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Lifestyle - Société / Interview

A Beyrouth, un salon de beauté refuge pour la communauté gay

Éprise de liberté, Kim Mouawad parle du salon de beauté qu’elle vient d’inaugurer et qui dynamite les frontières entre les genres et les orientations sexuelles. Dans ce lieu, elle souhaite que les LGBTQ, en particulier les transsexuels et les drag queens, trouvent un refuge, loin des regards emplis de jugement auxquels cette communauté n’a pas cessé d’être assujettie.

Out, un salon de beauté qui bannit les différences. Photo DR

Sur l’un des murs du salon de beauté, dans le quartier Monot, sont placardées des photos de Ellen DeGeneres, Tim Cook (PDG d’Apple, qui a fait son coming-out), Ru Paul (le flamboyant drag queen américain), Marc Jacobs, ou encore du Libanais Bassem Feghali. Aux yeux de Kim Mouawad, la fondatrice de cet établissement, ce sont autant de figures qui inspirent par leur courage, qui ont brandi une réalité qui est la leur, au lieu de la dissimuler sous le tapis du déni et des pressions sociales. Cela dit, il ne faut ne pas confondre ce salon de beauté avec un fief de militantisme pour la cause LGBTQ. La jeune Libanaise, audacieuse et pour qui la liberté n’existe qu’en noir ou blanc, jamais dans des tons de gris, imagine plutôt un salon où la beauté est célébrée dans toutes ses nuances. Un espace où les marges prennent pouvoir, s’aiment et se font aimer. Ici, la communauté LGBTQ, les drag queens incluses, peuvent ainsi bénéficier de tous les services de mise en beauté dont elles se sentaient exclues, loin des jugements de la société libanaise, encore trop homophobe et hétéronormative. Entretien. 

Quel a été le déclenchement de l’idée de « Out », ce lieu que vous décrivez comme un refuge pour la communauté LGBTQ libanaise ? 
Ça a été la résultante d’une somme d’événements. D’abord, je m’ennuyais ferme dans la compagnie de télécoms où je travaillais. En même temps, j’ai vécu de près le coming-out de mon frère de 25 ans. À ce moment, il avait choisi de quitter la maison pour ne pas nous importuner. Son raisonnement m’avait mise hors de moi, je trouvais ça tellement injuste et je comprenais surtout l’ampleur de ce geste, au Liban plus qu’ailleurs. C’est un moment bouleversant et crucial pour un homosexuel ou une lesbienne qui, comme première réaction, se sentent coupable, sous la pression sociale. J’ai donc voulu monter un lieu où la communauté LGBTQ n’a pas besoin de fuir ou se cacher comme la société libanaise le leur impose d’accoutumée. Un espace, au contraire, qui soit pour eux un territoire de puissance. 

Pourquoi un salon de beauté en particulier ? 
Les salons de beauté, comme on les conçoit au Liban, en plus d’être des lieux majoritairement réservés aux femmes, ont longtemps été animés par une forme de jugement envers les hommes qui les fréquentent. À ceux qui voulaient, par exemple, se faire épiler, les employés se permettaient des remarques embarrassantes et des sourires en coin. Les transsexuels et les drag queens n’osent même pas s’y rendre, alors que ces salons sont supposés être des espaces cruciaux pour la préparation des personnages qu’ils se construisent. Ils sont au mieux moqués et regardés de travers, au pire agressés. Out est donc un lieu où la beauté – sous toutes ses formes – est célébrée, un lieu où l’on prend plaisir à s’imaginer comme on le désire, où l’on apprend à s’aimer et à aimer les différences. 

Avant « Out », quelles étaient les conditions dans lesquelles les drag queens et les transsexuels devaient se préparer ? 
Ce sont des gens qui sont contraints à vivre très reclus, qui ne s’autorisent que des sorties nocturnes dans certains cercles très restreints où ils se sentent en confiance, de peur de se faire harceler et tabasser. Quant à la préparation de leurs costumes, maquillage et coiffure, qui requiert un talent et un temps monstres, ils étaient forcés à se débrouiller à apprendre seuls, via YouTube. Chez Out, nous avons une maquilleuse spécialisée pour les drag queens, nos employés ne trouvent rien de bizarre aux demandes de nos clients, et tout est mis en œuvre pour que tout le monde se sente à l’aise et accepté. 

On vient chez vous pour quels services en particulier ? 
Ça peut aller d’une simple manucure – car le lieu n’est pas strictement destiné aux services un peu plus farfelus – à une épilation, un traitement de la peau, ainsi que toutes la panoplie de techniques requises pour la préparation des drag queens. C’est un salon que je qualifie de gender fluid, où il n’y a aucune ségrégation entre féminité et masculinité et orientations sexuelles. 

Il y a également des clients hétérosexuels qui fréquentent le salon. Quel est généralement leur regard envers les différences auxquelles ils ne sont pas confrontés d’accoutumée ? 
Je crois que l’homophobie et la transphobie, qui sont des formes de peur, proviennent d’une certaine ignorance. Dans une société comme la nôtre, à force de marginaliser et d’écarter les LGBTQ, est née la diabolisation de cette communauté qui n’a fait qu’accroître avec le temps. J’ai moi-même grandi avec la conviction que pédé était une insulte, mais c’est en se frottant aux différences qu’on les dédramatise et qu’on finit par les accepter. C’est ce qui est en train de se produire au sein de Out, les clients hétérosexuels, cohabitant avec des homos, des transsexuels, des drag queens, s’habituent avec tout un monde qui leur était étranger. Pour l’anecdote, c’est le gardien du parking d’en face qui, aujourd’hui, 4 mois après l’inauguration du salon, accourt pour aider les drag queens à sortir lorsqu’elles sont perchées sur leurs talons. Ce brassage est fabuleux.

Ressentez-vous un progrès au niveau de l’acceptation des différences par la société libanaise ? 
D’un côté, lorsque je témoigne d’évènements pareils et des réactions positives des clients et du voisinage de Out, je me dis qu’il y a de l’espoir en un progrès au niveau de la tolérance. Mais en même temps, il faut se rendre à l’évidence : l’homosexualité n’a toujours pas été décriminalisée, et la communauté LBTQ est sujette à toutes formes de discrimination. Il est quasiment impossible pour un transsexuel de se faire employer au Liban… Mais il faut commencer quelque part. Déjà, je suis fascinée par le courage de tous ceux qui osent brandir leur réalité, qui est une différence aux yeux des autres. Le réel pouvoir est entre leurs mains. 

Ne craignez-vous pas d’être en train d’exclure davantage cette communauté déjà assez marginalisée ? 
Au contraire, comme je le disais, notre but est de créer une plateforme de brassage entre les hétérosexuels et la communauté LGBTQ, toutefois dans un lieu où cette dernière ne se sent pas diminuée. En général, dans les endroits qu’on appelle gay friendly, l’appellation même indique qu’on est dans un espace hétéro normé où les LGBTQ sont acceptés. Ici, la donne est un inversée : ce sont les hétéros qui viennent dans le refuge de ceux qui n’ont pas cessé d’être mis à l’écart. 


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Sur l’un des murs du salon de beauté, dans le quartier Monot, sont placardées des photos de Ellen DeGeneres, Tim Cook (PDG d’Apple, qui a fait son coming-out), Ru Paul (le flamboyant drag queen américain), Marc Jacobs, ou encore du Libanais Bassem Feghali. Aux yeux de Kim Mouawad, la fondatrice de cet établissement, ce sont autant de figures qui inspirent par leur courage, qui ont brandi...

commentaires (2)

C'est un nom en anglais "Out" et je pense que la perception c'est qu'on fait référence vers le monde américain (Ellen DeGeneres, Tim Cook ...) mais n'est-ce pas le moyen-orient, les phéniciens, les grecques, les égyptiens, qui donnent plusieurs références à la transsexualité ? Cela étant dit, c'est un peu dommage qu'on utilise l'anglais à Beyrouth.

Stes David

09 h 13, le 24 avril 2018

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Commentaires (2)

  • C'est un nom en anglais "Out" et je pense que la perception c'est qu'on fait référence vers le monde américain (Ellen DeGeneres, Tim Cook ...) mais n'est-ce pas le moyen-orient, les phéniciens, les grecques, les égyptiens, qui donnent plusieurs références à la transsexualité ? Cela étant dit, c'est un peu dommage qu'on utilise l'anglais à Beyrouth.

    Stes David

    09 h 13, le 24 avril 2018

  • Audacieuse idée pour une société qui doit accepter les anomalies modernes .

    Antoine Sabbagha

    19 h 24, le 23 avril 2018

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