Le ton est monté hier entre le chef des Kataëb, Samy Gemayel, et le ministre de l’Environnement, Tarek el-Khatib, au sujet du dossier des déchets, à l’heure où le Haut Comité de secours (HCS) supervisait le nettoyage du littoral du Metn, inondé d’immondices depuis dimanche. Le député Akram Chéhayeb, président de la commission parlementaire de l’Environnement, mettait en garde, de son côté, contre une politisation de cette affaire. Une mise en garde intervenue un peu tard parce que le débat autour de la gestion du dossier des déchets et des solutions envisagées par l’État a déjà pris une tournure éminemment politique, renforcée par la perspective des élections législatives de mai prochain, à partir du moment où des accusations de surenchères politiques ont commencé à être lancées.
Dans une conférence de presse tenue au siège des Kataëb à Saïfi, M. Gemayel a dénoncé « une campagne de désinformation » dont sont victimes les Libanais. Il a expliqué qu’à la suite des propos tenus lundi pour dénoncer la catastrophe environnementale survenue sur le littoral du Kesrouan, « tout l’État libanais s’est mobilisé » hier pour le nettoyer, « alors que la tempête s’était calmée vendredi » et qu’aucune mesure n’avait été prise par les responsables à ce niveau durant les jours qui ont suivi.
« Désormais, nous sommes prêts à donner un spectacle à chaque fois que cela est nécessaire, puisque c’est le seul moyen de vous mobiliser », a encore lancé M. Gemayel aux responsables qui avaient dénigré sa démarche lundi, l’accusant de faire de la surenchère et « du spectacle ». « Ce que vous qualifiez de spectacle est mon travail de député, a-t-il insisté. Mon devoir est de contrôler l’action du gouvernement et d’alerter l’opinion publique à la moindre faille. C’est ce que j’ai fait. »
En effet, c’est à la suite des photos scandaleuses de la plage du Kesrouan qui ont déferlé sur les réseaux sociaux et les propos dénonciateurs tenus par le député du Metn que le nettoyage de la plage a commencé hier dans la matinée. Sous une pluie battante, des employés de la société Ramco ont commencé à ramasser les déchets sur six axes : Zouk, Golden Beach et la marina d’Antélias, Nahr el-Kalb, Zalka, Jal el-Dib et la décharge de Bourj Hammoud.
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« Mensonges »
M. Gemayel a ensuite accusé les différentes parties responsables du dossier d’« avoir menti » aux Libanais. Ainsi, en réponse au Conseil du développement et de la reconstruction qui avait affirmé lundi que les déchets étaient charriés à la plage par le cours du Nahr el-Kalb, et à M. Khatib qui avait confirmé ces propos lors d’une tournée effectuée hier dans certaines régions du Metn surplombant ce fleuve, M. Gemayel s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles les équipes du HCS ont alors nettoyé les régions de Golden Beach, Antélias, Zalka et Bourj Hammoud, comme l’a souligné en matinée un communiqué du HCS.
En soirée, le HCS, qui supervise les opérations de nettoyage sur instruction du Premier ministre, Saad Hariri, a déclaré que « l’inspection sur le terrain a montré que les déchets se sont accumulés sur le littoral allant de l’embouchure du Nahr el-Kalb jusqu’au complexe balnéaire de Portemilio, à Kaslik ». « On a prélevé 90 % des détritus et les travaux se poursuivront demain (aujourd’hui) », a ajouté le texte.
« Cette tentative désespérée de défendre les décharges côtières de Bourj Hammoud et de Costa Brava constitue le summum de l’effronterie », a encore critiqué M. Gemayel, soulignant que « le ministre de l’Environnement, et l’autorité politique qu’il représente, n’a qu’un souci, celui de prouver que les immondices ne viennent pas des décharges côtières (…), question de ne pas ternir l’image des décharges » et de « ne pas toucher à cette source de revenus qu’elles représentent » !
Samy Gemayel répondait à M. Khatib qui, lors de la tournée qu’il a effectuée hier dans les régions de Beit Chabab, Mar Boutros et Deir Chamra dans le Metn, a critiqué « la campagne de désinformation » menée selon lui par le député du Metn. Il a affirmé que les allégations selon lesquelles les déchets étaient véhiculés par les courants marins des décharges sont « erronées », soutenant ainsi la thèse des déchets charriés par les cours d’eau. Du village de Beit Chabab dans le Metn, où il s’est rendu afin de déterminer l’origine du problème, il a affirmé que « les déchets dans cette région sont jetés de manière anarchique » dans les cours d’eau et que « de grandes quantités de détritus arrivent sur les plages du Kesrouan à partir du Nahr el-Kalb ». Il a, dans ce cadre, rendu responsable le président du conseil municipal du village, Élias Achkar, pour avoir permis le déversement des déchets dans la vallée.
M. Khatib a enfin accusé M. Gemayel de se servir du « dossier des déchets à des fins électorales » et d’« assurer une couverture à Élie Nassar, propriétaire d’une carrière qu’il a transformée en une décharge où sont jetées des immondices et des restes de viande directement dans la rivière ».
(Lire aussi : Les déchets se déversent sur les plages libanaises et... les réseaux sociaux)
Politique de rafistolage
Balayant les arguments selon lesquels les déchets qui ont recouvert la plage du Kesrouan lundi datent de 2015, date à laquelle la crise a éclaté avec la fermeture de la décharge de Naamé, M. Gemayel s’en est pris de nouveau à M. Khatib. Brandissant le rapport de Human Rights Watch sur l’incinération des déchets au Liban, selon lequel le pays du Cèdre compte 941 dépotoirs sauvages, il a « félicité le ministre de l’Environnement d’en avoir trouvé un ». « Il vous reste 940 autres dépotoirs à trouver (…) et à les fermer », a-t-il lancé. « Nous vous soutiendrions alors, a-t-il dit. Ce qui est tragicomique, c’est que vous allez jeter de nouveau les déchets dans la décharge d’où ils proviennent. Quel exploit ! »
Il a ensuite accusé le gouvernement d’adopter une politique de « rafistolage » qui a abouti à la destruction des côtes libanaises. Et de conclure en réitérant que c’est le gouvernement qui est responsable de la crise dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui, affirmant que les prochaines élections sont le seul moyen de sanction.
En soirée, le ministre de la Culture, Ghattas Khoury, a répondu à Samy Gemayel. « Nous noyer dans une mer de désespoir et de mensonges ne paiera pas. Grossir les problèmes ne fait pas grossir le poids électoral », a-t-il écrit sur Twitter.
Dans la matinée, le député Ibrahim Kanaan (CPL) avait lui aussi dénoncé sur Twitter l’exploitation de la crise des déchets à des fins électorales. Il a en outre demandé la création d’une commission d’enquête pour déterminer les responsables. « C’est la différence entre ceux qui agissent et ceux qui exploitent (une cause) », a-t-il ajouté.
Les relents à l’AIB
Le paysage répugnant des déchets ne se limitait pas à la plage du Kesrouan. Des détritus inondaient hier les plages du Akkar, de Abdé jusqu’à Arida. L’origine de ces immondices n’a pas été déterminée, sachant que le caza du Akkar compte plusieurs dépotoirs sauvages.
La crise des déchets prend en tout cas une envergure internationale. Le Washington Post a publié hier un article sur le paysage apocalyptique de lundi matin sur le littoral du Metn et du Kesrouan, ainsi que sur les « relents » émanant de la décharge de Costa Brava qui accueillent les voyageurs arrivant à l’aéroport de Beyrouth.
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commentaires (4)
Commençons par interdire les sacs de plastique à usage unique!
Dounia Mansour Abdelnour
18 h 23, le 24 janvier 2018