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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le désir de savoir de l’analyste et ce qui y résiste : « Il n’y a de résistance que de l’analyste »

Cette affirmation de Lacan, « Il n'y a de résistance que de l'analyste », frappe l'institution analytique de plein fouet. Habituée depuis 1910, date de sa fondation, à idéaliser l'analyste comme elle a idéalisé Freud, le père fondateur, l'institution ne peut tolérer cela. Si l'analyste lui-même est mis en cause comme acteur des résistances, ce sont tous ceux qui l'ont formé qui le sont également. En remontant jusqu'à Freud.
Or le problème se situe à ce niveau-là : Freud aurait-il eu des résistances ?

À l'origine, Freud fit son analyse avec Wilhelm Fliess, un oto-rhino-laryngologiste berlinois. Cette analyse se fit par correspondance, les deux amis ne se voyant qu'à de rares occasions, appelées « congrès ». Qu'est-ce qui rendit donc cette analyse possible ? Fliess avait d'étranges théories sur la sexualité, non fondées mais attirantes pour Freud qui avait autant d'intérêt pour le sexe. Ils avaient tous les deux, dans leurs recherches, une sorte de « secret du sexe ». En plus, Fliess n'offrait pratiquement pas de censure, de résistance à l'écoute de Freud : il constituait un « pôle de la moindre résistance », le remarque également Anzieu.

Ainsi, sans que cela ne soit une analyse au vrai sens du terme, de 1885 à 1902/04, Fliess occupa cette fonction de l'analyste. Cette expérience est d'une richesse inouïe pour celui qui veut comprendre comment Freud en arriva à mettre en place la psychanalyse. Anzieu appela cette expérience L'auto-analyse de Freud, tandis qu'Octave Mannoni l'appela L'analyse originelle. Cette distinction est fondamentale, car Freud eut tendance à oublier le rôle de Fliess. Et l'institution fut fondée sur cet oubli, transmettant le dogme d'un Freud auto-engendré, une sorte de dieu. En 1956 Lacan remarqua vite que l'institution était une église.

L'oubli de Fliess par Freud a une raison de fond : une lutte pour l'appropriation de la théorie, particulièrement le concept de « bisexualité ». Ce concept appartient à l'origine à Fliess. Lorsqu'il en parla à Freud la première fois, ce dernier lui rétorqua qu'il n'en était pas encore là et qu'il ne voulait pas en parler, résistance typique. Dans un second temps, Freud en reparla à Fliess comme d'une découverte propre à lui, pour reconnaître ensuite qu'il tient cette découverte de Fliess. Les choses se gâtèrent lorsque Freud, croyant apaiser Fliess, lui avoua qu'il cherchait à s'accaparer cette découverte. Fliess rompit ses relations avec Freud et l'accusa publiquement de plagiat.

La résistance de Freud ne portait pas seulement sur la paternité du concept de « bisexualité ». Elle portait sur quelque chose de plus trouble, l'étroitesse de la relation avec Fliess. Dans une lettre à Jung où il avoue pourquoi il n'a pas pu analyser Otto Gross qu'il compare à Fliess : « Je crains l'abolition des limites dans la réserve d'idées productives. » Soit l'abolition des limites entre les deux inconscients de l'analyste et du patient. Or, c'est bien là que réside la résistance de l'analyste, celle de Freud au départ. Ferenczi, le disciple le plus proche de Freud, réalisa cela et le publia. L'institution le lui fit payer cher. Par la bouche d'Ernest Jones, biographe officiel de Freud, le disciple « censeur » de l'institution, Ferenczi, fut accusé de paranoïa et son œuvre mise en quarantaine jusqu'aux années 50.

Ferenczi alla très loin dans ses avancées théorico-cliniques. Il fut le premier à critiquer l'hypocrisie de ses collègues, les accusa d'être mal formés, de ne pas avoir poussé assez loin leur analyse didactique (celle qui les forme à être analystes), les appelant à s'occuper de leurs propres résistances avant de s'occuper de celles de leurs patients. Indirectement, il s'adressait également à Freud à qui il reprocha de ne pas avoir analysé son transfert négatif. Lorsque Lacan avança « Il n'y a de résistances que celles de l'analyste », il reprenait en somme une idée de Ferenczi.

Finalement, l'analyste résisterait lui-même à son propre désir de savoir.

 

 

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