De l'interview historique qu'attendaient non seulement les Libanais, mais également les observateurs du monde entier, pour comprendre « le mystère » de la démission du Premier ministre, Saad Hariri, il faudra retenir les expressions-clés réitérées à maintes reprises lors de l'entretien et qui donnent le ton de la période à venir. « Le choc positif », « la nécessité du retour à une distanciation réelle et non rhétorique », « l'intérêt du Liban qui passe avant tout autre chose », et enfin, le « dialogue incontournable » sur le plan interne libanais qui doit porter sur l'implication du Hezbollah à l'extérieur, et les « armes du Hezbollah » qui seront résolues au niveau régional.
En bref, c'est un discours positif de conciliation que M. Hariri a veillé à tenir hier lors de l'entretien retransmis en direct de Riyad par la chaîne du Futur, en proposant une feuille de route claire, nette et précise sur la solution à la crise déclenchée le jour de sa démission. Le Premier ministre démissionnaire serait ainsi disposé à retourner au Liban, peut-être même à former un nouveau gouvernement, mais sous le seul label de la « neutralité du Liban vis-à-vis des crises régionales ».
Sur un ton grave et pondéré, M. Hariri a affirmé, plus d'une fois, qu'il allait rentrer au Liban « dans les prochains jours », et ce en dépit « des menaces sécuritaires » qui, a-t-il dit, continuent de peser sur lui.
Évitant tout au long de l'entretien de s'attaquer au Hezbollah, M. Hariri a également revalidé son entente avec le chef de l'État, Michel Aoun, qu'il a qualifié « d'homme de confiance », une entente qui devra être toutefois revue et corrigée sur de nouvelles bases. « Je ne suis pas de ceux qui menacent de démissionner. Je le fais. J'ai démissionné sans menaces. Je vais revenir au Liban très bientôt et respecter les modalités constitutionnelles pour rendre effective ma démission », a-t-il dit.
M. Hariri a répété que l'initiative qu'il a prise vise exclusivement à « préserver l'intérêt du Liban », un objectif qui sert également « l'intérêt du Hezbollah ». « J'ai vu beaucoup de développements dans la région qui nuisent au pays. Je me suis souvent exprimé pendant cette période et j'ai répété mes craintes devant plusieurs personnes », a-t-il confié.
Il a dénoncé l'ingérence de l'Iran qui, selon lui, « représente un poids pour les Libanais », reconnaissant au passage que le compromis conclu au début du sexennat n'a pas donné ses résultats, l'objectif de ramener le Hezbollah dans le giron de l'État et d'éloigner le Liban de la politique des axes n'ayant pas été atteint. « Je suis fier du compromis que nous avons trouvé au Liban et j'espérais qu'il soit efficace. Je ne suis pas contre le Hezbollah en tant que parti politique, mais je suis contre le fait que le Hezbollah joue un rôle externe et mette le Liban en danger », a-t-il insisté.
Il a également fait état de sa volonté de consulter les partis politiques pour tenter d'extirper le Liban des ingérences dans la région. « Le Liban ne peut pas rester dans cette situation », a-t-il martelé. « Je ne permettrai pas qu'une guerre soit lancée contre le Liban », a-t-il ajouté, un peu plus loin.
Le Premier ministre démissionnaire à répété à l'envi que sa démission était une décision personnelle, qui ne lui a été prescrite par aucune tierce partie, se disant « libre » au royaume.
(Lire aussi : Le message de Hariri à Aoun)
Aoun, un homme de confiance
Interrogé sur la position exprimée par Baabda qui, à ce jour, considère sa démission annoncée depuis Riyad comme non effective, il a répondu : « Le président Aoun est attaché à la Constitution et nous devons tous la respecter. Le président a le droit de refuser cette démission et c'est un devoir constitutionnel que d'aller le voir pour lui présenter personnellement ma démission. »
Et d'ajouter : « Michel Aoun a raison, je dois rentrer au Liban. Je suis fier de ma relation avec le président et nous continuerons la discussion sur les moyens à prendre pour préserver le compromis politique. Le problème, c'est que le Liban n'est pas resté à l'écart des conflits, c'est pour cela que nous devons rediscuter des mesures à prendre. »
Évoquant son rapport avec le président, il a affirmé que M. Aoun « est un homme de confiance ». « Cette relation va se poursuivre. » « Malgré nos différences, nous sommes d'accord sur plusieurs points. Nous devons insister sur la neutralité du Liban pour éviter d'entrer dans les conflits régionaux », a indiqué M. Hariri.
Il a également souligné que le président Aoun devrait lancer un dialogue autour de la question des armes du Hezbollah. « La question du Hezbollah ne concerne pas uniquement le Liban, mais la région tout entière. C'est pour cela qu'il faut protéger le Liban par un dialogue sérieux interne », précisant toutefois que c'est « au niveau régional » qu'une solution à la question des armes du Hezbollah peut être trouvée.
(Lire aussi : Première interview de Hariri depuis sa démission : ses principales déclarations)
Relations avec Riyad
Aux multiples interrogations portant sur le rôle présumé du prince héritier dans la démission et sa concomitance avec les arrestations massives qui ont eu lieu à Riyad – « une pure coïncidence » et « une affaire interne », selon lui – ainsi qu'autour du mystère qui a entouré son long silence depuis le 4 novembre, M. Hariri a eu une seule réponse, balayant toutes les accusations imputées au régime saoudien. Évoquant les récentes purges en Arabie, M. Hariri a souligné que le Liban devrait prendre exemple sur les Saoudiens et que les corrompus devraient être jetés en prison.
« Mes relations avec l'Arabie saoudite sont très anciennes et je respecte la famille royale, le roi me traite comme son fils », a-t-il dit en référence au roi Salmane ben Abdel Aziz. Il a également déclaré avoir une relation « excellente et privilégiée » avec le prince héritier Mohammad ben Salmane.
« L'Arabie aime Beyrouth, mais elle ne va pas aimer Beyrouth plus que Riyad. S'il y a une partie au Liban qui essaie de déstabiliser la sécurité du Golfe, le Golfe va-t-il continuer de nous aimer ? » s'est-il demandé en insistant sur le fait que l'Arabie saoudite n'avait jamais exprimé une position hostile au Hezbollah « avant la guerre du Yémen ».
Il a par ailleurs souligné qu'aussi bien le roi d'Arabie que le prince héritier « sont attachés à la stabilité du Liban, y compris la stabilité économique, et à sa démocratie », rappelant que plus de 300 000 Libanais vivent et travaillent dans les pays du Golfe.
En réponse à une question, M. Hariri a assuré avoir écris le discours de démission lui-même pour faire « un choc positif, et non pas négatif, afin de signifier aux Libanais que la situation est dangereuse ».
Lire aussi
Mortelles distances, l'édito d'Elie Fayad
Raï aujourd'hui en Arabie saoudite, « au nom de tous les Libanais »
Au marathon de Beyrouth, les Libanais affichent leur soutien à Hariri
Cinq questions sur la "guerre froide" entre l'Arabie et l'Iran
Pour mémoire
L’autoroute chiite sera-t-elle brisée, et, si oui, par qui ?
commentaires (8)
y avait il du nouveau la dedans ? pas que je sache, quoique j'ai pu ecouter ET lire les levres de hariri....
Gaby SIOUFI
12 h 56, le 14 novembre 2017