Les portraits des vingt-huit diffusés hier sur les réseaux sociaux dans ce qui ressemble à une « hit-list ».
Les opposants chiites au Hezbollah essuient chroniquement des accusations d’affiliation aux ambassades de pays hostiles à l’Iran, comme l’Arabie saoudite, ou de pays diabolisés – du moins officiellement – par le Hezbollah, comme les États-Unis. En 2015, la formule de « chiites de l’ambassade » a été introduite dans la rhétorique du Hezbollah par son secrétaire général Hassan Nasrallah, qui y a apposé le qualificatif de « traîtres ».
C’est en résonance à cette mise en accusation, et quelques jours après le passage à tabac du journaliste Ali el-Amine, candidat au Liban-Sud III, devant son domicile à Chakra, que les milieux du Hezbollah ont rendu publique, dans l’édition d’hier du journal al-Akhbar, une liste de vingt-huit « opposants chiites » que les Émirats arabes unis auraient envisagé de sponsoriser. Ces opposants sont profilés en quelques lignes dans un rapport de l’ambassade des Émirats à Beyrouth, qui met en avant leur engagement contre le tandem Hezbollah-Amal. Ce rapport aurait été élaboré suite à une demande, datant du 19 décembre 2017, du ministère des Affaires étrangères émirati, selon le quotidien.
Les opposants cités sont : Ghaleb Yaghi, Harès Sleiman, Mona Fayad, Hoda Husseini, Moustapha Fahs, le journaliste Ali el-Amine, Mohammad Barakat, Imad Komeiha, Hadi el-Amine, Hasan el-Zein, Saër Ghandour Waddah Charara, Omar Harkous, Ahmad Ismaïl, Mounif Faraj, Lokman Slim, Malek Mroué, Nadim Koteiche, Ziad Majed, Saoud el-Maoula, Farouk Yaacoub, Abbas Jawhari, Sobhi Toufeily, les anciens ministres Mohammad Abdel Hamid Beydoun et Ibrahim Chamseddine, l’ancien député Salah Haraké, Ahmad el-Assaad et le député sortant Okab Sakr.
Cette liste couvre notamment des candidats aux législatives menant campagne dans les fiefs du Hezbollah contre son hégémonie. Ont été exclus les candidats qui, bien que rivalisant avec le Hezb sur la forme, ne l’affrontent pas sur le terrain stratégique.
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Le document retient ainsi le nom de Ghaleb Yaghi, candidat à Baalbeck-Hermel sur la liste chapeautée par Yehya Chamas et soutenue par le courant du Futur et les Forces libanaises (le seul de cette liste à être cité dans le rapport, le seul à tenir un discours qui va au-delà du programme socio-économique auquel se limitent ses colistiers) ; l’ancien député Salah Haraké, candidat sur la liste des FL et du PSP à Baabda, principale figure d’opposition chiite dans ce caza ; enfin – cela est particulièrement significatif –, des quatre listes rivales du Hezbollah au Liban-Sud III, seules les deux listes incluant des chiites stratégiquement opposés au Hezbollah ont vu leurs candidats cités dans le rapport : outre Ahmad el-Assaad, qui a formé sa propre liste, les membres de la liste de Ali el-Amine sont cités dans leur intégralité, en l’occurrence son nom et celui de ses deux colistiers Imad Komeiha et Ahmad Ismaïl.
Quelques-uns de ces opposants, contactés par L’Orient-Le Jour, ont unanimement dénoncé « le ridicule » de l’article d’al-Akhbar. D’abord à cause d’erreurs flagrantes : par exemple, le journaliste Nadim Koteiche est présenté à tort comme étant le gendre de Salah Haraké, précise celui-ci à L’OLJ, en déplorant « la propagande ». Il y a ensuite une inadéquation de la titraille (« Les émirats étudient les financements des candidats des opposants chiites ») avec le contenu du rapport, qui ne fait état à aucun moment d’un appui à caractère électoral, et encore moins financier, des émirats aux personnes mentionnées.
Sur le fond, ces indépendants n’y voient rien de compromettant à leur égard. « Ce rapport ne fait que dresser un état des lieux, comme le ferait toute ambassade », constate par exemple le journaliste Malek Mroué, qui n’y voit du reste aucune preuve de liens établis entre l’ambassade émiratie et les personnes mentionnées. Certains n’ont jamais mis les pieds à l’ambassade, ou n’en connaissent aucun diplomate. Ali el-Amine, lui, était jusqu’à il y a deux mois interdit d’entrée aux Émirats arabes unis, dans la suite des mesures vexatoires prises par des pays du Golfe contre des ressortissants chiites du Liban. Faut-il rappeler par ailleurs que « les indépendants chiites, comme Ghaleb Yaghi à Baalbeck-Hermel, souffrent financièrement au point de ne pouvoir embaucher des délégués aux bureaux de vote, ni accrocher des affiches électorales décentes ? », selon Harès Sleiman. Et que souvent certains actes de diplomates du Golfe sont injustement associés aux opposants chiites, comme l’a été la visite effectuée par l’ambassadeur émirati et le chargé d’affaires saoudien à Baalbeck-Hermel il y a deux semaines, instrumentalisée par le Hezbollah contre ses rivaux chiites, alors qu’elle ne servait qu’à resserrer les rangs sunnites. Faut-il souligner, enfin, comme le fait un chiite indépendant ayant requis l’anonymat, que « le véritable chiite de l’ambassade, sous l’ère d’Obama et de l’accord sur le nucléaire iranien, n’était autre que le Hezbollah ? ».
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Si les indépendants banalisent le document qui les vise, c’est parce que l’essentiel en est le message politique du Hezbollah : diaboliser les opposants en vue de justifier éventuellement leur lynchage, physique ou autre. Cette méthode, Omar Harkous, ancien journaliste de la Future TV, en a subi la violence en 2009. La guerre médiatique menée contre lui a fait de lui, aux yeux des partisans du Hezbollah et de ses acolytes, un « traître sioniste » à éliminer. Couvrant un jour une manifestation prosyrienne à Hamra, une foule s’est acharnée sauvagement sur lui.
Contacté par L’OLJ, il dit avoir été contraint de quitter le pays, pour protéger sa vie et celle de ses proches. « Les articles dirigés personnellement contre moi ont affecté le cours de ma vie au Liban. Ces gens-là ont une haine contre tous ceux qui s’opposent à eux. Aujourd’hui, je crains pour les opposants au Liban, surtout ceux qui, dans le Sud, sont seuls : sans communauté qui les protège, ni partis, ni conjoncture politique… Je pense à Ahmad Ismaïl, fonctionnaire d’État sans cesse intimidé, et à Ali el-Amine. »
De l’avis de plusieurs indépendants chiites, l’article publié par al-Akhbar est en réaction à la vague d’indignation suscitée par l’agression de partisans du Hezbollah contre Ali el-Amine. « Les hommes qui ont déboulé pour m’agresser, sur ordre du Hezbollah, avaient pour but initial de me forcer à prendre la fuite, de sorte à ce qu’on rapporte le lendemain, dans la presse, que j’ai fui mon propre village. C’est la méthode de l’humiliation personnelle dont le Hezbollah est adepte. J’y ai résisté, et cet incident a créé l’effet contraire à celui escompté, ce qui a dû leur déplaire. »
Pour le chercheur Lokman Slim, si la nouvelle escalade de violence du parti chiite a un avantage, c’est de rappeler que « le Hezbollah est un parti néofasciste. Et de le rappeler précisément aux parties libanaises, qui toutes ont fini par l’oublier ».
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La résistance envers un pays qui tente d'occuper notre pays le Liban est une chose honorable ! Laisser un autre envahisseur surnois occuper notre patrie le Liban sous couvert aussi de "résistance" et avec la collaboration d'un parti soi-disant libanais...pour réaliser des projets d'expansion et de domination dans la région du Proche Orient, n'est en rien comparable...et c'est de la haute trahison tout simplement...! Irène Saïd
20 h 24, le 25 avril 2018