Assad et Nasrallah, en février 2010 (photo d'archives).
Depuis la dernière opération militaire menée par l'armée contre deux camps de réfugiés syriens dans le jurd de Ersal, la polémique autour de « la nécessité du retour des déplacés » s'est gravement amplifiée, ouvrant la voie à des accusations de racisme, doublées d'une dangereuse montée en flèche de la tension entre Libanais et Syriens. Une tension dont devaient témoigner deux manifestations qui étaient prévues aujourd'hui au centre-ville de Beyrouth, l'une en solidarité avec les réfugiés syriens, l'autre avec l'institution militaire. Mais le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, a annulé les deux manifestations.
Si, par sa décision, M. Machnouk a sans soute épargné au pays un dérapage dans la rue entre Libanais et Syriens, le timing même de cette polémique reste douteux. D'autant qu'elle intervient quelques jours après un discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans lequel ce dernier a adressé « le dernier avertissement » aux « terroristes », pour se retirer du jurd de Ersal, avant la « bataille décisive ». Elle s'inscrit aussi dans le cadre du bras de fer autour d'un éventuel dialogue entre le gouvernement libanais et le régime syrien, qui semble encore loin de prendre fin, à la lumière notamment des divergences radicales entre les différents protagonistes libanais sur ce point.
À l'heure où certains observateurs seraient tentés d'expliquer cette récente polémique par la longue durée de la crise syrienne et la forte pression socio-économique qu'engendre la présence massive de Syriens sur le territoire libanais, d'autres, visiblement plus pragmatiques, ajoutent à ce tableau deux éléments aussi importants : l'échec du gouvernement libanais à résoudre cette crise par une approche scientifique, et celui de la communauté internationale et des grandes puissances à parvenir à une solution politique à même de paver la voie à un retour définitif des réfugiés.
(Lire aussi : La manipulation du dossier des réfugiés au service du régime Assad)
Mais, tout en reconnaissant qu'un cumul et des pressions ont certainement alimenté la polémique entre Libanais et Syriens, une troisième catégorie d'observateurs, dont le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, place le problème dans un contexte politique régional plus large, pointant ouvertement un doigt accusateur en direction du régime syrien et de son grand allié local, le Hezbollah. C'est dans ce cadre que s'inscrit, par exemple, un tweet de M. Joumblatt posté hier sur son compte personnel : « Non aux manifestations portant sur les réfugiés. Non au retour aux expériences des années 1967 et 1975, qui ont divisé le pays ; oui à la distinction entre terroristes et réfugiés. » Et le leader druze d'ajouter : « Qui a dit que les services de renseignements syriens sont innocents et ne voudraient pas voir l'armée libanaise entrer en confrontation avec les réfugiés ? » Expliquant ce constat fort de Walid Joumblatt, des sources proches du leader druze ne manquent pas de faire valoir à L'Orient-Le Jour que « M. Joumblatt a spécifiquement visé les services de renseignements de Bachar el-Assad, pour ne pas aller plus loin, ou même plus près, vers ses alliés locaux et régionaux ».
Même son de cloche chez Mouïn Merhebi, ministre d'État pour les Affaires des réfugiés (courant du Futur). Interrogé par L'OLJ, il fait état de « certaines tentatives de mener les peuples libanais et syrien dans des malentendus qui serviraient d'abord l'intérêt de Bachar el-Assad. Il en veut pour preuve que l'écrasante majorité des réfugiés soutient l'armée dans sa lutte contre le terrorisme ».
Dans certains milieux qui suivent de très près le dossier, on va même encore plus loin : jusqu'à accuser le parti chiite et le régime Assad de manipuler le dossier des réfugiés à des fins militaires et politiques. Le président syrien ne voudrait pas reconnaître ces personnes comme « réfugiés », dans la mesure où cela constituerait une reconnaissance d'un problème à l'intérieur de son pays, ce qu'il refuse de faire, indique-t-on dans les mêmes milieux. M. Assad chercherait même à semer la peur et la xénophobie dans les rangs de la population libanaise pour inciter d'une part les réfugiés à prendre la poudre d'escampette et porter atteinte, de l'autre, à la stabilité du Liban, préservée grâce à une résilience exceptionnelle des Libanais.
(Lire aussi : Geagea : Pour en finir avec le terrorisme, il faut régler le cas Assad)
Prestige de l'État
Le Hezbollah serait lui aussi en train d'exploiter le dossier des réfugiés syriens pour assurer une légitimité à son action militaire menée notamment dans le jurd de Ersal, dans la mesure où il cherche à se présenter comme un partenaire à part entière de l'institution militaire, comme le souligne une source politique indépendante à L'OLJ. Cette source ne manque pas d'adresser une pique, dans ce cadre, au chef de l'État, Michel Aoun, en sa qualité de haut commandant des forces armées. « Comment le gouvernement, mais aussi le Conseil supérieur de la Défense peuvent-ils se permettre de ne pas discuter d'un sujet aussi important que la situation sécuritaire du pays, à l'heure où une faction armée de la société se présente comme un parfait substitut à l'État, au point de lancer elle-même des mises en garde contre les organisations armées et de préparer des batailles contre le terrorisme en plein territoire libanais ? » s'alarme la personnalité précitée. Il ne s'agit pour elle de rien moins qu' « une atteinte flagrante au prestige de l'État », qui se manifeste par une campagne contre l'armée, lancée récemment sur les réseaux sociaux.
Plusieurs partis politiques, dont notamment le Parti national libéral, ainsi que l'ordre des avocats de Beyrouth ont salué hier les accomplissements de la troupe, exprimant leur soutien indéfectible à cette dernière.
Signalons par ailleurs que, sur le terrain, un ressortissant syrien, H. O., qui administre une page Facebook nommée « L'Union du peuple syrien au Liban » (plus de 14 000 abonnés), a été arrêté hier dans le secteur de Taamir-Aïn el-Héloué, près de Saïda, au Liban-Sud. Pour rappel, « l'Union du peuple syrien au Liban » avait repris à son compte l'initiative d'une organisation politique libanaise, le Forum socialiste, d'appeler à un rassemblement mardi soir place Samir Kassir, dans le centre-ville de Beyrouth, pour protester contre les rafles menées par l'armée libanaise dans les campements de réfugiés syriens.
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Depuis la dernière opération militaire menée par l'armée contre deux camps de réfugiés syriens dans le jurd de Ersal, la polémique autour de « la nécessité du retour des déplacés » s'est gravement amplifiée, ouvrant la voie à des accusations de racisme, doublées d'une dangereuse montée en flèche de la tension entre Libanais et Syriens. Une tension dont devaient témoigner...
commentaires (5)
C'est exactement pareil qu'en 75 .... mais cette fois ci ce sont autres protagonistes qui veulent une guerre pour pouvoir pereniser leur présence armee dans le pays des cèdres !!!
Bery tus
16 h 05, le 18 juillet 2017