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Liban - Droits des enfants

Trois dignitaires religieux débattent de l’âge du mariage

Une conférence a été organisée mercredi dernier à l’USEK sur les moyens de protéger les petits du mariage précoce.

Photo-souvenir à l’issue de la conférence. Photo A.-M.H.

Comment protéger les enfants du Liban du mariage précoce ? En favorisant un débat permanent avec les hommes de religion, afin de les pousser à revoir les lois communautaires ou à permettre l’adoption d’une législation civile sur la question. C’est dans ce cadre qu’une conférence intitulée « Protéger les enfants du mariage précoce » organisée mercredi à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) a donné la parole à trois dignitaires religieux de haut rang, connus pour leur pensée progressiste, le mufti du Liban-Nord, le cheikh sunnite Malek el-Chaar, le président du Centre arabe pour le dialogue, le cheikh chiite Abbas al-Jawhari, et le vicaire patriarcal maronite, Mgr Hanna Alwan. Face à eux, le député Élie Keyrouz et sa proposition de loi pour la « protection des enfants du mariage précoce », présentée au Parlement en mars 2017, qui fixe à 18 ans révolus l’âge minimal du mariage, ainsi que la société civile représentée par le Rassemblement démocratique des femmes libanaises (RDFL) qui milite activement contre les mariages de mineurs. Seul bémol, l’assistance n’était pas au rendez-vous, ni même les étudiants. Le sujet est pourtant d’actualité.


Dans l’islam, pas d’âge limite, mais les choses évoluent

Les liens du mariage, tels que vus par l’islam et le Coran, sont au cœur de l’intervention de Malek el-Chaar. Il insiste sur les droits et les devoirs de chacun des conjoints et sur la nécessité de respecter la dignité de la femme. « À chaque devoir correspond un droit », affirme-t-il. Mais il rappelle que l’islam ne fixe pas d’âge légal du mariage. C’est la raison pour laquelle on parle « d’âge autorisé », « cela veut dire que celui qui peut se marier est autorisé à le faire », explique-t-il. « C’est dans cette optique que selon la charia, celui qui épousait une fillette de 9 ans n’était pas considéré comme ayant commis un crime, car à l’époque on parlait d’âge nubile. » Il assure qu’une femme ne peut être mariée sans son accord, ou du moins sans celui de son tuteur, si elle est mineure. Il en est de même pour les hommes, souligne le cheikh Chaar, qui constate des mariages de garçons de 13 et 14 ans. « Même si les coutumes et les traditions diffèrent d’un siècle à l’autre, d’un pays à l’autre et d’une culture à l’autre, les choses évoluent de manière générale dans de nombreux pays arabes », reconnaît-il, affirmant que l’Égypte, la Jordanie ou d’autres pays encore ont fixé à 17 ans l’âge minimal du mariage pour les filles et à 18 ans pour les garçons. « Au Liban d’ériger aujourd’hui ses règles dans ce sens », conclut-il. 


(Pour mémoire : Le mariage précoce à l’étude en sous-commission parlementaire)


L’Église maronite décourage le mariage avant 18 ans

« Nous savons bien que des filles sont encore mariées à l’âge de 9 ans, sous prétexte que le Prophète avait épousé Aïcha, qui n’avait que 9 ans. Ce qui n’a jamais été prouvé. Ma propre fille a 14 ans, et ce n’est encore qu’une enfant. » Par ces propos, Abbas al-Jawhari annonce la couleur. Il se prononce en faveur d’un âge minimal de 18 ans pour le mariage au Liban. Mais en même temps, il invite à ne pas juger l’histoire. Tour à tour, il rappelle les fatwas émises par les ayatollahs iraniens, Khomeyni et Sistani, en faveur du mariage des fillettes, même avant l’âge de 9 ans. Et se penche sur les considérations de la mosquée égyptienne d’al-Azhar qui établit une distinction entre le contrat et la consommation du mariage, « l’important étant que ce mariage ne porte préjudice à aucune partie ». Aujourd’hui, conclut le religieux, « nous ne faisons toujours pas la distinction entre la religion et les habitudes. Mais nous devons à tout prix mettre en place une méthodologie moderne pour aller au-delà des textes ».

L’Église maronite, elle, « aligne ses lois sur celles de l’Église catholique de Rome, mais bénéficie d’une certaine indépendance, à condition que ses lois ne portent pas atteinte au droit général », explique Hanna Alwan. Selon le droit général catholique, l’âge minimal du mariage est de 14 ans pour les filles et de 16 ans pour les garçons. Mais selon le droit canon de l’Église catholique orientale, « le mariage avant l’âge de 18 ans, pour les femmes et les hommes, est refusé et fortement découragé ». Il n’est accepté que dans des cas particuliers, en cas de grossesse d’une mineure notamment, afin de protéger la jeune fille et d’accorder à son enfant une identité. Il nécessite non seulement l’autorisation parentale, mais surtout celle de l’évêque, au terme d’une enquête poussée. « Nos règles sont très strictes dans ce sens, insiste le vicaire patriarcal. Car des enfants ne peuvent assumer les responsabilités qu’exigent le mariage ou fonder une famille. » L’Église n’hésite donc pas « à annuler carrément une union, explique l’évêque, si elle constate qu’un mariage a été contracté sous la contrainte ou qu’un couple n’a pas la maturité nécessaire », tout en préservant le droit des enfants issus de cette union. 

Le député Élie Keyrouz présente alors sa proposition de loi. Une proposition qui fixe à 18 ans révolus l’âge du mariage et qui rejette les exceptions. Car le législateur prend pour point de départ les conventions internationales, la déclaration des droits de l’enfant, qui fixe à 18 ans l’âge limite de l’enfance, la Cedaw aussi, convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes. Toutes deux signées par le Liban et « qui prévalent sur les lois locales », souligne le député.

Le débat est lancé, ponctué d’interventions de Caroline Succar Slaiby du RDFL et de la psychologue clinicienne Léa Sawaya Wassaf, qui dénoncent les répercussions néfastes des mariages précoces. Fixer à 18 ans l’âge du mariage ou interdire les mariages forcés ne sont visiblement pas un sujet tabou pour les présents, conférenciers inclus. Mais l’adoption d’une telle loi pourrait se révéler un véritable casse-tête. D’abord, une loi civile n’est pas du goût des communautés religieuses et de leurs décideurs, car elle empiète sur leurs prérogatives. Le cheikh Chaar soulève un autre problème, celui des cheikhs non reconnus par le tribunal religieux de Dar el-Fatwa qui ne suivent pas les lois de la communauté. « Si nous refusons de marier des mineurs, ces cheikhs s’en chargent. Les jeunes femmes arrivent chez nous, enceintes, avec des papiers illégaux. Nous n’avons d’autre choix que de légaliser l’union », regrette-t-il.

« Et l’amour ? » demande enfin un mufti dans la salle. « Vous avez bien dit que l’amour est l’une des causes du mariage précoce. Que fait-on lorsque deux adolescents s’aiment, et qu’un enfant naît de cette union ? Les empêche-t-on de s’aimer ou légalise-t-on leur relation ? » « Je suis ouvert à toute proposition permettant de répondre à ces problèmes », conclut alors Élie Keyrouz.


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commentaires (2)

L,OBSCURANTISME Y PREVAUDRA !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 02, le 13 février 2018

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Commentaires (2)

  • L,OBSCURANTISME Y PREVAUDRA !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 02, le 13 février 2018

  • "...d'abord, une loi civile n'est pas du goût des communautés religieuses, car elle empiète sur leurs prérogatives..." faudrait ajouter: elle les priverait de rentrées financières importantes ! Voilà les raisons principales du rejet d'une loi civile, ce qui prouve que ce sont eux qui, en définitive, contrôlent ce domaine sensible des mariages précoces, et pas l'Etat Libanais. Alors, pourquoi l'Etat Libanais signe-t-il des conventions internationales, sachant qu'il ne peut pas les appliquer ? Juste pour "faire bonne impression " ? Si l'Egypte, la Jordanie et d'autres pays arabes ont fixé l'âge minimal du mariage à 17 ans pour les filles, et à 18 ans pour les garçons, le Liban, pays qui se dit moderne, ne peut-il en faire de même ? Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 21, le 13 février 2018

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