Ministère du Dire

Quelques lignes éphémères, une de ces nouvelles discrètes qui passent rapidement dans le fil d’informations. Mais elle valait la peine que l’on s’y arrête : « Le ministre de l’Information Melhem Riachi a annoncé mardi que son ministère s’appellerait désormais “Ministère de la Communication et du Dialogue”. » Un vieux projet qui va enfin voir le jour ?

À quoi sert un ministère de l’Information, sinon à contrôler l’information et ses divers canaux? Comment ne pas l’assimiler à un ministère de la Censure, un organisme qui oblige à dire ou interdit de dire, selon le cas. C’est aussi un lieu où se tisse une littérature absconse, ligneuse, aussi creuse que laborieuse, censée rendre compte de ce que le gouvernement veut bien livrer de son activité à la presse écrite ou audiovisuelle. En France, sous la IIIe République, cette institution a même porté le titre de ministère de la Propagande. Tout un programme. La France n’a plus de ministère de l’Information depuis 1974. En 2018, seule une poignée de pays soumis à un pouvoir au mieux paternaliste se dotent encore d’un ministère de l’Information. La chose est d’autant plus absurde que la presse est supposée détenir un pouvoir indépendant qui ne devrait découler d’aucun autre.

Voilà longtemps que la politique dans les pays arabes est affaire d’orateurs. Charisme, métaphores et trémolos. De l’opium à l’état pur que les braves gens biberonnaient naguère à la radio entre deux tirades d’Oum Kalsoum. Les discours étaient des incantations. Les échecs militaires, par certaines modulations de la voix, passaient pour des victoires. On vendait l’amour de la nation comme un placebo contre la pauvreté et l’ignorance, ces fléaux si faciles à convertir en résignation. La politique n’était (n’est encore ?) que littérature. Des mots plein la bouche, les mêmes. Des chansons. Les Libanais qui ont vécu la guerre ne le savent que trop. Chaque milice avait alors sa propagande, chaque radio ses choristes. Demandez aux plus de trente ans de fredonner une de ces abrutissantes marches pseudomilitaires, écrites à la gloire des héros de cette époque. Ils les ont tant entendues, et à tue-tête pour couvrir le bruit des combats, qu’elles leur reviennent spontanément aux lèvres. Il est pathétique de réaliser que de toutes les souffrances endurées, il ne reste que ce trivial écho. C’est dire que pour les paroles nous n’avons plus d’oreilles, merci. Quant à la censure, elle poursuit sa mission obsolète, aveugle à la technologie qui la dépasse, se substituant à l’information plus souvent qu’à son tour en faisant condamner tel journaliste ou tel internaute pour des mots, encore des mots, auxquels elle prête le pouvoir d’ébranler le puissant édifice du pouvoir, si vulnérable pourtant, faut-il croire, à la moindre critique.

Pour en revenir au changement d’appellation – et donc de fonction ? – qu’envisage l’actuel ministère de l’Information, il nous promet « communication et dialogue entre les citoyens, les dirigeants, les partis et les communautés », à travers une application mobile. Certes, l’hostilité entre congénères est presque toujours le résultat de malentendus, de suspicions, d’incompréhensions et d’un manque de dialogue. L’initiative, à cet égard, est louable. Encore faut-il qu’elle s’accompagne de transparence et de véritable écoute.