourtant été mis dans la confidence et qui dispose des moyens nécessaires pour empêcher les frappes militaires israéliennes. Début avril, Moscou avait pourtant condamné les frappes israéliennes sur l’aéroport T4, que Tel-Aviv n’avait pas signalé à l’avance au Kremlin. La visite de M. Netanyahu semble en ce sens avoir constitué un tournant et explique peut-être les déclarations de M. Poutine vis-à-vis des forces étrangères. À plusieurs reprises, Israël a fait savoir qu’il s’accommoderait du régime baassiste tant que sa priorité stratégique d’empêcher l’implantation iranienne durable à sa frontière septentrionale était respectée.


(Pour mémoire : Lieberman à Assad : Mettez les Iraniens dehors)


Un allié encombrant
La concordance entre les deux alliés ne signifie pas pour autant que Moscou a choisi son camp entre Téhéran et Tel-Aviv. Lorsque la Russie est intervenue en septembre 2015, le régime syrien semblait perdu. Vladimir Poutine a largement contribué à la déroute de l’opposition syrienne. Il veut désormais s’imposer comme le faiseur de paix sur la scène internationale, le « médiateur capable de parler avec à peu près tout le monde au Moyen-Orient », souligne pour L’Orient-Le Jour Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences Po Paris. Réfréner l’influence iranienne dans la région met justement beaucoup de monde d’accord. Que ce soit Tel-Aviv, Washington, Riyad ou d’autres capitales arabes. Si chacun s’est fait une raison quant au maintien, au moins provisoire, de Bachar el-Assad au pouvoir, Téhéran est le dernier obstacle majeur avant la reconnaissance internationale de la victoire russe en Syrie. En mars dernier, Mohammad ben Salmane avait soufflé l’idée dans une interview au Time. Le prince héritier saoudien avait reconnu que le président syrien restera au pouvoir, tout en espérant qu’il ne deviendra pas une « marionnette aux mains de Téhéran ».
La « diplomatie des sommets », dont le dernier épisode a eu lieu à Sotchi les 29 et 30 janvier dernier, est la dernière étape consistant à frapper du sceau politico-diplomatique ce qui a été obtenu par la force : la stabilité du régime syrien. Dans ce double objectif de sécuriser militairement le régime puis de le « normaliser » politiquement, Téhéran est à la fois le problème et la solution. Tirant avantage du vide laissé par la décision de Barack Obama de ne pas intervenir en Syrie, Vladimir Poutine a ramené la Russie au centre du grand jeu géopolitique à moindres coûts. Une flotte aérienne de deux ou trois dizaines d’appareils et 2 000 hommes. Cette démonstration de force bon marché n’aurait pas été possible sans les ressources humaines fournies par l’Iran. Des dizaines de milliers de mercenaires chiites ont grossi les bataillons exsangues de l’armée syrienne, tandis que les combattants du Hezbollah étaient affectés aux opérations les plus complexes. Moscou a collaboré avec l’Iran à la remise sur pied du régime syrien, tout en tolérant les frappes israéliennes qui contribuaient à ce que l’engagement iranien n’excède pas de trop de ce qui était nécessaire à la survie du régime de Bachar el-Assad.


(Lire aussi : Pour Damas, un retrait de l'Iran, de la Russie et du Hezbollah n'est "pas à l'ordre du jour")

Une feuille de route
Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, la confusion des autorités russes sur les forces étrangères en question s’explique par l’existence de deux écoles à Moscou. « Il y a ceux qui pensent que les Iraniens doivent rester car ils fournissent la chair à canon au sol. D’autres pensent qu’à trop s’appuyer sur les Iraniens, on aggrave les relations avec Tel-Aviv et on compromet la cohésion du régime syrien. Envoyer des signaux contradictoires permet de moduler l’équilibre nécessaire entre ces deux impératifs », souligne l’expert. Autrement dit, une fois le régime Assad complètement sécurisé militairement, l’Iran sera de trop. Le double langage de Moscou fait la synthèse entre les besoins du présent et les avertissements pour l’avenir. « Le Kremlin ne dit pas que tout le monde doit s’en aller maintenant. C’est davantage une feuille de route », explique Joost Hiltermann, de l’International Crisis Group.
D’autant que la présence iranienne en Syrie est diffuse et difficilement délimitable. Les gardiens de la révolution noyautent les forces armées syriennes et coordonnent une constellation de milices plus ou moins à leur solde. Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères Bahram Ghassemi a déclaré hier à des journalistes que « personne ne [pouvait] forcer l’Iran à agir contre sa volonté ». Même musique du côté de Damas, pour qui la présence iranienne, en plus de « finir le travail » sur le terrain, permet de relativiser le poids des Russes. C’est la présence combinée des Russes et des Iraniens qui maintient l’illusion de souveraineté, car Bachar el-Assad ne peut pas être complétement considéré comme un pion du Kremlin ou de Téhéran. Cité hier par l’agence de presse russe RIA Novosti, le vice-ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Mokdad a déclaré que le sujet du départ des forces iraniennes présentes en Syrie n’était « même pas à l’ordre du jour ».

Fin de partie générale
Si le contexte des déclarations russes semble choisi pour interpeller Téhéran en priorité, les propos concernent, à la marge, l’ensemble des acteurs étrangers impliqués en Syrie. « C’est l’habileté de la phrase sibylline (de Peskov). On pense à l’Iran, mais les États-Unis et la Turquie sont également impliqués. Les différentes zones d’influence étrangères pourraient se transformer en protectorats militaires, menaçant l’intégrité territoriale de la Syrie et la stabilité du régime de Bachar el-Assad », souligne Igor Delanoë.
La déclaration de M. Poutine pourrait aussi faire office d’avertissement à l’intention de Bachar el-Assad, qui se laissant porter par l’assistance militaire, rechigne à coopérer avec ledit « processus politique » parrainé par Moscou à Astana et Sotchi. Selon Bertrand Badie, « c’est un chantage subtil sur Assad. Poutine ne veut pas que les forces étrangères le dispensent éternellement de prendre des initiatives politiques dans son pays ». « Un des objectifs du meeting de jeudi dernier était de faire en sorte que le président syrien joue le jeu avec ce qui a été mis au point à Sotchi, notamment la rédaction d’une nouvelle Constitution. Les choses ont été gelées à cause de la mauvaise foi du régime », ajoute M. Delanoë. Rouslan Mamedov, du Conseil russe pour les affaires internationales, un think tank du pouvoir russe, ne semble pas invalider cette hypothèse : « Le message est double. Il y a les troupes américaines et turques qui sont là illégalement d’après le droit international et doivent être retirées. Et il y a les forces qui sont là légalement mais qui peuvent être restreintes. La présence russe est légale et n’est pas sujette à question. Les bases de Lattaquié et de Tartous sont des éléments-clés de la sécurité du Moyen-Orient et de la Syrie elle-même. Mais elle peut être limitée dans certaines zones. »


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Moscou est en train de changer à nouveau les règles du jeu dans le conflit syrien. Se félicitant de « pourparlers assez approfondis » avec son homologue syrien Bachar el-Assad à Sotchi jeudi dernier, Vladimir Poutine a estimé qu’ « avec le début du processus politique dans sa phase la plus active, les forces armées étrangères vont se retirer du territoire...
commentaires (7)

Des voeux pieux comme ceux qui annonçaient le départ du HÉROS en 2011. La bêtise a la dent dure.

FRIK-A-FRAK

19 h 10, le 24 mai 2018

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Commentaires (7)

  • Des voeux pieux comme ceux qui annonçaient le départ du HÉROS en 2011. La bêtise a la dent dure.

    FRIK-A-FRAK

    19 h 10, le 24 mai 2018

  • Même la fin d'une l'une de miel peut aboutir à des petits bambins qui nous donneront d'énormes maux de tête...

    Wlek Sanferlou

    18 h 45, le 24 mai 2018

  • Héhé....

    Christine KHALIL

    10 h 18, le 24 mai 2018

  • L ignominieux boucher de Damas s est servi des iraniens comme cher a canon pour se maintenir au pouvoir et maintenant les trahit..a esperer que TEHERAN fera payer tres cher cette trahison...

    HABIBI FRANCAIS

    10 h 08, le 24 mai 2018

  • C’était prévu... La lune de miel finira pour la simple raison que la Russie est anti-islamiste a outrance, même si, comme le dit si bien l'article, elle s'est servi des Chiites (Iraniens, Libanais, Afghans, etc...) comme chair a canon. A présent nous nous approchons des jours ou il faut négocier. Bachar ne pourra continuer sa guerre de récupération puisqu'il a maintenant en face les puissances soutenant les autres composantes du conflit. Il lui faudra bientôt choisir, les Russes ou les Iraniens. S'il choisit les Russes, il devra alors se battre contre les Iraniens et le Hezbollah car ils ne quitterons pas la Syrie sans en avoir tirer profit. Or le profit attendu est de voir la Syrie dans le giron du Fakih et je vois mal cela arriver. S'il choisit les Iraniens, la Syrie se retrouvera au début de ses malheurs et a mi-chemin de la destruction totale. Je n'aimerais pas être a sa place car dans les deux cas il sera discrédité.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 45, le 24 mai 2018

  • ILS VONT PARTIR BON GRE OU MAL GRE !

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    07 h 37, le 24 mai 2018

  • ça m'étonnerait que ce soit une fin de lune de liel. Quand on sert un dictateur, un criminel on ne peut rompre la complicité qui a été leur conduite jusqu'ici. La Syrie est dévastée et il n'y a aucun bénéfice a en tirer

    FAKHOURI

    06 h 01, le 24 mai 2018

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