Lorsque le Premier ministre Saad Hariri a déclaré lors du meeting du 14 février en présence de l’ambassadeur d’Arabie saoudite, assis au premier rang de l’assistance, qu’il n’y avait pas d’argent pour les élections cette année, tout le monde a cru à une boutade. Pourtant, le Premier ministre s’exprimait en toute franchise et adressait en même temps un message aux autorités saoudiennes dans lequel il leur faisait comprendre qu’il savait qu’elles ne comptaient pas couvrir ses frais électoraux et que, malgré tout, il comptait mener la bataille et remporter un bloc parlementaire consistant. Cela se passait avant la visite de M. Hariri à Riyad au cours de laquelle il a rencontré le roi Salmane et le prince héritier Mohammad ben Salmane. Beaucoup d’analyses et de spéculations ont accompagné et suivi cette visite. Mais, à deux jours de l’expiration du délai de dépôt des listes, il est clair que les dirigeants saoudiens ne comptent pas contribuer cette année aux frais électoraux du courant du Futur et de son chef. Par conséquent, ils se sont contentés d’émettre quelques souhaits, sans trop insister, l’objectif principal de la visite étant de normaliser les relations entre Riyad et le principal leader sunnite au Liban.
À cette déclaration inhabituelle du chef du courant du Futur correspond aussi un manque de liquidités venues de l’étranger chez les autres formations politiques. Il semble que, cette année, aucun des pays qui traditionnellement investissent des sommes relativement importantes dans le monde politique libanais ne soit intéressé à contribuer au financement des législatives. S’il y a des fonds disponibles, ils seront versés dans le cadre des conférences internationales ou dans le cadre de projets de développement. On se souvient en effet que, dans le passé, plusieurs pays arabes et certains régionaux et internationaux aidaient des parties politiques dans le financement des élections. Cette année, la situation semble totalement différente. Les législatives du 6 mai sont donc les élections où il y aura le moins de fonds étrangers depuis des décennies. Ce qui est un changement important dans le déroulement des élections libanaises et peut être considéré comme un élément positif. En effet, traditionnellement, les fonds jouent un rôle dans le choix des électeurs, et il s’agit là d’une pratique qui remonte à de nombreuses années.
(Pour mémoire : Dépenses électorales : les conditions posées par la commission de supervision)
Mais ces élections ne devraient pas ressembler aux précédentes à plus d’un titre. Déjà, le manque de fonds étrangers a été compensé par la ruée des partis politiques vers les candidats riches. Cette année, il y a donc un grand nombre d’hommes d’affaires ou de personnalités fortunées qui ont décidé de se lancer dans la politique, et en particulier dans la bataille électorale. Il s’agit même d’un profil assez prisé par les différents partis politiques qui cherchent ainsi à compenser l’absence de fonds traditionnels et assurer le financement de leurs listes sans puiser dans leurs propres caisses. Comme ces candidats venus du monde des affaires ne sont pas vraiment connus du grand public, notamment en matière politique, ils font le bonheur des différents médias qui s’empressent de les inviter pour les aider à se faire connaître. C’est donc une nouvelle activité qui semble une des particularités de ces élections hors normes et inhabituelles.
Il y en a d’autres, comme l’absence de débats d’idées et de programme précis dans la campagne électorale. Les législatives de 2018 s’annoncent ainsi comme les moins polarisées depuis 2005, mais aussi les moins tendues. Il n’y a pas vraiment de grand débat politique, et les slogans n’apportent pas vraiment d’éléments nouveaux aux électeurs qui risquent de ne pas se sentir suffisamment mobilisés ou motivés.
En même temps, les législatives de 2018 seront celles où il y aura le plus de nouveaux visages au Parlement. En effet, sans parler des 41 députés actuels qui n’ont pas présenté leur candidature, il y aura probablement de nouvelles figures qui seront élues sur les différentes listes. Les spécialistes électoraux prévoient ainsi plus d’une soixantaine de nouveaux élus, qui, certes, font partie des formations politiques traditionnelles. Ils devraient d’ailleurs montrer la volonté de ces formations de se doter d’un nouveau souffle et de nouveaux visages. Cette volonté de changement dans le choix des candidats montre que les partis politiques sont conscients d’un certain ras-le-bol chez leurs électeurs à l’égard des figures traditionnelles et ils souhaitent ainsi montrer leur capacité de changement, ainsi que leur aptitude à se renouveler. Mais, en même temps, cela leur permet de faire appel à de nouvelles figures, parmi les personnalités fortunées, qui contribueront ainsi à baisser d’un cran la radicalisation politique.
Enfin, la dernière particularité de ces élections inhabituelles, ce sont les alliances qui se font dans une circonscription et se défont dans l’autre, au gré des intérêts. Un candidat qui n’est pas pris dans une liste se dirige vers la liste rivale, sans se soucier du changement de programme, ni de vision globale, comme si les idées politiques n’avaient plus aucune importance au profit d’un souci unique : obtenir un siège au Parlement. S’il est vrai qu’il y a une crise de nouvelles idées politiques dans le monde en général, au Liban, elle est particulièrement palpable et montre en réalité qu’au fond, c’est le système tout entier qui est à bout de souffle et qui, en dépit des tentatives de lifting, ne parvient plus à cacher ses signes d’épuisement.
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commentaires (7)
Ah flutte alors... Il n’y aura plus d’asfalte ‘electoral’ sur les routes? Il va falloir penser a changer les amortisseurs des voitures....
Rossignol
00 h 35, le 24 mars 2018