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Culture - L’artiste de la semaine

Nancy Debs Hadad, portraitiste de machines et autres robots...

La photographe porte une tendresse particulière aux engins industriels et dispositifs robotiques. Dans ses œuvres, elle tente de faire ressortir leur visage humain...

Sa madeleine à elle est une machine ! De sa petite enfance africaine, Nancy Debs Hadad a surtout gardé en mémoire les après-midi passés à l'usine de literie paternelle. « J'y observais, fascinée, le mouvement des appareils de production de ressorts ou encore des instruments de montage... Je ne les voyais pas comme des pièces mécaniques, mais comme des personnages animés, des êtres vivants », raconte-t-elle.

Des décennies plus tard, les yeux de la longue femme brune pétillent encore en évoquant ces souvenirs-là. Sans doute est-ce pour revivre cette magie de l'enfance qu'elle s'est lancée dans une carrière de photographe artistique. Car à travers la lentille de sa caméra (aujourd'hui digitale), le regard que porte Nancy Debs Hadad sur tout ce qui l'entoure change. Les vannes de son imaginaire s'ouvrent et transforment à nouveau les objets inanimés en êtres dotés de vie et d'expression.

Le hasard faisant bien les choses, c'est lui qui l'amènera vers cette voie. Car c'est en faisant des études de musicologie à l'Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) que cette férue d'opéra découvre qu'on y enseigne aussi la photo. « Je me suis inscrite en parallèle », indique-t-elle. Sauf que le parallèle devient très vite son principal centre d'intérêt. L'étudiante abandonne le chant pour l'image, les vocalises pour les pérégrinations exploratrices, caméra au poing. Son DEUG en poche, en 1985, elle rejoint ses parents en Europe et entame une carrière de photographe freelance, avec une prédilection pour les portraits... humains.

En 1992, elle retourne au pays, ouvre un studio photo et une galerie d'art attenante à Solemar, Kaslik, avec l'objectif de créer un mouvement dédié à cette discipline. « L'éveil pour l'art photographique n'était pas encore suffisant à l'époque. J'ai un peu abandonné mes beaux projets et me suis tournée vers l'image publicitaire et de mode. » Dans la foulée, elle se marie, fonde une famille et met durant quelques années sa caméra de côté.

 

Regard humain...
Mais pour celle qui se dit « hypersensible à la laideur au point d'en être agressée », la photographie est un refuge, « une sorte de baguette magique, qui transforme le laid en art ». Une fois les enfants scolarisés, Nancy Debs reprend sa caméra, un peu comme un bâton de pèlerin, et repart en quête d'usines désaffectées, là où appareillages, moteurs et outils réduits à l'inaction et au silence pourrissent lentement dans leur coin... Ce tas de ferraille, ces rebuts d'engins ayant fait leurs temps, l'artiste les sort de leur torpeur, en quelques clics, pour leur donner des visages humains à travers des compositions singulières, parfois étrangement émouvantes, le plus souvent piquantes et malicieuses. Ce travail, expression de gratitude de l'ex-petite fille envers « ces formidables machines conçues et fabriquées par l'homme pour améliorer ses conditions de vie », dégage une tendresse particulière. « C'est parce que j'ai toujours cherché des traits humains dans ces colosses de l'industrialisation sauvage », confie celle qui a ainsi réalisé, au cours des deux dernières décennies, une sorte de galerie de portraits de toutes sortes de pièces et d'éléments mécaniques. Un registre devenu sa signature et qui lui vaut nombre d'expositions locales et internationales ainsi que des participations à plusieurs Salons d'automne du Musée Sursock.

Son style retient aussi l'attention de Charles Zalberg, un galeriste français qui décèle dans ses œuvres « un regard géométrique et sculptural » et l'encourage à s'essayer également à la sculpture. Ce qu'elle fera en reproduisant en pièces tridimensionnelles quelques-uns de ses modèles photographiques, évidement industriels.

 

... et rebuts technologiques
Mais la photographie reste pour elle le plus puissant mode d'expression. Il dit subtilement, sur un mode décalé, ses préoccupations écologiques, ses inquiétudes pour l'avenir d'une génération de consommateurs frénétiques isolés dans leurs bulles virtuelles, sa nostalgie d'une industrie réelle qui ne condamnait pas le lien social...

Crash, son actuelle exposition à la galerie Alice Mogabgab*, est dans cette veine. Même si, cette fois, elle a préféré tourner son objectif vers « les minuscules titans de la mémoire technologique ». Ces puces, cartes électromagnétiques et disques durs saturés et jetés à la poubelle qui offrent autant de portraits d'une société de consommation à qui sait, comme Nancy Debs Hadad, les contempler, les examiner, les lire...
« J'ai fait plusieurs dépotoirs à Beyrouth à la recherche de ces précieuses plaques (issues de portables, d'ordinateurs ou d'appareils électroménagers) », révèle l'artiste. « Je les ai nettoyées et me suis mise à les photographier. En mettant graduellement le focus sur le détail du détail jusqu'à en révéler le visage. » Cette trace humaine dans la machine, qu'elle cherche encore et toujours avec l'espoir qu'elle ne disparaisse jamais totalement un jour.

 

*« Crash », jusqu'au 30 décembre
Galerie Alice Mogabgab

 

 

30 janvier 1967

Naissance au Nigeria.

1985

Elle laisse tomber la musicologie à l'USEK pour la photo.

1989

Entame une carrière
de portraitiste freelance
en Europe.

1992

Retour au Liban et installation de son premier studio à Kaslik.

2007 à 2012

Participe aux Salons d'automne
du Musée Sursock.

2011

« Toxicity », exposition personnelle à l'Espace Kettaneh Kunigk, puis au Royal College of London.

Beirut 2017

« Crash », Galerie Alice
Mogabgab, Beyrouth.

 

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