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Liban - Analyse

La querelle Aoun-Berry, une dérive dans la dérive

La querelle opposant Baabda à Aïn el-Tiné autour du décret relatif à ce qu'il est convenu d'appeler la promotion 1994 est un exemple type de ces épisodes de mésentente qui pullulent dans l'histoire de la gouvernance au Liban. Elle l'est dans la mesure où le problème revêt diverses facettes qui se superposent et s'additionnent pour former quelque chose qui est vécu par les uns et les autres comme s'il s'agissait d'un conflit à l'échelle planétaire.

C'est tout d'abord, naturellement, un choc d'ego entre deux chefs politiques qui ne se sont jamais vraiment portés dans le cœur, l'un l'autre, bien que contraints par moments de jouer les alliés par opportunité. C'est ensuite une affaire assez ordinaire, dans un pays comme le Liban, de collision d'intérêts communautaires plus ou moins étriqués, sachant que la promotion 1994 est formée en majorité d'officiers chrétiens, par opposition à d'autres promotions composées de musulmans en plus grand nombre.

C'est aussi, bien entendu, un différend sur les limites des pouvoirs respectifs de chacun des protagonistes et un problème à connotation financière impliquant, à un moment ou l'autre, l'ouverture des cordons de la bourse. Et puis, une fois que c'est déclenché, cela devient un problème de préséance, de points marqués ou retranchés, un défi poussant chaque camp à faire le nécessaire afin que si quelqu'un doive au final perdre la face, ce soit l'autre...

 

(Repère : Promotion 1994 : si vous n'avez toujours rien compris, voici ce qu'il faut savoir)

 

Et, pourtant, toutes ces raisons ne suffisent pas à expliquer l'acuité du problème, à dire pourquoi on se retrouve toujours dans ce genre de situation devant la quadrature du cercle, sachant qu'intrinsèquement l'affaire de la promotion 1994 est loin d'être un casse-tête insurmontable.

C'est que, par-dessus tout, il s'agit, une fois de plus, d'un raté de la démocratie consensuelle, un épisode qui illustre précisément les limites de cette dérive du système politique libanais vers une fédération de chefs de clans dont l'entente, hors textes, est la condition unique et absolue de l'exercice du pouvoir.
À l'origine, il y a bien sûr la sempiternelle frustration chiite à l'égard de ce qui est vécu par une grande partie de l'establishment politique de cette communauté comme une mainmise institutionnalisée, avant et après Taëf, sur le pouvoir exécutif. Pour les chiites, l'équation est très simple : si on applique les textes à la lettre, les gouvernements au Liban sont formés par le président chrétien et le Premier ministre sunnite ; ils gouvernent essentiellement par l'entente des chrétiens et des sunnites, et ils démissionnent ou sont renversés sur initiative des chrétiens et/ou des sunnites.

Alors, de deux choses l'une : ou bien on change les textes, ou bien on gouverne par « l'entente nationale », c'est-à-dire par ce qu'on appelle la « démocratie consensuelle », ou, plus prosaïquement, le donnant-donnant, au coup par coup... La première option paraît toujours impossible à mettre en œuvre à moyen terme, dans la mesure où personne n'accepte de discuter avec des gens qui posent leurs armes sur la table du dialogue (même s'ils prétendent le contraire). On se rabat donc sur la seconde, sans lésiner sur les moyens que confèrent justement les armes. De là, par exemple, le recours à plusieurs reprises au tiers de blocage, avec les alliés consentants du moment. De là aussi la recherche d'un levier permanent qui permettrait à un représentant attitré de la communauté chiite d'intervenir sur tout ce que décide le Conseil des ministres. C'est le rôle que le président de la Chambre – et le Hezbollah derrière lui – voudrait voir dévolu au ministre des Finances, dans la mesure où ce dernier est appelé à signer un grand nombre de décrets. Il est naturellement entendu que le poste en question devrait toujours revenir à un chiite.

 

(Lire aussi : Promotion de 1994 : fin officieuse de la médiation de Hariri)

 

Dans l'affaire de la promotion 1994, ce ne sont donc pas les préoccupations constitutionnelles et intrinsèquement financières qui motivent la démarche de Nabih Berry, mais son souci de faire en sorte que sa communauté dispose en permanence au sein de l'exécutif d'un superministre qui ait les moyens de se livrer au jeu du donnant-donnant avec le chef de l'État et le Premier ministre, lesquels deviendraient alors de facto ses alter ego.

Face à ce schéma se dresse le président de la République avec la posture du gardien du temple. D'un point de vue constitutionnel, il a bien entendu raison d'adopter cette attitude. Mais force est de constater que sa propre formation politique avait usé et abusé de la logique défendue (à demi-mot) par M. Berry lorsque cela lui convenait. Pendant plus de deux ans, à l'argument de la nécessité de respecter les textes était opposée la notion de « conformité au pacte national » de laquelle il ressortait que la présidence de la République devrait revenir de facto au chef politique chrétien le plus fort au sein de sa communauté. Dans l'esprit des promoteurs de cette théorie, cela était censé conduire à un partenariat plus effectif entre les communautés au sein du pouvoir. Sans que cela ne signifie le moins du monde que l'État libanais y gagnerait, c'est exactement la même chose que veut M. Berry...

 

 

Lire aussi
Au-delà d'un décret, la guerre des « ego »le décryptage de Scarlett Haddad

 

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commentaires (7)

Plus qu' un choc d'ego entre deux chefs politiques, M Berry se comporte comme dictateur et M .Aoun comme vrai président .

Antoine Sabbagha

14 h 29, le 11 janvier 2018

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Commentaires (7)

  • Plus qu' un choc d'ego entre deux chefs politiques, M Berry se comporte comme dictateur et M .Aoun comme vrai président .

    Antoine Sabbagha

    14 h 29, le 11 janvier 2018

  • La vieillesse est un naufrage!

    Beauchard Jacques

    10 h 54, le 11 janvier 2018

  • GOUPIL SE COMPORTE EN GUIDE SUPREME DE LA REPUBLIQUE LIBANAISE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 41, le 11 janvier 2018

  • - Singoff - Pouce - Je vais t'accuser chez le directeur! - Ha ha... c'est nous les directeurs... - Ah oui? alors retenue pour toute la classe. - Et pourquoi? - Parce qu'on peut! Gné gné gné - Bisque bisque rage! - Les cahiers au feu et le maître au milieu. La voila notre “classe” politique... quelle honte! J'ai lu quelque part que Donald Trump avait réussi l'exploit de faire passer Bill Clinton pour un honnête homme, et Georges W Bush pour un homme intelligent. Eh bien notre élite politique est en train de réussir l'exploit de faire passer Trump pour un génie...

    Gros Gnon

    08 h 11, le 11 janvier 2018

  • Deux vieillards à l'école maternelle Le Liban, avec ces deux dirigeants , sont décadents

    FAKHOURI

    07 h 12, le 11 janvier 2018

  • Très bon article. Cela dit on doit tous vivre ensemble et de manière harmonieuse car nous n'avons pas d'autres choix. Une démocratie n'est pas une porte fermée. Entre les chrétiens et les deux composantes de l'islam doit s'instaurer une plus grande relation de confiance et pour ça le "donnant-donnant", ou la démocratie "consensuelle" ne sont pas forcément les meilleures recettes. Graver dans le marbre les us et coutumes du pays (des accommodements à la démocratie particulière libanaise, fondée sur le confessionnalisme), pourrait ranimer l'esprit de la "communauté nationale" dont on a besoin d'y croire et d'y adhérer au delà des communautés à laquelle nous appartenons. Le destin commun d'une nation composée par des communautés mérite bien quelques équilibrages afin que chacun se sent totalement investi dans les affaires de la cité. Ce que je ressens à la lecture de ce très bel éditorial, juste, mesuré et apaisé. Bravo

    Sarkis Serge Tateossian

    03 h 44, le 11 janvier 2018

  • Constituion et pacte, charabia digne des pires salesman de films americains. Il est grand temps de se trouver une "natouret el mafatih" tout les présidents officiels et celui de la tryptique ne méritent pas ce peuple qu'ils malmènent avec joie.

    Wlek Sanferlou

    02 h 43, le 11 janvier 2018

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