C'est un double camouflet qui a été asséné le week-end dernier à la souveraineté libanaise. Le spectacle de désolation offert hier à Aoukar par des escadrons de protestataires palestiniens qui s'en sont pris aux forces de l'ordre lors d'une manifestation contre la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, est venu se greffer sur une autre scène, non moins provocante, celle de la tournée controversée au Liban-Sud de Kaïs al-Khazaali, un chef milicien irakien, initiée par le Hezbollah. Deux situations qui ont révélé des atteintes graves à l'autorité centrale et au prestige de l'État qui vient juste d'avaliser le principe de la distanciation du Liban par rapport aux crises régionales, promettant un retour prochain à la « normale » ; comprendre un retour à l'État de droit et au fonctionnement des institutions, en voie d'effondrement.
L'affaire de la tournée du fondateur et chef de la puissante milice irakienne Assaïb Ahl al-Haq (La Ligue des vertueux), soutenue par l'Iran, sur des sites à la frontière avec Israël, continue de susciter des remous dans les milieux politiques libanais, alors que le Hezbollah observait un silence religieux sur l'affaire.
La visite de Kaïs al-Khazaali, dans une région sous haute surveillance des forces intérimaires de la Finul et de l'armée libanaise, constitue, pour nombre d'observateurs, une violation non seulement de la déclaration de distanciation avalisée la semaine dernière par l'ensemble des parties y compris par le Hezbollah, mais également de la résolution 1701, qui vient d'être publiquement bafouée.
En se rendant sur des sites considérés comme des « lieux de culte » par la résistance chiite qui a contribué à leur libération en 2000, notamment à la porte de Fatmé située à la frontière, le responsable irakien a vraisemblablement fait fi des autorisations officielles requises aussi bien par l'armée libanaise que par les forces de la Finul dont le mandat s'étend sur toute la région située au Liban-Sud.
À l'évidence, ce n'était pas du tourisme qu'effectuait, vêtu pour l'occasion d'un uniforme militaire, le milicien irakien (un compagnon d'armes du Hezbollah qui a combattu à ses côtés l'État islamique).
Cette visite a d'ailleurs inspiré au chef de la rencontre démocratique, Walid Joumblatt, un tweet dans lequel il a affirmé, d'une façon sarcastique, qu' « il n'y a pas lieu de faire le lien entre la visite de M. Khazaali et la distanciation parce que cela porte atteinte au tourisme dans le pays ».
À l'instar de tout visiteur étranger souhaitant se rendre dans cette zone, Kaïs al-Khazaali aurait dû passer par les services de renseignements de l'armée libanaise à Saïda pour faire état de sa visite et requérir une autorisation officielle. L'armée vient d'ailleurs d'entamer une enquête pour élucider les circonstances de sa tournée, à la demande du Premier ministre Saad Hariri. Ce dernier a sitôt réagi à la vidéo diffusée samedi sur les médias sociaux faisant état de cette visite incongrue. Au lendemain de sa participation à la réunion du Groupe international de soutien au Liban (GIS) qui venait juste de réaffirmer son appui à la stabilité du Liban, sous condition de la mise en œuvre de la politique de distanciation mais aussi du plein respect de toutes les résolutions du Conseil de sécurité (1559 et 1701), Saad Hariri a estimé que la tournée de Kaïs al-Khazaali à la frontière constitue une « violation des lois libanaises », ordonnant aux autorités de mener une enquête et « de prendre des mesures pour empêcher (M. Khazaali) d'entrer (de nouveau) au Liban ».
Réagissant aux propos du Premier ministre, M. Khazaali a justifié sa tournée en affirmant qu'elle « vise à montrer la solidarité entre les peuples arabes et musulmans face à l'occupant sioniste ». « Le communiqué publié par M. Hariri est truffé d'erreurs et de contradictions », précise un communiqué sitôt publié par la milice Assaïb Ahl al-Haq, soulignant que le visiteur était « détenteur d'un passeport irakien en bonne et due forme », sans autre indication relative au visa, encore moins à l'autorisation requise par l'armée libanaise.
(Lire aussi : La communauté internationale met à l'épreuve Hariri et le Hezbollah)
Les réactions dans les milieux souverainistes
Alors que la présidence de la République s'est abstenue de commenter « avant d'avoir des réponses sur la vidéo », les réactions ont fusé de toutes parts dans les milieux souverainistes libanais qui y ont vu un défi direct aux autorités libanaises.
« C'est la politique de non-distanciation par excellence pratiquée par le Hezbollah », a commenté Antoine Zahra, député membre du directoire des Forces libanaises, qui a estimé qu'il y a là « un manque de respect aux autorités du pays et à la souveraineté ».
Dans les milieux proches du Hezbollah, on tend à minimiser l'impact de cette visite, en affirmant qu'elle a eu lieu avant la déclaration d'intention du gouvernement relatif à la distanciation.
« Si c'est le cas, pourquoi la vidéo a-t-elle donc été rendue publique au lendemain même de la réunion de Paris ? » s'interroge une source du courant du Futur. Celle-ci mentionne également la circulation d'une autre vidéo, diffusée hier sur le site IM Lebanon, montrant des miliciens irakiens et afghans en tenue de combat, dans une zone du Liban-Sud, à proximité d'une patrouille de la Finul, pointée du doigt par l'un des miliciens dans la bande vidéo.
Selon une source FL, ce sont autant de signes qui rappellent les propos tenus en juin dernier par le secrétaire général du Hezbollah, qui avait promis l'arrivée de mercenaires de plusieurs nationalités à la frontière. « L'ennemi israélien doit savoir que s'il déclare une guerre contre la Syrie ou le Liban, des dizaines de milliers de combattants du monde arabe et islamique seront partenaires dans cette guerre, (ils viendront) d'Irak, du Yémen, d'Afghanistan, du Pakistan », avait déclaré Hassan Nasrallah.
Interrogé, l'ancien chef du bloc du Futur et ancien Premier ministre Fouad Siniora a relevé le « timing surprenant » de la diffusion de ces bandes vidéo, en se demandant quelle est la teneur exacte du message que le Hezbollah veut véhiculer à l'adresse de « la communauté internationale ».
« Pour la première fois dans l'histoire, le monde entier a pris position contre Israël et les États-Unis (en réaction à la décision relative à Jérusalem ), a souligné M. Siniora dans un entretien à L'OLJ. Toute la question est de savoir comment les Arabes vont retourner cette décision désastreuse en opportunité, surtout que la communauté internationale se trouve aujourd'hui de notre côté », a ajouté M. Siniora en déplorant la circulation de ces vidéos qui sont « bien en-dessous du niveau requis pour faire face au défi américano-israélien ».
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L,AUTORITE DE L,ETAT ET CELLE DU GARANT BAFOUEE AVANT LE CHANT DU COQ ET LE PRETENDU GARANT GARDE TOUJOURS LE SILENCE !
LA LIBRE EXPRESSION
21 h 30, le 11 décembre 2017