Une scène effroyable, digne d’un film apocalyptique, ce matin, sur le littoral libanais. Photo Michaël Khoury
C’est sur la scène apocalyptique des déchets rejetés par la mer jonchant leurs plages que se sont réveillés hier les habitants de Zouk Mosbeh, dans le Kesrouan.
Les premières photos de cette catastrophe environnementale ont été publiées hier en matinée par le collectif « Vous puez ! » avec pour commentaires : « Le littoral du temps des voyous des déchets et des décharges maritimes », « La mer a rendu son gage », « Assez de destruction du Liban, de son environnement, de notre santé et de celle de nos enfants ».
Comme une traînée de poudre, les images se sont ensuite propagées sur les réseaux sociaux, suscitant l’indignation de milliers de personnes : « C’est une photo d’une plage libanaise au lendemain de la tempête. Allez, votez pour eux, pour que tout le littoral libanais soit comme cela », s’insurge ainsi une internaute.
« Il n’y a pas de mots pour décrire ce paysage immonde », commente de son côté le chef du parti Kataëb, Samy Gemayel, qui a inspecté les lieux hier. « Ces déchets viennent du Metn (en référence aux décharges de Bourj Hammoud et de Costa Brava, NDLR), poursuit-il. Tout le littoral du Mont-Liban se trouve dans cet état. Nous avons déjà mis en garde contre cela et nous nous sommes retirés du gouvernement à cause de ce dossier. Les autorités concernées n’ont pris aucune mesure pour parer au problème. Bien au contraire, elles ont recouvert la plage de déchets ! »
M. Gemayel, qui n’a pas caché son indignation, a expliqué que « les eaux ont pénétré dans les décharges, entraînant les déchets ». « La mer tout entière en est remplie, parce que le dossier est entre les mains de personnes irresponsables, sans conscience, sans moralité et sans compétences », s’énerve-t-il, dénonçant des « mensonges », puisqu’il « n’y a pas de brise-lames ». « Tout cela n’est que la conséquence naturelle de la négligence dans ce dossier », insiste-t-il encore.
Le député du Metn a fait assumer la responsabilité de « cette catastrophe environnementale » au « Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) chargé de superviser ces travaux » appelant à la démission de son président, Nabil Jisr, et de ses membres. Il tient également responsable du problème le « ministre de l’Environnement », Tarek el-Khatib, qu’il a appelé également à démissionner, d’autant qu’il a effectué en juin dernier une tournée dans la décharge, sans prendre des mesures, ainsi que le gouvernement.
« Honte à des responsables qui mettent la santé et la vie des Libanais en péril », reprend M. Gemayel, annonçant qu’il allait « porter ce dossier devant la justice internationale, parce que le pouvoir œuvre contre le peuple et celui-ci a le droit de lui demander des comptes ». « Est-il possible de transformer le Liban en une grande décharge ? se demande-t-il. On se préoccupe d’un film de cinéma (en allusion au film Beirut critiqué parce qu’il porte atteinte à l’image du Liban, NDLR). Ce que nous voyons n’est pas une défiguration de l’image du pays ? »
Pour Samy Gemayel, le seul moyen de faire face à ces catastrophes, « c’est d’écarter les gens irresponsables lors des prochaines législatives ». Et d’appeler les magistrats qui statuent sur l’affaire d’« arrêter cette catastrophe » et de « contrôler où va l’argent versé pour le traitement des déchets, ce qui n’est pas en train de se faire ».
Réponses de Khatib et du CDR
Le ministre de l’Environnement n’a pas tardé à répondre à M. Gemayel. Dans une interview accordée à la LBCI, il a ainsi rappelé que « le parti Kataëb était représenté par trois ministres (Sejaan Azzi, Alain Hakim et Ramzi Joreige, NDLR) dans le gouvernement de Tammam Salam qui avait approuvé le plan conçu pour les dépotoirs de Costa Brava et Bourj Hammoud ». « Ils ont également approuvé la stratégie proposée par le ministre Akram Chehayeb, qui avait d’ailleurs été contestée par le Courant patriotique libre, a-t-il poursuivi. M. Gemayel ne peut pas approuver une stratégie en Conseil des ministres et œuvrer à la saboter sur le terrain. »
M. Khatib a affirmé qu’il attend le rapport que doit lui soumettre aujourd’hui la commission technique sur l’origine de ces déchets, sur base duquel « nous prendrons les mesures adéquates ».
De son côté, le CDR a affirmé que toutes les allégations selon lesquelles les déchets qui jonchent la plage de Zouk proviennent des décharges de Costa Brava et de Bourj Hammoud sont « fabriquées de toutes pièces ». « Ces deux décharges sont protégées par des installations en béton qui empêchent l’infiltration de l’eau de mer, a précisé le CDR dans un communiqué. Il est étrange que les vagues aient choisi la côte du Kesrouan pour y déposer les déchets, sans rien laisser tout au long du littoral, de Khaldé à Nahr el-Kalb », a ajouté le CDR, appelant « les médias et les politiciens “expertsˮ du dossier à examiner le cours et le lit de Nahr el-Kalb » pour voir s’il ne s’agirait pas « des déchets qui n’ont pas été collectés par des municipalités de la région et qui seraient arrivés dans le lit de Nahr el-Kalb pour se déverser sur la côte ».
Le CDR a affirmé que les vidéos prises sont celles « de déchets qui flottent dans le cours de Nahr el-Kalb et ont la même qualité que ceux déversés sur la plage du Kesrouan ». Et de proposer, « afin que la vérité soit révélée, la formation d’un comité technique du ministère de l’Environnement qui sera chargé de mener une enquête sur le terrain et de préparer un rapport technique ».
« De la désinformation »
« C’est de la désinformation ! » s’exclame Wilson Rizk, expert en environnement et en géologie, en réponse au communiqué du CDR. Ayant été l’une des rares personnes à avoir examiné de près la décharge de Bourj Hammoud, il affirme à L’Orient-Le Jour que « les déchets sont bel et bien renversés dans la mer » et qu’« il n’y a pas de brise-lames » au niveau de la décharge. « Et puis, comment savent-ils que c’est la même qualité de déchets que ceux qui se trouvent à Nahr el-Kalb ? s’interroge-t-il. Est-ce qu’ils les ont analysés? »
« Les déchets sont un feuilleton qui se répète au quotidien et qui continuera à l’être, déplore l’expert. On a commencé à stocker les déchets dans les décharges de Costa Brava et de Bourj Hammoud sans construire de brise-lames. J’ai déjà mis en garde contre le danger que cela représente puisque le bassin méditerranéen n’est pas fermé. Les courants vont du sud vers le nord. Israël l’avait compris. Il avait l’habitude de jeter ses déchets sur la frontière avec le Liban et le courant les emportait. »
M. Rizk dénonce une « ignorance totale de la nature maritime, terrestre et montagneuse du Liban ». « C’est une faute dont nous assumons aujourd’hui les conséquences, insiste-t-il. La tempête est un événement ponctuel. Avec chaque tempête, le même problème va se répéter. Ce qui est permanent, c’est le courant de l’eau qui va du sud au nord. Si la tempête se calme, les déchets ne disparaîtront pas. La centrale électrique de Zouk a été, à plusieurs reprises, endommagée au cours des dernières décennies, justement à cause des sacs de poubelles, en provenance de la décharge de Bourj Hammoud et des alentours, qui s’accrochaient aux turbines. »
En début de soirée, le Premier ministre Saad Hariri a demandé au Haut Comité de secours de régler rapidement le problème des déchets. Il a été décidé d’ordonner aux équipes de nettoyage concernées d’entamer les travaux, dès 6h ce matin, pour ramasser les déchets et nettoyer complètement la côte.
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HALTE ! INCAPABLES... DEGAGEZ !
16 h 44, le 23 janvier 2018