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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La technique psychanalytique : résistance de l’analyste à son désir de savoir

Aborder cette question soulève une contestation toujours aussi vivace, tant les analystes sont identifiés à leur technique, qui leur est imposée par l’institution à laquelle ils appartiennent. Cette appartenance relève de dogmes dont l’objet est Freud et sa façon d’analyser. Leur technique a fini par devenir leur identité, alors que la seule identité de l’analyste est son désir de savoir.

Un exemple éclaire bien ce problème. Beaucoup de sociétés analytiques, dont les sociétés kleiniennes surtout, tiennent farouchement à la technique des 5 séances hebdomadaires, allant jusqu’à invalider toute analyse qui n’a pas répondu à ce critère. La raison : Freud pratiquait ainsi. Or, comme le montre l’historien Paul Roazen dans son excellent ouvrage Comment Freud analysait, l’origine des 5 séances est accidentelle. Freud avait l’habitude de recevoir chacun de ses patients six jours sur sept, excepté le dimanche donc. S’étant engagé à accepter 6 nouveaux patients dont Abraham Kardiner, futur disciple, il réalise qu’il n’avait de temps que pour 5 d’entre eux. Il suggère d’envoyer l’un d’eux chez Otto Rank, mais tous refusent. Le lendemain, ils avaient tous rendez-vous chez Freud. Ce dernier leur annonça que la solution fut trouvée par sa fille Anna : 5 fois 6 égale 30 et 6 fois 5 égale aussi 30. Si chacun d’eux pouvait renoncer à une séance par semaine, Freud pouvait les recevoir tous les 6, mais 5 fois par semaine au lieu de 6. « Ce fut le début du rythme des 5 séances par semaine. »
   
L’analyste aurait-il besoin d’une autre règle que « la règle fondamentale » ?
Cette solution pratique à un problème accidentel de manque de temps chez Freud allait devenir une sacro-sainte règle technique. Pourquoi cette ritualisation des règles techniques ? Les analystes ont-ils besoin de cela ? Dans sa recherche très documentée, Paul Roazen observe d’étranges contradictions entre la pratique de Freud et celle de ses élèves. « Freud était trop avisé pour se montrer dogmatique à propos de technique », ce qui confirme que le dogmatisme était le fait des élèves et non celui de Freud lui-même. Roazen se demande si le peu de textes techniques écrit par Freud n’avait pas pour but « d’éviter d’imposer à ses élèves une loi trop rigide ».

En 1928, Freud reconnaît que les « conseils sur la technique » qu’il avait écrits étaient essentiellement de nature négative, laissant ce que l’on doit faire au tact, à la discrétion de chacun. Le résultat, admet-il, fut que « les analystes dociles ne perçurent pas l’élasticité des règles que j’avais posées, et s’y soumirent comme si elles avaient été taboues ». Sous la plume de Freud, la sentence est magistrale. Il recommande l’élasticité des règles et du tact aux analystes et les plus dociles parmi eux en font un tabou.

C’est pour cette raison qu’en 1914, il a parlé de « conseils » plutôt que de « règles techniques ». La seule règle qui est nommée comme telle est la règle fondamentale. Cette règle recommande au patient de dire tout ce qui lui passe par la tête, excluant toute censure. Lacan avait l’habitude de dire aux patients qui démarraient la cure avec lui : « Dites des bêtises. » Précisément parce que les patients ne pouvaient pas se permettre de dire des conneries, pensant que le sérieux de leur analyste, sa renommée, son savoir le leur interdisaient. Cette règle est la seule qui permet le déroulement d’une analyse. Lorsque le patient l’applique, le langage inconscient prend le dessus sur le langage conscient.

Tout est fait pour faciliter la libre association du patient, à commencer par « l’attention flottante » de l’analyste qui lui permet de ne pas se fixer sur quelque chose de particulier dans ce que dit le patient. Freud ira jusqu’à recommander à l’analyste « d’oublier » la séance précédente pour rester prêt à l’inattendu. Ou de ne pas prendre des notes pour les mêmes raisons. Ne devrait-on pas s’en tenir à cela pour écouter le patient ? A-t-on besoin d’autres règles techniques ?


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