Nommée tout récemment ambassadrice déléguée permanente du Liban auprès de l’Unesco, Sahar Baassiri entame avec enthousiasme sa nouvelle carrière diplomatique à Paris. Elle succède à l’ambassadeur Khalil Karam qui a occupé ce poste avec brio. Première femme à assumer cette fonction, quel rôle envisage-t-elle d’assumer à l’Unesco ? « Pour l’instant, il s’agit d’accroître la coopération entre l’Unesco et notre pays dans les domaines culturel, éducatif et du patrimoine » , indique-t-elle à L’Orient-Le Jour avant de quitter New York pour Paris.
Le Liban, qui joue un grand rôle au sein de l’Unesco, compte cinq lieux inscrits sur la liste du patrimoine mondial, à savoir : Anjar (Békaa), Baalbeck (Békaa), Byblos (Mont-Liban), la Vallée sainte de la Qadisha (Liban-Nord), la forêt des « cèdres de Dieu » (Horsh Arz el-Rab) et Tyr (Liban-Sud). D’autres sites sont inscrits sur la liste indicative, à savoir les centres historiques de Batroun (Nord), de Saïda (Liban-Sud) et de Tripoli/Mina (Nord), l’ensemble du site naturel de la vallée du Nahr el-Kalb (Mont-Liban), avec les monuments et les sites archéologiques qui s’y trouvent, la vallée du Nahr Ibrahim (Mont-Liban), la vallée de l’Oronte, le temple d’Eshmoun (Liban-Sud) et le parc naturel de l’île des Palmiers (Nord).
Sous la houlette de Mme Baassiri, la coopération entre l’organisation et le pays du Cèdre ne pourra que se développer.
Ghassan Tuéni pour « mentor »
Qui est Sahar Baassiri ? Cette ancienne journaliste et éditorialiste politique libanaise de grand renom a travaillé de 1981 à 2009 au quotidien an-Nahar dont elle a été l’un des plus solides piliers. De 1993 à 2007, la chroniqueuse et éditorialiste a assumé à elle seule la charge du service international et a également travaillé de 1989 à 1991 en tant que journaliste à l’agence United Press International (UPI) à Beyrouth. Mme Baassiri est l’auteure de deux ouvrages : Lebanon on Hold (« Le Liban en attente ») et The Wandering Arabs (« Les Arabes errants »), publiés en 2009 aux éditions Dar an-Nahar. Elle est en outre coproductrice avec Gisèle Khoury de deux films documentaires : Arafat (2014) et Kamal Joumblatt (2016). Elle a été élue en 2014 présidente du Women’s International Forum (WIF) de l’ONU, l’une des organisations les plus puissantes, fondée en 1975, destinée aux épouses de diplomates à l’ONU.
La nouvelle ambassadrice commence à publier des articles en 1979 au quotidien an-Nahar pendant qu’elle poursuivait ses études pour l’obtention d’un BA en sciences politiques à l’AUB. « Je n’avais pas encore vingt ans », se souvient-elle. Elle se lance dans cette carrière en juin 1980 pour être confirmée dans sa fonction le 1er janvier 1981. Après avoir travaillé six ans pour an-Nahar, elle poursuit à New York une maîtrise de journalisme à la Columbia University Graduate School of Journalism. Elle sera la première femme étrangère à être diplômée de cette faculté. De retour au Liban, elle reprend son travail au quotidien an-Nahar, parallèlement à l’agence UPI. Ce travail « assidu et acharné » d’alternance entre le journal et l’agence a duré pendant deux ans. En 1990, le journal al-Hayat est relancé et embauche des journalistes du Nahar. L’opportunité se présente à Sahar Baassiri qui accepte l’offre de travailler au service international du journal. Sa relation avec Ghassan Tuéni, qui avait repris les rênes de la rédaction du Nahar après avoir été en poste à New York en tant que représentant permanent du Liban à l’ONU, prend une autre direction lorsqu’elle lui tient tête en refusant de publier une information sans l’attribuer à une source diplomatique officielle.
Face à cette fermeté assurée et convaincante, le rédacteur en chef du Nahar plie. « Notre relation de confiance prendra une autre tournure pour devenir une relation de grande amitié, souligne Mme Baassiri. Ghassan Tuéni m’a encouragée à m’engager dans ce travail, à être plus sûre dans l’action, à sortir de mes hésitations devant la grande tâche d’assurer un éditorial journalier et d’aller de l’avant. Sans lui, je n’aurais pas pu réaliser tout cela. C’était mon mentor. Je n’oublie pas tout ce qu’il a fait pour moi. An-Nahar était pour moi ma maison. Après trente ans, an-Nahar m’a renvoyée sans coup férir ! »
Du pouvoir aux femmes
Sahar Baassiri tient à garder fièrement son nom de jeune fille et son nom « professionnel » de plume. « Depuis mon jeune âge, j’ai toujours agi de la sorte, indique-t-elle. Je suis journaliste mais aussi l’épouse de Nawaf Salam, du représentant du Liban auprès des Nations unies. J’aime les trois fonctions de ma vie : journaliste, épouse et mère. Ma relation avec mon mari est une relation d’égalité. Nous sommes amis ; nous nous soutenons mutuellement. Nous avons tous les deux la même vision de la vie. C’est ainsi que nous jouons. »
Qu’a-t-elle appris de ces dix années passées à New York ? « J’ai beaucoup appris, relève-t-elle. Aux États-Unis, j’ai continué à écrire, mais je n’étais pas uniquement journaliste. Je suis venue en tant qu’épouse du représentant permanent du Liban auprès des Nations unies. Et cela, c’est un rôle. J’ai continué à travailler selon un accord que j’avais avec M. Tuéni, soit deux années qui se sont soldées par un renvoi du journal en 2010. Cet événement n’a rien changé puisque j’avais un autre rôle à jouer. »
À New York, Sahar Baassiri évolue différemment dans ce rôle en « apprenant à mieux apprécier et écouter (son) entourage ». « New York m’a changée, dit-elle. Je suis venue avec une idée préconçue. En tant que journaliste, j’ai couvert la vie des politiciens et diplomates. À New York, j’ai partagé avec eux leurs repas et pris part aux conversations. J’ai appris à voir l’histoire différemment, sous un autre angle. Si je dois écrire aujourd’hui, je ne le ferai pas de la même manière. L’accès à l’information directe de première main est très important. Les histoires ont toujours plusieurs faces, et avec ma position ici, j’ai appris à être un peu plus réticente dans mon jugement sur les choses et plus prudente vis-à-vis de l’information. »
À la tête du Women’s International Forum à l’ONU (WIF), Mme Baassiri a apporté un souffle nouveau à cette institution. « J’étais pour le changement du rôle des épouses des diplomates, souligne-t-elle. Le discours a changé. J’ai participé graduellement à ce changement en lui donnant un essor et une autre direction pour que la WIF soit ouverte à tous. C’est un changement qui s’est opéré sous mon impulsion. »
Donner du pouvoir aux femmes est sa grande devise. Ce « combat est important » pour Mme Baassiri. « Car il ne peut y avoir d’évolution et de croissance dans un pays si la condition de la femme ne s’améliore pas et si elle n’a pas de pouvoir. Il n’est plus concevable que la société fonctionne à moitié. Donner du pouvoir aux femmes n’est pas uniquement un sujet qui concerne les femmes, cela concerne les hommes aussi. Les hommes qui détiennent les clés du changement et des décisions doivent être convaincus de la nécessité du changement du statut de la femme. C’est une question qui nécessite des lois. Donner le pouvoir aux femmes signifie donc un engagement de la part des hommes. Sinon, la société ne pourra pas changer », conclut Sahar Baassiri.
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commentaires (4)
Mille bravos et à beaucoup d'autres succès.
Sarkis Serge Tateossian
12 h 34, le 29 janvier 2018