Un quartier complètement détruit de la ville de Douma. Photo AFP
« Il est vrai que la Syrie a perdu sa jeunesse et son infrastructure, mais elle a en revanche gagné une société plus saine et plus homogène », affirmait le président syrien Bachar el-Assad, dans un discours en août 2017.
Si le pays comptait 21 millions d’habitants au début du soulèvement en 2011, près de six millions de Syriens ont dû prendre le chemin de l’exil. Et à l’intérieur même du pays, les changements de population redessinent la carte démographique, surtout avec les évacuations forcées de populations hostiles au régime à mesure que ses troupes gagnent du terrain. S’ils ne partaient qu’avec quelques maigres bagages, les Syriens déplacés de force, dont le dernier exemple en date est celui des habitants de la Ghouta, bastion rebelle proche de Damas qui vient d’être repris par le régime, gardaient encore l’espoir de regagner un jour leurs foyers. Jusqu’à la promulgation, le 2 avril, d’une loi numéro 10 qui ouvre la voie à des expropriations de masse, et devrait ainsi permettre au pouvoir d’imposer des changements inéluctables sur le terrain.
Selon le texte de cette loi, les autorités pourront créer des zones administratives locales dans les secteurs qu’elles contrôlent et qui sont situés hors du plan directeur, pour les régulariser, dans le but évident de les reconstruire. Les propriétaires de terres ou de maisons dans ces zones auront trente jours à partir de la proclamation officielle de chaque zone pour présenter leurs titres de propriété aux autorités, faute de quoi l’État peut saisir leurs biens. Les Syriens qui ne sont pas présents physiquement pourront faire une procuration à leurs proches. À l’expiration du délai, les biens dont les propriétaires ne se sont pas manifestés « seront vendus aux enchères », d’après l’article 31 de cette loi.
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Conditions rédhibitoires
« Cette loi inique revêt un caractère extrêmement dangereux et pave la voie à un changement démographique, affirme l’avocat et défenseur des droits de l’homme syrien Michel Chammas. Et le délai de trente jours donné aux propriétaires est trop court. » Il relève que la loi demande aux propriétaires de biens d’extraire un acte de propriété du cadastre, alors que des millions de Syriens sont en exil ou déplacés à l’intérieur de leur pays. « Et même si la loi permet de faire une procuration, certaines familles toutes entières sont parties et il ne leur reste personne dans le pays », souligne-t-il. En outre, toute procuration, même faite à l’étranger, nécessite une autorisation des services de sécurité, ce qui complique la situation.
Quant aux personnes recherchées par le régime, au nombre de quelque 1,5 million, elles ne peuvent obtenir aucun document officiel, comme elles ne peuvent faire aucune procuration : en effet, une autorisation des services de sécurité est nécessaire pour tout document de ce type, une condition rédhibitoire pour tous les opposants ou les personnes recherchées. Le mois dernier, le site proche de l’opposition Zaman al-Wasl avait publié une liste de données de 1,5 million de personnes recherchées, et les différentes branches des services de sécurité qui les recherchent.
Reconstruction
« C’est une loi pour exproprier les gens, affirme un opposant syrien qui a requis l’anonymat. Cette loi va permettre au régime d’exproprier les habitants des régions détruites, et ainsi de créer une nouvelle réalité sur le terrain. Ce n’est pas seulement un nettoyage ethnique, c’est une expropriation généralisée. »
Pour Me Chammas, cette loi s’appliquera aux zones détruites par les combats, en vue de leur reconstruction, et notamment les abords de Damas, tout comme Alep ou Homs. Et ce qui rendra l’expropriation encore plus facile pour les autorités est que la capitale est entourée de zones populaires construites illégalement.
« Cette loi ouvre la voie à un vaste changement démographique, car c’est un instrument dont le pouvoir pourra se servir à sa guise », affirme Moatassem Sioufi, directeur du centre de recherches The Day After basé en Turquie. « Depuis le début du soulèvement, Bachar el-Assad a développé la théorie des milieux considérés comme un terreau favorable au terrorisme », en allusion aux populations hostiles à son régime, ajoute-t-il. Et la loi devrait ainsi permettre au régime de remplacer une population qui lui a tenu tête, comme celle de la Ghouta ou des autres localités évacuées – Daraya, Zabadani – près de Damas, par des habitants qui ne seraient pas nécessairement favorables au régime, mais seraient au moins plus dociles, et plus nantis. « La nouvelle loi permettra au régime d’exproprier des terrains et de confier la reconstruction à des hommes d’affaires liés au pouvoir, syriens ou même iraniens ou russes », ajoute-t-il.
Les pays occidentaux ou les pays arabes du Golfe ne sont en effet nullement disposés à financer la reconstruction de la Syrie tant qu’il n’y a pas eu de solution politique, et le pouvoir se trouve acculé à trouver un moyen de remplir ses caisses et à solliciter ses alliés.
(Pour mémoire : Les évacuations de rebelles à Damas ou la « nouvelle démographie confessionnelle » d’Assad)
Les sunnites, particulièrement...
Depuis l’intervention militaire russe de septembre 2015, et avec le soutien de l’Iran et des milices qui lui sont alliées, le régime regagne inexorablement du terrain, pour contrôler désormais plus de la moitié de la Syrie.
Selon Sinan Hatahet, chercheur au centre al-Sharq basé à Istanbul et co-auteur d’une étude sur les changements démographiques forcés en Syrie, le même scénario se répète à mesure que les forces du régime progressent, que ce soit dans la Ghouta, à Alep-Est ou ailleurs : « Des affrontements, un siège de la population puis un accord d’évacuation » des rebelles et de la population civile. Il estime à environ 750 000 le nombre de personnes concernées par ces évacuations forcées de localités dont il égrène les noms : la Ghouta, Barzé, Moadhamiya, Daraya… « La politique du régime est très claire : il s’agit de vider les zones stratégiques qui constituent une base populaire pour le soulèvement », explique-t-il.
Le dernier exemple de cette politique est la chute de la Ghouta, enserrant Damas, que le régime a annoncé avoir entièrement reprise à la faveur d’une offensive lancée le 18 février. Plus de 160 000 personnes ont dû partir, dans des bus affrétés par le régime, vers les zones encore tenues par les rebelles dans le nord du pays. Le régime s’apprête maintenant à lancer une nouvelle offensive en direction du camp palestinien de Yarmouk, collé à la capitale, pour parachever son contrôle des environs de Damas. Déjà, environ 65 000 civils avaient été évacués de force de cette manière en décembre 2016 des quartiers est d’Alep lorsqu’ils sont tombés aux mains du régime. Et plus de 300 000 personnes avaient dû quitter la capitale et ses environs entre 2015 et 2017, parmi lesquelles 45 000 de Moadhamiya, 40 000 de Qudsiya et Hamé, 5 700 de Daraya, souligne l’étude du centre al-Sharq. Beaucoup se replient à Idleb, l’une des dernières zones encore contrôlées par l’opposition.
Selon M. Hatahet, le régime tente de pousser les populations hostiles hors des zones stratégiques autour de Damas, Homs, la région côtière et Alep, et de concentrer dans cette « Syrie utile » la plus grande proportion de populations qui ne lui sont pas ouvertement hostiles, notamment les minorités dont il s’érige en protecteur. Le président Assad « a œuvré à garder les minorités chrétienne, alaouite, druze et ismaélienne sous son contrôle », explique-t-il. Selon des chiffres qu’il fournit dans son étude, les minorités constituaient l’an dernier 41 % de la population dans les zones tenues par le régime : 26 % d’alaouites, 5 % de chrétiens, 4 % de druzes, 3 % de chiites et 2 % d’ismaéliens. La majorité arabe sunnite, elle, a été la communauté la plus affectée par le conflit, selon le chercheur : elle constitue environ 70 % des réfugiés et la majorité des personnes déplacées à l’intérieur du pays, d’après lui.
Au cours des dernières années, de fortes rumeurs ont circulé sur des échanges de populations ou des implantations d’étrangers, notamment iraniens, qu’il n’a pas été possible d’étayer. Des témoins rapportent cependant des changements dans le quartier traditionnellement chiite d’al-Amine, à Damas, où il y aurait eu des pressions sur des habitants d’autres communautés pour vendre leurs biens, notamment aux abords de la mosquée des Omeyyades qui abrite la tête de l’imam Hussein, révéré par les chiites. Quant au quartier du mausolée de Sitt Zeinab, dans la banlieue de Damas, les milices chiites iraniennes, irakiennes ou libanaises y sont désormais implantées. Mais les zones sinistrées autour de la capitale restent pour la plupart vides, en attendant une éventuelle reconstruction.
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Assad joue le jeu d'exclusion tout comme ses idoles illustres qui ont pratiqué les nettoyages de tout genres : ethniques, religieux, de classe, de santé physique etc... Le héroïsme dont il se peint en est une caricature grossière d'un clown meurtrier, tout sourires et canines pointues. Et de plus ça nous laisse avec ses 1.5 million de "personnes recherchées" dont nous savons exactement le lieu ... et le coût ...
23 h 28, le 22 avril 2018