Le synonyme le plus courant d'exotique, c'est étranger. Ça veut également dire : abracadabrant, anormal, étonnant, étranger, bizarre, curieux, dépaysant, incroyable, inhabituel, insensé, lointain, rare, saugrenu, trouble. L'exotisme fait penser à des contrées lointaines. Des palmiers sous lesquels des Tahitiennes danseraient au son d'un ukulélé. Des fruits qui proviennent d'un pays à l'autre bout de la planète. L'exotique, c'est quelque chose de différent qui vient d'ailleurs. Pour les Libanais, l'exotisme, c'est le Liban. Ce qui peut paraître assez surprenant dans un pays aussi petit. Dans un pays aux si courtes distances.
Tout ce qui est (un peu) loin est une nouveauté, voire une découverte. Saïda, Tripoli, Jounieh, Baalbeck, Marjeyoun. L'Est, l'Ouest (eh oui, certains le disent encore...). Ce n'est pas forcément pour des raisons racistes ou de différence(s). Non, c'est surtout parce que nous sortons rarement de notre zone de confort. Nous sommes confinés chez nous. Avant le tunnel, après le tunnel, avant le Ring, après le Ring. Jamais après Jiyeh, jamais au Sud après Jezzine, jamais à l'ouest de Zahlé. Jame3it el 09, el 07, el 06. On n'a pas de numéro de département, pas de 9-3 au Liban. On a les codes téléphoniques. Et une fois la ville ou la région investie, le voyage commence. C'est qui tous ces chanteurs ? C'est quoi ces restaurants? C'est quoi cette boutique de fringues ? Tiens, faisons un iftar, c'est exotique. Visitons les 7 églises, c'est exotique. Prenons une photo avec un druze de la montagne. Oh, ils parlent français ?
Ces réactions-là ne sont pas seulement l'apanage des Libanais snobinards, des frenchies coucou ou des english educated. Non, ces réactions-là se font entendre partout où quelqu'un se trouve extra-muros. Hors des murs de son minimonde, de son miniquartier, du microcosme dans lequel il gravite. Nous, les Libanais, on pense : eux, les Libanais. Parce que eux, ce n'est pas nous. Les Libanais de la montagne, ce n'est pas nous. Ceux du Akkar, de Dahyé, de New Jdeidé, de Tyr, de Nabatiyé, de Maameltein... ce n'est pas nous. Ce ne sont pas nous non plus, les Libanais qui se foutent du code de la route, les Libanais qui se conduisent mal, parlent mal, parlent fort. Non, eux, ce ne sont pas nous. Et chacun a son nous. Chacun d'entre nous est exotique pour l'autre.
C'est triste. Triste de voir le fossé se creuser de plus en plus. D'une ville à une autre, d'un village à un autre, d'une rue à une autre, d'un immeuble à un autre. D'un étage à un autre. Si des grabuges ont lieu à Tripoli et qu'on vit à Rabieh, ça ne nous concerne pas. Si un charlatan pratique la chirurgie plastique à Rabieh et qu'on vit à Tripoli, ça ne nous concerne pas.
Pourtant, on vit dans le même pays. On parle la même langue. On a les mêmes origines. On a la même histoire, avec différentes lectures certes, mais quel pays n'en a pas?... On nage dans la même mer, on respire le même air, on bronze sous le même soleil, on mange le même taboulé, le même hommos. Et pourtant... pourtant on croit le contraire. On croit que malgré tout ça, eh bien, nous sommes différents. Trop différents pour s'entendre. Comment pourrait-on s'entendre quand on ne s'écoute pas ? Comment pourrait-on croire que dans un lycée de Saïda, les classes de seconde étudient les articles de l'auteure de ce papier? Comment pourrait-on le croire sans y aller ? Sans avoir vu ces élèves parler, décortiquer, critiquer? Comment pourrait-on y croire si on n'a pas entendu ce gamin de 15 ans vous dire btefhamé 3ala rasna. Comment pouvait-on s'imaginer un seul instant qu'entre une quadra francophone d'Achrafieh et un ado arabophone de Saïda, il y avait une telle osmose. Une peur commune de l'avenir et la même tristesse de se croire différent(e)s. Et cette même illusion de se sentir libre alors qu'on est prisonnier de notre rue, de notre quartier, de notre village, de notre ville. Qu'on est enfermé derrière nos frontières virtuelles. Celles de notre cerveau.
Lifestyle - Un peu plus
Nous, les Libanais, et eux... les Libanais
OLJ / Par Médéa AZOURI, le 10 juin 2017 à 00h00
commentaires (5)
QUELLES STUPIDITES !
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 17, le 11 juin 2017