C’est de son lit d’hôpital de Tebnine que le journaliste et candidat Ali el-Amine, rédacteur en chef du site al-Janoubia et opposant notoire au Hezbollah dans son Liban-Sud natal, raconte hier à L’Orient-Le Jour l’agression qu’il a subie le matin même, dans son village de Chakra (caza de Bint Jbeil). « J’étais en train d’accrocher une affiche électorale sur un poteau à quelques mètres de mon domicile, raconte le journaliste, qui assure n’avoir pas reçu de menaces au préalable. J’avais tenu à le faire personnellement afin de n’exposer personne à d’éventuelles confrontations. Un jeune homme passe alors sur sa motocyclette et m’intime de décrocher ma photo. Quand je lui en demande la raison, il me dit textuellement qu’il est interdit d’exhiber des photos d’agents. Je lui demande alors qui il est, il me répond qu’il est du Hezbollah. Mais ma position était claire, je ne bougerai pas de là. »
Selon Ali el-Amine, le jeune homme est alors rejoint par plus d’une trentaine – sinon une quarantaine – d’hommes. « Je recevais des coups au visage et à différentes parties du corps, raconte-t-il. Aux coups s’ajoutaient les insultes. J’ai cependant choisi la confrontation et refusé d’obtempérer. Je me suis retrouvé sur le bord de la route, presque inconscient. Des proches m’ont emmené dans une maison voisine. »
Le journaliste est rapidement hospitalisé, conduit à l’hôpital de Tebnine par des proches. « J’ai une dent cassée en raison des coups reçus sur le visage, affirme-t-il. J’ai terriblement mal au dos et je sens des contusions au visage. » Que se passera-t-il à partir de là ? « J’ai déjà déposé plainte contre le Hezbollah, je considère que c’est ce parti qui est responsable de tels agissements, pas les individus qui les ont perpétrés sur le terrain », déclare-t-il.
Et la libre expression ?
Le Hezbollah, justement, n’a pas publié de réaction officielle hier pour commenter l’incident. Cependant, une « source du Hezbollah » a indiqué à la LBCI que « ce genre d’incidents est commun en période électorale », rappelant, à titre d’exemple, « les coups de feu sur un convoi (du député et candidat du Hezb) Hussein Hajj Hassan » et « condamnant tout recours à la violence ».
Interrogé par L’OLJ sur l’incident, Ali Farès Saleh, président du conseil municipal de Chakra, en minimise au maximum la portée. « Nous considérons cet incident comme de nature individuelle, assène-t-il. Cela fait une semaine que ce candidat mène campagne tambour battant dans le village et personne ne l’a approché. Même s’il ne nous a pas notifiés de ses activités, nous l’avons toujours laissé faire. »
Ali el-Amine certifie pourtant que ses agresseurs ont précisé faire partie du Hezbollah… M. Saleh réaffirme que l’incident est « individuel », selon lui, qu’il y a eu anicroche suite à des « insultes proférées » entre les protagonistes. « Le Hezbollah est plus intelligent que de s’impliquer dans des incidents pareils, affirme-t-il. Ce n’était rien de prémédité. » Il ajoute : « Six listes se font la compétition dans la circonscription et personne n’a encore agressé quelqu’un. Pourquoi cette animosité soudaine contre un candidat? Ce n’est pas logique. »
Ces propos sont démentis par un colistier de M. el-Amine, Ahmad Ismaïl, qui, en marge d’une visite à ce dernier à l’hôpital, a affirmé ce qui suit à l’ANI : « Au début, la municipalité a voulu nous empêcher d’accrocher nos affiches, mais elle a fini par l’autoriser après des contacts que nous avons effectués auprès des autorités compétentes. Nous avons cependant été surpris par cette attaque préméditée orchestrée par des membres du Hezbollah. »
Mais pourquoi, justement, le Hezbollah aurait-il intérêt à envoyer pareil message à un candidat opposant notoire à sa politique dans la circonscription ? Pour Ali el-Amine, il ne fait pas de doute que « l’idée est de décourager toute personne qui veut exprimer librement son opposition à ce parti, lui faire comprendre que cela lui coûterait cher ». Quelles répercussions sur le scrutin selon lui ? « Je ne peux encore en déterminer la portée pour sûr, répond-il. Il y a beaucoup de peur, c’est certain, mais peut-être qu’il susciterait aussi la réaction contraire. Il faut voir. Notre lutte se poursuit toutefois jusqu’aux élections, et même au-delà. »
(Lire aussi : L’apartheid du Hezbollah, l'édito de Ziyad Makhoul)
Solidarité
Dans sa liste incomplète, « Ras-le-bol des paroles », au Liban-Sud III (Bint Jbeil-Nabatiyé-Marjeyoun-Hasbaya), Ali el-Amine a pour colistiers les chiites Ahmad Ismaïl, Imad Komeyha et Rami Ollaik, ainsi que le grec-orthodoxe Fadi Salamé, des Forces libanaises. Dans un communiqué, les membres de la liste ont assuré « poursuivre la campagne électorale avec d’autant plus de détermination après cette agression ».
Dans une vidéo diffusée dans la journée, M. el-Amine indiquait qu’il avait été empêché de quitter la localité de Chakra. Il y qualifiait ses assaillants de « voyous ». « Ce sont vos amis du Hezbollah qui sont les vrais voyous », a-t-il dit, s’adressant au chef de l’État Michel Aoun. « J’ai été agressé parce que je collais des affiches à mon effigie malgré les menaces dont j’ai été l’objet », a-t-il déclaré à la Commission de supervision des législatives.
Plusieurs réactions de politiciens se sont succédé hier, en signe de solidarité avec M. el-Amine. Le courant du Futur a condamné cette agression, dénonçant « les intimidations contre les citoyens ». La députée Bahia Hariri a contacté le candidat pour lui exprimer sa solidarité. Dans une déclaration, elle a estimé que « cette agression contre un journaliste et candidat vise l’essence de tous les concepts de liberté, de démocratie et de droit à la différence qui sont la caractéristique du Liban ». « Il semble cependant que certains ne voient qu’eux-mêmes et n’écoutent que leur voix », a-t-elle ajouté.
« L’agression contre Ali el-Amine est un exemple de plus de l’oppression exercée par les armes illégales contre les armes de la parole libre », a déclaré pour sa part le député Samy Gemayel, président du parti Kataëb. Dans son tweet, M. Gemayel dénonce « l’absence effarante de l’État qui laisse ses fils exposés au danger d’exprimer une position politique opposante et libre ». Et dans un tweet cinglant, l’ancien ministre Achraf Rifi, lui-même candidat à Tripoli et farouche opposant au Hezbollah, a dénoncé « cette agression qui rappelle les méthodes de Daech, perpétrée par des partisans du Hezbollah ». « Il s’agit d’un véritable crime par un agresseur qui s’autorise l’élimination de l’autre », a-t-il poursuivi. Et l’ancien député Farès Souhaid, candidat à Kesrouan-Jbeil, a estimé, dans un tweet également, que « l’agression contre el-Amine requiert une intervention personnelle du président de la République, afin de préserver la liberté d’expression au Liban. Dénoncer ne suffit plus ».
Rappelons que durant la campagne 2018, le cheikh Abbas Jawhari, connu pour son opposition au Hezbollah, a été, selon lui, empêché de présenter sa candidature à Baalbeck-Hermel. Les tentatives d’intimidation avaient aussi marqué les élections de 2009 : le candidat Ahmad el-Assaad, fondateur de l’Option libanaise, en avait fait les frais. La voiture de l’un de ses partisans avait notamment été incendiée dans la banlieue sud.
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commentaires (7)
Ali AlAmine aurait peut être dû donner la clé de sa maison au hezb comme nos bon héros de kesrouan. Ali al amine a le courage et la conviction qui manquent à beaucoup. Allah yisseiidna
Wlek Sanferlou
13 h 45, le 23 avril 2018