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Idées - Commentaire

La diplomatie française en Syrie ou la mémoire d’un double échec

L’ancien président français Nicolas Sarkozy et son homologue syrien Bachar el-Assad sur le perron de l’Élysée, le 12 juillet 2008. Archives AFP/Bertrand Guay

Dès son élection, le président français Emmanuel Macron a affiché sa volonté de redonner à la France un statut de partenaire dans le dossier syrien, déclarant en juin 2017 avoir effectué un « aggiornamento » sur la question de la destitution de Bachar el-Assad comme « préalable à tout ». En même temps, ce positionnement n’exclut pas une certaine continuité avec son prédécesseur, en témoignent les initiatives visant à mettre en place un partenariat pour lutter contre la prolifération des armes chimiques et palier ainsi l’impuissance du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’une des explications de cette tension apparente réside en partie dans l’évolution des relations franco-syriennes avant 2011, marquées par des fluctuations et des retournements parfois brutaux.

En prenant le pouvoir en 1970, Hafez el-Assad mène ce que le journaliste britannique Patrick Seale a appelé une « lutte pour le Moyen-Orient ». Celle-ci consiste à stabiliser et verrouiller la scène interne, tout en s’impliquant dans les crises des États voisins. La conflictualité est ainsi déplacée de l’interne au régional. La guerre civile libanaise en a été le premier cas d’application. Dans la relation avec la France, cette politique a permis de renverser l’asymétrie des relations entre des pays de puissance inégale. À plusieurs reprises, l’acteur local, supposé moins doté des attributs de la puissance, montre que c’est lui qui maîtrise la relation. Damas impose ainsi, en de nombreuses occasions, sa syntaxe à la France.


(Pour mémoire : Paris exige le retrait des "milices iraniennes" et du Hezbollah de Syrie)


« Diplomatie de levier »
Cela a deux conséquences. La première est la mise en place de ce que nous appelons une « diplomatie de levier ». Elle repose sur l’interconnexion entre les crises régionales et sur la centralité de la Syrie, susceptible d’être soit un partenaire de leur résolution, soit de les laisser s’envenimer. Telle était déjà la logique du linkage (stratégie consistant à monnayer une concession sur un dossier contre une contrepartie sur un autre) du secrétaire d’État américain (1973-1977) Henry Kissinger, lors de ses fameuses navettes diplomatiques dans la région.

À partir de ce postulat, la France pousse plus loin la logique : comme avec un levier, elle utilise sa relation avec Damas pour renforcer un rôle régional disputé. Inversement, la Syrie emploie cette relation pour diversifier le champ de ses alliances et accéder à une respectabilité internationale. Tel est le cas, par exemple, lors des élections présidentielles libanaises de 1998 ou de 2008 : France et Syrie, par un dialogue bilatéral, traitent d’un dossier qui ne l’est pas. Et chacun croit y gagner en crédibilité dès lors qu’un accord est obtenu.
La seconde conséquence est l’établissement des Assad, père puis fils, comme interlocuteurs uniques. Selon la conviction qu’ils représentent un « moindre mal » (concept qui apparaît dans les documents diplomatiques français des années 1980), toute la problématique d’une alternative au pouvoir en place est éludée. Si le déficit démocratique dans ce qui est alors appelé « la Syrie d’Assad » est évidemment constaté, les mouvements sociaux sont lus par le seul prisme de leur impact sur la stabilité du régime.

Or les soulèvements de 2011 ont démontré que la sous-traitance au régime syrien de la stabilisation du pays et de la région, et la mise à l’écart des questions sociétales, avaient leurs limites. Tel est le constat que semble faire la diplomatie française, lorsque par la voix de son représentant, Alain Juppé, elle demande, en avril 2011, aux ambassadeurs « d’élargir le spectre de leurs interlocuteurs à l’ensemble des acteurs de la société civile » et de rectifier ainsi une approche dans laquelle « trop longtemps, nous nous sommes (…) limités aux gens en place ». Le fondement de la « diplomatie de levier », à savoir le désintérêt français pour la politique intérieure syrienne et l’instrumentalisation de cette relation bilatérale sur des dossiers régionaux, tombe.


(Lire aussi : Attaques chimiques en Syrie : le piège des lignes rouges)


Posture de l’entre-deux
La politique française consiste dès lors à soutenir l’opposition syrienne et à convaincre ses partenaires de la pertinence de cette option. Mais à mesure que la France s’engage aux côtés de l’opposition, son influence décroît dans les arènes internationales de résolution de la crise syrienne, au point qu’en septembre 2015, lorsque Ban Ki-moon nomme les cinq puissances capables de résoudre la crise syrienne, la France n’en fait plus partie.
Où en est-on aujourd’hui ? L’apparition du phénomène jihadiste et la perte d’influence de la France sur la question syrienne imposent à la nouvelle présidence une logique de bilan, qui pourrait aboutir à la tentation de revenir à la « diplomatie de levier », tant la dynamique du retour sur la scène internationale compte désormais pour Paris. On peut par exemple interpréter ainsi les visites à Paris de Vladimir Poutine puis Donald Trump à l’été 2017. Tel est aussi l’un des objets de la relance des relations avec l’Iran. En outre, l’asymétrie des relations est à nouveau renversée. D’une position de dirigeant « ne méritant pas d’être sur terre » (déclaration du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius en avril 2012), Bachar el-Assad, fort de ses indéfectibles soutiens, est désormais celui qui impose les termes de l’échange. Comme en août dernier, lorsque il a posé ses conditions à une éventuelle réouverture de l’ambassade de France à Damas. Enfin, l’absence de « remplaçant » prêt-à-gouverner, déplorée par l’actuelle diplomatie française, semble faire écho à la crainte obsédante du vide ou de l’instabilité que l’on observait dans les années 1980.

En dépit de ces signaux, d’autres, comme sa position sur les armes chimiques, tendent à souligner que la France semble toutefois opter pour une posture de l’entre-deux – ni réhabilitation ni lutte – résumée par le leitmotiv qu’Assad n’est pas son ennemi mais celui de son propre peuple. Elle risque d’y perdre sa spécificité sans reconquérir de rôle véritable. Finalement, cette politique résulte de la concurrence entre la mémoire de deux échecs. Celui de la diplomatie française à soutenir efficacement l’option démocratique en Syrie, depuis 2011, est plus vif dans l’esprit des dirigeants. Mais celui de quarante ans de « diplomatie de levier » est sans aucun doute tout aussi riche d’enseignements.

Chercheuse associée au Collège de France et au Centre Thucydide (Université Paris II), et présidente du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient. Dernier ouvrage : « Chirac, Assad et les autres » (PUF, 2017).


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commentaires (2)

La France ne représente même plus sa propre ombre sur la scène moyen orientale . D'échecs en échec de ses MAE respectifs depuis le complot de 2011 a mis ce pays sur la touche , comme l'avait fait de mistura en ne les nommant pas comme pays ayant une influence sur les actes au M.O Tout ce que cherche à faire la France de Macron c'est d'essuyer les plâtres que recollent les autres , juste pour esperer avoir une maigre consolation le jour de la reconstruction du pays . Pour cela il faudrait qu'elle en paye le prix fort .

FRIK-A-FRAK

13 h 36, le 11 février 2018

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Commentaires (2)

  • La France ne représente même plus sa propre ombre sur la scène moyen orientale . D'échecs en échec de ses MAE respectifs depuis le complot de 2011 a mis ce pays sur la touche , comme l'avait fait de mistura en ne les nommant pas comme pays ayant une influence sur les actes au M.O Tout ce que cherche à faire la France de Macron c'est d'essuyer les plâtres que recollent les autres , juste pour esperer avoir une maigre consolation le jour de la reconstruction du pays . Pour cela il faudrait qu'elle en paye le prix fort .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 36, le 11 février 2018

  • ""… tendent à souligner que la France semble toutefois opter pour une posture de l’entre-deux – ni réhabilitation ni lutte – résumée par le leitmotiv qu’Assad n’est pas son ennemi mais celui de son propre peuple."" Le multilatéralisme, c’est ainsi qu'on peut qualifier la politique extérieure, donc des relations avec tout le monde, surtout du business (affaire Lafarge), encore faut-il croire un jour s’il y a une véritable politique extérieure dans cette région, très souvent alignée sur celle des USA à quelques exceptions près. C’est surtout les pays arabes du golfe leur centre d’intérêt, Sorbonne, Louvre et une "base"… Pour le livre "Chirac Assad et les autres", (c’est vraiment depuis 1946 ???). Même à l’époque de la guerre, où cette diplomatie était très active, pas de trace dans le livre d’un ministre et ses déclarations qui ne manquaient pas de sel ….

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 13, le 09 février 2018

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