C’est incroyable comment l’être humain peut parfois se contenter de peu, de très peu. Comment il est capable de niveler par le bas. C’est fou comme nous, au Liban, nous excellons en la matière. Nous sommes passés, en l’espace d’un demi-siècle, de l’élégance à la vulgarité, de la qualité à la médiocrité, de l’exigence à la résignation, du professionnalisme à l’incompétence dans toute sa splendeur. Et nous aimons ça. Sans rechigner, nous avalons n’importe quoi. L’indigeste, l’arnaque, la corruption, la saleté, la nullité.
Il fut un temps où nous étions un berceau de culture. Une culture non pas élitiste, mais populaire. Que ce soit en musique, au cinéma ou même à la télé, nous étions une référence. Même si nous avons, fort heureusement, encore des artistes de haut niveau, un cinéma intelligent, quelques émissions intéressantes et une musique indépendante qui n’a rien à envier à ce qui se fait ailleurs, l’imposante majorité de ce qui nous est proposé maintenant est nullissime. Certaines chanteuses de bas étage ne savent plus quel sein siliconé dévoiler, ne savent plus à quelle autre chanteuse ressembler. Leurs cordes vocales sont quasiment inexistantes et leur talent se résume à minauder des paroles stupides sur une musique sirupeuse d’ascenseur. La grande partie des films en salle sont d’un niveau accablant et tout le monde se veut aujourd’hui curator, designer, artiste, peintre ou écrivain.
Mais comment le leur reprocher quand le pays entier et tous ceux qui sont censés le représenter sont aussi mauvais qu’elles et que leurs consorts masculins. Demain dimanche, la majeure partie des Libanais ira voter pour des politiques qui, pour la plupart d’entre eux, continueront à ne rien faire. Des candidats qui nous ont inondés de leurs gueules, de messages et de coups de fil, pensant probablement que ça nous donnerait envie de glisser leur nom (pardon leur liste) dans l’urne. On s’étonne ensuite que le pays aille à la dérive. L’avantage avec la fin des élections, c’est que nous n’aurons plus à choisir, en allumant le tube cathodique, entre une interview vaseuse et une émission pourrie où se pavanent des gens qui ont payé leur temps d’antenne.
À quel moment avons-nous basculé dans cette boue de débilité absolue ? À quel moment avons-nous troqué notre beauté orientale pour ce physique à la fois plouc et vulgaire ? Pour cette overdose de chirurgie plastique, ces tenues improbables, ce culte du corps occidental où les hanches n’ont pas lieu d’exister et où les pommettes doivent être saillantes. À quel moment avons-nous choisi comme références des soi-disant influencers à la place de journalistes confirmés ? À la place de véritables spécialistes de la mode, de la santé ou de l’hygiène de vie ?
Parlons-en de ces jeunes filles qui s’auto-intronisent influencers. C’est déjà assez aberrant de dire de soi qu’on influence les autres. Et plus aberrant encore, le nombre de followers qui s’extasient devant ces nobody qui passent leur temps à prendre des selfies pour exhiber leurs tenues vestimentaires, leur repas du jour, les cadeaux qu’elles reçoivent des marques qui les sponsorisent et leurs journées vides d’intérêt. Il fut un temps où les petites filles et les petits garçons rêvaient d’embrasser la carrière d’artistes fascinants. Aujourd’hui, ils rêvent de make-up, de nez refait, de corps sculptés et de succès rapide. Aussi éphémère soit-il.
Ailleurs, le monde de la blogosphère a explosé depuis un certain moment. Mais qui dit blog, dit écriture, recherche, réflexion, intelligence. Sauf que les blogueuses et autres véritables influencers ou leaders d’opinion par leur pensée ont été supplantées par the girl next door qui a décidé un matin d’automne qu’elle changerait le monde en donnant des conseils beauté ou en expliquant qu’elle était devenue « health coach » après avoir fait un régime. Idem pour les adeptes de sport qui sont devenus en l’espace d’un an, après avoir fait quelques séjours en salle de musculation, personal trainers. Sans parler de tous ces nouveaux analystes politiques que l’on voit débouler sur les réseaux sociaux. Ces wanna be journalistes qui décryptent tout et n’importe quoi, avachis dans leur canapé.
Nous en sommes arrivés là. À trouver normal de manger mal pour très cher, de payer des scolarités exorbitantes pour un enseignement moyen, de swiper sur des comptes Instagram inutiles où chacun prend une pose de yogi ou de Cindy Crawford de pacotille, de lire des statuts inintéressants bourrés de fautes d’orthographe et de points d’exclamation ; et des check-in au Cedar Lounge de l’AIB, sur Facebook.
Et ça ne va pas s’arranger de sitôt. Il suffira de voir, demain, les résultats des élections.
commentaires (7)
Eh ouais c'est dur de réaliser qu'on sert plus à rien
camel
12 h 52, le 05 mai 2018