Les travaux entrepris par l’Association pour la restauration et l’étude des fresques médiévales du Liban (AREFML) dans l’église du couvent Saydet Qannoubine, anciennement siège patriarcal des maronites (entre 1440 et 1830) puis tombé en désuétude au fil du temps, ont révélé des œuvres picturales datant de la fin du XVIIe siècle.
Dans cette grotte-église inscrite au cœur d’un paysage grandiose, le Wadi Qadicha, les primats maronites ont célébré la messe durant quatre cents ans. Sur le mur nord, sous une couche de fresque datant de l’époque ottomane, l’équipe de restaurateurs italiens a dégagé une impressionnante peinture datant du XVIIe siècle : le couronnement de la Vierge par la Sainte Trinité. Le Créateur et le Christ figurent portant la croix au-dessus de la tête de Marie, ici représentée avec des yeux noirs en amende et des petites joues rouges. Le Saint-Esprit est au centre, sous forme d’une colombe, et dans le rayon de la lumière émanant de lui, on peut lire une inscription en syriaque, tirée d’un passage du Cantique : « Viens du Liban, mon épouse, et tu seras couronnée. » De part et d’autre de Dieu le Père et du Christ, des séraphins et chérubins déploient leurs ailes et deux anges musiciens jouent au violon et à la flûte. La partie inférieure de la fresque représente les marches d’un autel, au bas desquelles sont assemblés huit patriarches à gauche, et sept à droite. En habit d’apparât et de sacerdoce, les quinze primats maronites, qui se sont succédé à Qannoubine, depuis Youhanna el- Jaji, en 1440, jusqu’au patriarche Estephane Doueihy (1670-1704), sont identifiés par une inscription en langue karchouni.
C’est le patriarche Doueihy qui a vraisemblablement commandité les peintures de l’église. Marqué par son séjour de 14 ans à Rome, imprégné de l’esthétisme de son milieu ecclésiastique, il aurait demandé au peintre de s’en inspirer en représentant Dieu et Jésus en cardinaux romains, c’est-à-dire en soutane noire avec des boutons violets. De même, dans l’abside centrale où figurent la Vierge Marie et le Christ Pantocrator assis sur un trône de gloire, saint Étienne, premier martyr de la chrétienté, porte la dalmatique, vêtement distinctif des diacres romains. Il tient d’une main un encensoir et de l’autre une branche de datte-palmier, symbole du juste, roche des bénédictions divines : que « le juste fleurit comme le palmier dattier » Psaume XCII : 13.
L’historienne et présidente de l’AREFML, Ray Jabre Moawad, rappelle que le thème du Pantocrator (mot grec qui signifie le Christ en majesté) a été représenté dans les absides de plusieurs églises médiévales, entre autres à Kfar Halda (Batroun), à Kaftoun (Koura) et à Behdaïdat (Jbeil). Et ce n’est pas tout. De part et d’autre de l’abside principale, le peintre a mis en scène Joseph le Charpentier portant l’enfant Jésus ; et Daniel dans la fosse aux lions ; mais ceux-ci sont tranquilles. « Dieu leur a fermé la gueule. »
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Les Évangiles de Rabbula
Ces peintures auraient été réalisées par un moine maronite de Chypre, selon Mme Jabre Moawad, qui signale qu’une inscription en caractère syriaque indique que la fresque du Couronnement de la Vierge avait été restaurée une première fois en 1781 par le moine Moussa Rayès du couvent Saydet Halka, au Kesrouan. La présidente de l’AREFML signale d’autre part que le nettoyage au laser de la porte d’entrée en forme d’arc a également révélé une décoration picturale : celle d’un personnage accueillant des oiseaux-messagers, grands et forts. Une image chargée sans doute d’un symbolisme religieux puissant. Ces fresques sont aujourd’hui ressuscitées grâce au financement de la Fondation Philippe Jabre et au soutien du ministère de la Culture.
Empreint d’une grande atmosphère de ferveur et de piété, le monastère de Qannoubine, géré aujourd’hui par les sœurs antonines, renfermait aussi une bibliothèque contenant des ouvrages vieux de plusieurs siècles, dont Les Évangiles de Rabbula, qui forment un manuscrit enluminé rédigé en syriaque par Rabbula, au VIe siècle, et qui a servi au Moyen Âge comme registre des patriarches maronites », rappelle Mme Jabre Moawad. « L’ouvrage, qui est la référence des miniatures syriaques, a été conservé dans la bibliothèque de Qannoubine jusqu’au début du XVIe siècle. Il se trouve depuis à la bibliothèque laurentienne de Florence, au sein de la basilique San Lorenzo. » Il a été prêté pour l’exposition Les Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire, qui s’est déroulé du 26 septembre 2017 au 14 janvier 2018 à l’Institut du monde arabe, à Paris.
Haut lieu de prières pendant des siècles, témoignage unique du centre vital de l’érémitisme maronite, la vallée de Qadicha a été classée « patrimoine mondial » par l’Unesco. Reste à savoir si, avec l’augmentation potentielle des touristes à l’avenir, on pourra préserver son intégrité visuelle… et les silences et bruits de la nature.
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UNE PREMIERE POUR ECLAIRER LES ESPRITS AVEC LA VRAIE HISTOIRE DE CE CANYON SACRÉ !
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 40, le 21 mars 2018