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Moyen Orient et Monde - Éclairage

L’autoroute chiite sera-t-elle brisée, et, si oui, par qui ?

Téhéran et l'accès à la Méditerranée : le croissant chiite contre lequel avait mis en garde le roi Abdallah II en 2004 semble être désormais une réalité.

Des miliciens chiites dans le sud de l’Irak, en 2014. Archives AFP

Il y a treize ans, cela ressemblait surtout à un mythe. Du moins, à une certaine paranoïa. Quand le jeune roi jordanien Abdallah II évoquait pour la première fois ses craintes de voir se dessiner un « croissant chiite » au Moyen-Orient, les connaisseurs de la région avaient beau jeu de lui rétorquer que le monde chiite était traversé par de multiples courants de pensée religieuse et politique, et que l'axe iranien – objet de toutes les hantises – était fragilisé par les divergences d'intérêts entre plusieurs de ses composantes. Mais aujourd'hui que la prophétie se soit incarnée ou que la stratégie sur le long terme ait payé, le croissant contre lequel le souverain hachémite mettait en garde est devenu réalité. Une réalité encore fragile, certes, mais qui témoigne de l'influence qu'a réussi à acquérir la République islamique dans la région au cours de ces dernières années.

Les Iraniens ne s'en cachent pas. Ils ont même de plus en plus tendance à s'en vanter : leur pouvoir dans cette zone est sans précédent dans l'histoire contemporaine de l'Iran. Le général de l'unité d'élite des gardiens de la révolution, Qassem Soleimani, se déplace d'un pays à l'autre pour élaborer des plans de bataille et motiver les troupes. Le président iranien, Hassan Rohani, considéré comme un modéré, vante le fait qu'en « Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du Nord, dans la région du golfe Persique, il n'est plus possible de mener une action décisive sans tenir compte de l'Iran ». Depuis Alep, symbole de la « victoire iranienne », le principal conseiller d'Ali Khamenei, le guide suprême iranien, Ali Akbar Velayati, affirme que « la ligne de résistance part de Téhéran et traverse Bagdad, Damas et Beyrouth pour atteindre la Palestine ».

« Le but de l'Iran est de devenir la grande puissance régionale », commente Mahnaz Shirali, enseignante à l'Institut d'études politiques de Paris, interrogée par L'Orient-Le Jour. Pour parvenir à ce but, Téhéran a su profiter, mieux que personne dans la région, des bouleversements géopolitiques au Moyen-Orient. D'abord, en exploitant la chute de Saddam Hussein, provoquée par son ennemi américain, pour faire tomber l'Irak dans son giron. Ensuite, en s'investissant largement, ces six dernières années, dans la guerre contre-révolutionnaire et dans la lutte contre l'État islamique, en Syrie, en Irak, et dans une moindre mesure au Yémen. Si les diplomates iraniens se vantent de contrôler quatre capitales arabes (Beyrouth, Damas, Bagdad, Sanaa), force est de constater que l'Iran dispose aujourd'hui de puissants relais dans de nombreux pays de la région. Le Hezbollah au Liban, une partie importante des milices chiites en Irak et en Syrie, les houthis au Yémen, et, dans une bien moindre mesure désormais, les brigades al-Qassem et le Jihad islamique à Gaza dépendent tous – certes à des degrés divers – directement de Téhéran. Ils sont autant de leviers que la République islamique peut décider d'activer à tout moment pour peser sur les scènes nationales de ces pays en fonction de ses intérêts – comme autant de cartes dans la manche iranienne dans ses rapports avec les puissances régionales et internationales.

« L'Iran est le seul pays à avoir des troupes au sol et avoir une politique concertée dans le conflit qui ravage l'Irak et la Syrie. Il est donc normal que ce pays se retrouve dans une position nouvelle dans la région », argumente Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, également interrogé par L'OLJ. Sauf que la volonté de domination d'une puissance perse et chiite sur une région majoritairement arabe et sunnite a du mal à passer, surtout auprès de son grand rival, l'Arabie saoudite.

 

(Lire aussi : Riyad et Téhéran ont-ils les moyens de leurs ambitions ?)

 

 

Tout se joue à Deir ez-Zor
Riyad veut endiguer, à tout prix, l'influence iranienne dans la région. Le prince héritier et homme fort du royaume, Mohammad ben Salmane, a démontré qu'il était prêt à faire la guerre pour parvenir à ce but. Mais peut-il encore couper les tentacules de la pieuvre iranienne alors que Téhéran semble véritablement enraciné dans la région ? Autrement dit, n'est-il pas déjà trop tard pour contrer l'expansionnisme iranien ?
Le croissant chiite s'est transformé en une véritable autoroute. L'axe syro-iranien en un axe irano-iranien.

Alors que Riyad et Téhéran rivalisent ces derniers jours de surenchères bellicistes, laissant craindre l'éclatement d'un conflit de grande ampleur dans la région, les Iraniens scrutent avec une attention particulière le déroulement de la bataille de Boukamal, à la frontière syro-irakienne. Et pour cause : cette bataille, encore en cours, a permis aux soutiens de Bachar el-Assad, dont le Hezbollah, d'établir une jonction avec les forces loyalistes de Bagdad, parmi lesquelles figurent en bonne position les milices chiites. Donnant plus que jamais une réalité objective au fameux axe iranien qui relie Téhéran à la Méditerranée via l'Irak, la Syrie et le Liban.

L'autoroute chiite permet à l'Iran de transporter hommes et armes de l'Iran au Liban, et de renforcer l'arsenal de ses obligés, prêt à intervenir en fonction des circonstances, face à Israël ou face à des groupes armés sunnites. Elle assure à la République islamique, puissance tournée vers l'Asie, la possibilité de réaliser un vieux rêve : établir une base navale en Syrie – au grand dam, très probablement, de Moscou. Elle lui permet, enfin, de dominer ce vaste espace sans dépendre directement de ses relations avec les pouvoirs centraux en place.

L'autoroute n'est toutefois pas encore sécurisée. Elle nécessite une reprise par les forces loyalistes de la province de Deir ez-Zor, dont 30 % est encore aux mains de l'EI, et 32 % dominée par les Forces démocratiques syriennes, une coalition arabo-kurde appuyée par les États-Unis, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme. « Il y a plusieurs routes possibles, il n'y en a pas qu'une », précise le géographe Fabrice Balanche, directeur de recherche à l'université Lyon II.

La consolidation de cet axe est une véritable hantise pour les ennemis de l'Iran. « Les Israéliens, les États-Unis et les monarchies du Golfe auraient intérêt à briser cet axe », confirme M. Balanche. Les Israéliens, qui ont prévenu qu'ils ne laisseraient pas les Iraniens s'installer en Syrie, peuvent envisager une intervention dans le Sud syrien, mais l'axe peut tout à fait passer par le Nord. Les monarchies du Golfe semblent, quant à elles, avoir compris qu'elles avaient perdu la partie en Syrie et sont probablement en train de se rabattre sur le Liban et sur l'Irak. Et les Américains, malgré leurs déclarations enflammées contre l'Iran, n'ont toujours pas de stratégie lisible en Syrie. Ils pourraient couper l'axe en s'investissant dans la durée dans l'Est syrien, mais rien ne montre pour l'instant qu'ils aient l'intention de le faire, alors que leurs alliés kurdes sont maîtres du terrain à l'est de l'Euphrate.

Ses adversaires sont prévenus : l'Iran est capable d'ouvrir plusieurs fronts en même temps. « Les troupes iraniennes peuvent se déployer très facilement dans toute la région », estime Fabrice Balanche.
De quoi inciter Israël, l'Arabie saoudite et les États-Unis à faire front commun contre la République islamique avec les risques gigantesques que tout le monde, désormais, connaît ? La réponse à cette question, quelle qu'elle soit, se prépare en ce moment même.

 

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Il y a treize ans, cela ressemblait surtout à un mythe. Du moins, à une certaine paranoïa. Quand le jeune roi jordanien Abdallah II évoquait pour la première fois ses craintes de voir se dessiner un « croissant chiite » au Moyen-Orient, les connaisseurs de la région avaient beau jeu de lui rétorquer que le monde chiite était traversé par de multiples courants de pensée religieuse et...

commentaires (9)

LE ROI DE JORDANIE , oui surement. mais aussi pourquoi/comment oublier que depuis les annees 80, l'iran balisait son autoroute , a partir de 3 axes "routiers" mais complementaires: le 1er, avec hafez assad le 2nd a partir du liban , dans la bekaa, avec les pasdarans ou je ne sais plus quelle milice qui des ce moment la entrainaient les chiites libanais a la guerilla le 3eme quand ses hommes libanais pourchassaient et assassinaient la VRAI RESISTANCE LIBANAISE CELLE-CI ( communistes, psns, etc.... ). alors lui couper cette autoroute? diablement difficile A MOINS de compter sur la LA RUSSIE , surement pas sur les usa ou israel.

Gaby SIOUFI

11 h 39, le 11 novembre 2017

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • LE ROI DE JORDANIE , oui surement. mais aussi pourquoi/comment oublier que depuis les annees 80, l'iran balisait son autoroute , a partir de 3 axes "routiers" mais complementaires: le 1er, avec hafez assad le 2nd a partir du liban , dans la bekaa, avec les pasdarans ou je ne sais plus quelle milice qui des ce moment la entrainaient les chiites libanais a la guerilla le 3eme quand ses hommes libanais pourchassaient et assassinaient la VRAI RESISTANCE LIBANAISE CELLE-CI ( communistes, psns, etc.... ). alors lui couper cette autoroute? diablement difficile A MOINS de compter sur la LA RUSSIE , surement pas sur les usa ou israel.

    Gaby SIOUFI

    11 h 39, le 11 novembre 2017

  • On continue à raisonner en terme de chiite - sunnite..... La terre supportera tout le monde à condition que cette cohabitation soit harmonieuse... On voit bien qu'il y a une haine viscérale des wahhabites contre la Perse et vis versa ... La solution ne peut venir que par l'apaisement et n'ont pas par l’écrasement de l'un au détriment de l'autre. Waynak ya Loubnan ?

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 25, le 11 novembre 2017

  • Équation a plusieurs inconnues... Dont la solution (temporaire?) est dans la démographie et la mobilisation morale des groupes adversaires On ne peut plus maintenir (ou développer) le Pouvoir à la faveur de mobilisation de mercenaires Dans ce jeu de poker (malheureusement réel) les mises les plus crédibles semblent payantes et ces mises sont L'investissement "guerrier" tous azimuts de l'Iran...nucléaire , balistique, religieux. Le silence relatif d'Israel Le jeu trouble des USA et des Russes Le silence (relatif ) des turcs, obnubilés par l'expansion du potentiel kurde Et les kurdes, monnaie d'appoint de USA Sans oublier que de loin, la Chine, hyper puissant , compte les coups, prête acrafler la mise , en temps opportun Politologues,mr envoyez vos fiches

    Chammas frederico

    11 h 18, le 11 novembre 2017

  • L'autoroute wahabite c'est sûrement mieux!

    Fredy Hakim

    09 h 32, le 11 novembre 2017

  • Bachir Gemayel leur avait prédit avant sa mort que toutes attaques contre le Liban se retournera contre eux. Son Frère Amine l'a répété après lui mais personne ne les avaient cru. Ne disait on pas déjà a l’époque que les Arabes retournerons a dos de chameaux? Nous y voici en bon chemin. Seul hic dans cette sale affaire c'est qu'a cause de Aoun et son manque de vision stratégique, les Chrétiens paieront encore une fois un prix important avant la résurrection du pays.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 27, le 11 novembre 2017

  • ELLE SERA BRISEE PAR UNE COALITION INTERNATIONALE MENEE PAR LES ETATS UNIS... OU ECONOMIQUEMENT AVEC DES MARCHANDAGES OU MILITAIREMENT PAR LA FORCE ! TOUT COMMENCE MAINTENANT DANS LA REGION...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 03, le 11 novembre 2017

  • L,HEGEMONIE PERSE REPOSE SUR LA TRAITRISE A LEUR ETATS RESPECTIFS DES PARTIES CHIITES ARABES QU,ELLE A REUSSI A FANATISER ET FAIRE TRAVAILLER POUR SON COMPTE ET POUR SERVIR SES INTERETS PROPRES... SEUL LE REVEIL DES CHIITES ARABES ET LEUR APPARTENANCE ARABE SERAIT LA VRAI REPONSE POUR BRISER L,AXE PERSE... TOUTE AUTRE ISSUE SERAIT DES GUERRES INTERMINABLES AUX RESULTATS DOUTEUX !

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 35, le 11 novembre 2017

  • NOUS CONNAISSONS DEPUIS BCP PLUS LONGTEMPS L'AVENIR DU CROISSANT CHIITE ET SURTOUT LES ENVIE EXPANSIONISTE DE L'IRAN DANS LA REGION .. JE REMERCIE LES AUTEURS DE CETTE ARTICLE POUR AVOIR ETE DANS LE VRAI

    Bery tus

    03 h 36, le 11 novembre 2017

  • La solution au probleme....un changement de regime a Teheran...le croissant chiite ne sera plus une menace si s installe a Teheran un regime pro occidental...BUSH aurait du envahir l IRAN en 2003 plutot que l IRAK...

    HABIBI FRANCAIS

    03 h 13, le 11 novembre 2017

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