Huit jours après l'annonce surprise de sa démission, faite depuis Riyad, le Premier ministre Saad Hariri s'est exprimé dimanche soir, pour la première fois depuis le 4 novembre. Ce, dans le cadre d'une interview accordée à la présentatrice et journaliste Paula Yaacoubian, et diffusée par de nombreuses chaînes de télévision libanaises, dont la Future TV, dont M. Hariri est le propriétaire. Une interview qui s'est déroulée dans un contexte de crise, notamment marqué par des interrogations quant à la liberté de mouvement et de parole du Premier ministre.
Lors de cette interview, le Premier ministre démissionnaire a tenu des propos moins virulents que lors de l'annonce de sa démission. Il a assuré qu'il allait "rentrer au Liban bientôt" (une question de jours, a-t-il précisé), se disant "libre" en Arabie saoudite. "Je suis libre ici, si je veux voyager demain, je voyage", a-t-il lancé, dans le cadre de sa première prise de position publique depuis qu'il a annoncé le 4 novembre sa démission surprise. "Je vais rentrer au Liban très bientôt pour entamer les procédures constitutionnelles nécessaires", a-t-il précisé, en référence à sa démission. Il a également de nouveau dénoncé le non respect du principe de distanciation du Liban vis-à-vis des crises régionales par le Hezbollah.
Retour sur les principales déclarations de M. Hariri :
- "J'ai présenté ma démission pour l'intérêt du Liban car j'ai vu beaucoup de développements dans la région qui nuisent au pays. Je me suis souvent exprimé pendant cette période et j'ai répété mes craintes devant plusieurs personnes".
-"L'ingérence de l'Iran représente un poids pour les Libanais. Je suis fier du compromis que nous avons fait au Liban et j'espérais qu'il soit efficace. Je ne suis pas contre le Hezbollah en tant que parti politique, mais je suis contre le fait que le Hezbollah joue un rôle externe et mette le Liban en danger".
-"Mes relations avec l'Arabie saoudite sont très anciennes et je respecte la famille royale, le roi me traite comme son fils". M. Hariri a également déclaré avoir une relation "excellente et privilégiée" avec le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane. "L'Arabie aime Beyrouth, mais elle ne va pas aimer Beyrouth plus que Riyad. S'il y a une partie au Liban qui essaie de déstabiliser la sécurité du Golfe, le Golfe va-t-il continuer de nous aimer?".
-"Je ne suis pas de ceux qui menacent de démissionner. Je le fais. J'ai démissionné sans menaces. Je vais revenir au Liban très bientôt et respecter les modalités constitutionnelles pour rendre effective ma démission. Et je vais consulter les partis politiques pour sortir des ingérences dans la région. Le Liban ne peut pas rester dans cette situation". "Je suis libre ici (en Arabie saoudite), si je veux voyager demain, je voyage", a-t-il insisté. M. Hariri a souligné que son retour n'était pas une question de mois ou de semaines, mais de jours.
"J'ai écrit le discours de démission moi-même. Je voulais faire un choc positif et non pas négatif pour faire comprendre aux Libanais la situation dangereuse dans laquelle nous nous trouvons", a insisté M. Hariri. Lors de l'interview, Paula Yacoubian a déclaré que les questions n'avaient pas été données à l'avance au Premier ministre.
-"L'Arabie saoudite ne menace pas le Liban", a encore déclaré M. Hariri, en réponse à une question. "Mais aujourd'hui, des Saoudiens sont tués à cause des ingérences iraniennes". Interrogé sur les risques d'une guerre au Liban, M. Hariri a répondu : "Je ne permettrai pas qu'une guerre soit lancée contre le Liban". Alors que Mme Yacoubian soulignait que certains estiment que Riyad fait pression sur Israël pour que celui-ci lance une guerre contre le Liban, M. Hariri a répondu : "Nous savons très bien à quel jeu joue Israël. Mais il faut être réaliste et bien comprendre la situation".
"L'Arabie dit qu'elle veut de meilleures relations avec l'Iran, mais il faut que l'Iran cesse ses ingérences", a-t-il martelé.
-Interrogé sur le président Michel Aoun Saad Hariri a déclaré :
"Le président Aoun est attaché à la Constitution et nous devons tous la respecter. Le président a le droit de refuser cette démission et c'est un devoir constitutionnel que d'aller le voir pour lui présenter personnellement ma démission. Michel Aoun a raison, je dois rentrer au Liban. Je suis fier de ma relation avec le président et nous continuerons la discussion sur les moyens à prendre pour préserver le compromis politique (à l'origine de la formation du gouvernement Hariri il y a un an et de l'élection de M. Aoun, ndlr). Le problème, c'est que le Liban n'est pas resté à l'écart des conflits, c'est pour cela nous devons rediscuter des mesures à prendre".
Un peu plus tard, il reprend :
"En politique, beaucoup de choses changent, mais en ce qui concerne Michel Aoun, c'est un homme de confiance. Il dit qu'il me considère comme son fils et je lui dis que cette relation va se poursuivre. Et je vais bientôt rentrer pour lui parler et que nous nous mettions d'accord sur ce qui constitue l'intérêt du pays. Michel Aoun veut voir le Liban prospère, libre, souverain et indépendant. C'est son rêve et malgré nos différences, nous sommes d'accord sur plusieurs points. Nous devons insister sur la neutralité du Liban pour éviter de rentrer dans les conflits régionaux".
M. Hariri a également souligné que le président Aoun devrait lancer une dialogue autour de la question des armes du Hezbollah. "La question du Hezbollah ne concerne pas uniquement le Liban, mais la région toute entière. C'est pour cela qu'il faut protéger le Liban par un dialogue sérieux interne". Un peu plus tard, M. Hariri déclare néanmoins que c'est "au niveau régional" qu'une solution à la question des armes du Hezbollah peut être trouvée.
-"Le Liban doit être neutre vis-à-vis des crises régionales", a martelé M. Hariri
Alors que Mme Yacoubian soulignait que l'Arabie saoudite s'ingère, elle aussi, dans les affaires libanaises, M. Hariri a répondu : "Ce n'est pas vrai. Nous ne voulons pas que le Liban soit pris dans la guerre des axes. Le président iranien Hassan Rohani a dit que l'Iran décide de ce qui se passe dans la région. Ce n'est pas de l'ingérence ça?"
"En 2000, tous les Libanais étaient avec le Hezbollah contre Israël (au moment du retrait des troupes israéliennes du Liban-Sud, ndlr). En 2006, l'Arabie saoudite a aidé le Liban alors qu'Israël nous bombardait. Le Hezbollah, lui, n'a pas respecté la demande de distanciation (vis-à-vis des crises régionales, ndlr), et ce même en dehors de la Syrie. Je le répète, ma démission doit engendrer un choc positif pour le Liban. Nous sommes responsables du sort des Libanais dans les pays étrangers et surtout dans le Golfe".
Conclusion : Alors que Paula Yacoubian lui demandait si ses moyens de communication avec ses proches étaient limités, Saad Hariri a répondu qu'il était actuellement dans "une phase de réflexion". "Je ne veux pas être perturbé. Je parle avec beaucoup de gens, et je rencontre beaucoup de monde mais tout n'est pas annoncé dans les médias".
Le Premier ministre a également assuré que les législatives, prévues en mai prochain, auront lieu. "Il y aura des élections, c'est certain", a-t-il déclaré.
Et pour conclure, il a répété que son seul objectif est "la recherche de l'intérêt du Liban". "Ce choc (lié à sa démission" doit nous servir à nous réveiller. Il faut mettre les points sur les i", a-t-il insisté. "Je rentrerai au Liban dans les prochains jours pour continuer le chemin tracé par Rafic Hariri pour le pays", a-t-il conclu.
Depuis l'annonce du 4 novembre, M. Hariri n'est pas rentré au Liban pour présenter officiellement sa démission. Et ce malgré les appels unanimes de la classe politique libanaise, y compris de la part du Courant du Futur, le parti de M. Hariri, à ce qu'il rentre au Liban.
Ces derniers jours, plusieurs hauts responsables libanais ont affirmé que le Premier ministre est retenu contre son gré dans la capitale saoudienne. Le président libanais Michel Aoun a réitéré dimanche son inquiétude quant aux "conditions mystérieuses" entourant la situation du Premier ministre à Riyad. "La liberté de mouvement de M. Hariri est limitée et plusieurs conditions lui ont été imposées", a affirmé M. Aoun, quelques heures avant la diffusion de l'entrevue. "La communication avec lui est également limitée, même pour les membres de sa famille", a-t-il ajouté, réaffirmant que "les propos de Hariri doivent être évalués avec précaution car ils ne reflètent pas nécessairement la réalité".
Un responsable libanais a d'ailleurs indiqué à Reuters, que Michel Aoun a déclaré à des ambassadeurs étrangers en poste à Beyrouth que Saad Harriri "a été enlevé". Deux hauts responsables du gouvernement libanais, un haut responsable proche de M. Hariri et une quatrième source interrogées par Reuters ont également déclaré que M. Hariri est retenu contre son gré en Arabie saoudite.
Dans l'après-midi, la chaîne de télévision NBN, proche du mouvement Amal dirigé par le président du Parlement, Nabih Berry, a annoncé qu'elle ne retransmettrait pas cette interview conformément aux déclarations samedi du président Aoun qui avait indiqué que toute position prise par le chef du gouvernement libanais "ne reflète pas la réalité", étant donné "les conditions mystérieuses entourant sa situation en Arabie saoudite".
Un peu plus tard, les chaînes OTV, al-Manar, Télé Liban et al-Jadeed ont annoncé qu'elles ne retransmettront pas non plus l'interview.
Dans la journée, l'ancien ministre Wi'am Wahhab, a affirmé que le ministre saoudien pour les Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhane, a demandé à M. Hariri de dire qu'il était libre de ses mouvements en Arabie saoudite et de s'en prendre à l'Iran. Samedi, M. Sabhane avait indiqué que le Premier ministre libanais allait "bientôt dévoiler l'identité de celui qui a vendu les Libanais".
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commentaires (11)
Donc il est considere comme un fils par le Salmane et par le President Aoun....Quelle chance!
IMB a SPO
21 h 12, le 13 novembre 2017