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Idées - Gestion des déchets

À travers les décharges, une renaissance de Linord ?

Elias Azzi. Ingénieur-étudiant en sciences environnementales à l’Institut royal de technologie (KTH) de Stockholm et à l’École polytechnique, stagiaire à Hiram Finance. DR

Une rapide rétrospective au niveau du dossier de la gestion des déchets permet de comprendre pourquoi les autorités sont si peu enclines à prolonger la durée de vie des décharges et à mettre en place une gestion rationnelle des ordures.

Le plan national de gestion des déchets adopté en mars 2016 a été mis à mal un an plus tard (voir L'Orient-Le Jour du 22 avril) : les trois décharges prévues à Bourj Hammoud, Jdeidé et Costa Brava font face à des problèmes dus à l'inexactitude des études préliminaires et/ou à des décisions judiciaires. Le tri et le traitement des déchets n'ont pas progressé du fait que les travaux dans les usines en question n'ont pas été engagés, sachant que des opérations (de tri et de traitement) à quelque 100 000 dollars par jour continuent d'être facturées sans être réalisées.

On en vient donc à se demander pourquoi rien n'est fait pour accélérer le démarrage des travaux à l'usine de Coral (Beyrouth) ou pour trier les matières recyclables et les stocker temporairement, par exemple à proximité des décharges, au lieu de les y enfouir de manière irréversible. Quel intérêt peut-on avoir à remplir au plus vite les décharges au lieu de maximiser leur durée de vie et leur rentabilité financière ? Quels intérêts à saborder notre canot de sauvetage qui nous permet, à grands frais financiers et environnementaux, de respirer un air déjà très pollué par les voitures et les générateurs au diesel, mais exempt de matière organique en putréfaction ?

 

(Lire aussi : Khatib présentera prochainement son plan de gestion des déchets)

 

Seuls des éléments de réponse peuvent être trouvés dans l'histoire du Liban. Dans les années 1980, naissait un projet d'aménagement du littoral au nord de Beyrouth, connu sous le nom de Linord. Ce projet de remblais du littoral, s'étalant sur 200 hectares, de l'embouchure du fleuve de Beyrouth au remblai dit de « Joseph Khoury » à Dbayé (achevé en 1998), prévoyait d'accueillir des logements, des bureaux ainsi que des infrastructures publiques (dédoublement d'autoroute, usine de traitement des eaux usées).

L'issue trouvée à la crise des déchets de 2015-2016 a donc marqué la reprise du projet Linord après deux décennies de veille : les décharges de Bourj Hammoud et Jdeidé sont les premières étapes avant que ne soient probablement remblayées les rives de Zalka et Antélias. Il convient de souligner que si les remblais prévus dans les années 1980 étaient des remblais conventionnels, il s'agit aujourd'hui principalement de nos déchets municipaux.

La logique est irréfutable : plus il y aura de déchets à enfouir, plus les décharges atteindront leur capacité maximale rapidement. Dès lors, pourront commencer les adjudications de terrains, les nouveaux projets immobiliers et autoroutiers, ainsi que la construction de nouvelles décharges.
Il n'y a donc, sous cette hypothèse, aucune incitation à résoudre la crise des déchets.

 

(Lire aussi : Les voisins de la décharge de Costa Brava menacent d’escalade)

 

Sortir de la logique d'urgence
Cela dit, la crise des déchets aura eu le mérite de briser le monopole des poubelles, permettant à de nombreux acteurs de gagner en impact et en visibilité, et de faire naître l'espoir d'une alternative moins corrompue et plus résiliente.

Ayant passé les six derniers mois, dans le cadre d'un stage au sein de Hiram Finance, à étudier la gestion des déchets post-Sukleen, il me semble clair que celle-ci doit reconnaître l'ensemble des acteurs, formels et informels, et que les mesures prises à l'avenir doivent allier besoins de court terme et objectifs de long terme.

Pour ce faire, il faut d'abord sortir de la gestion d'urgence et reprendre un fonctionnement normal des institutions. Cela commence par l'adoption d'un cadre législatif rénové (une proposition de loi est en attente depuis 2004) et par la désignation d'une entité responsable du dossier, qui permettra d'assurer un suivi continu contrastant avec l'actuel flou des responsabilités.

 

(Lire aussi : Déchets ménagers : Que changerait une vision stratégique ?)

 

Une volonté présidentielle providentielle ?
Ensuite, la légitimité de chacun des acteurs du secteur doit être reconnue. Le secteur informel de recyclage, en particulier dans les zones urbaines, traite quotidiennement autant, voire davantage de matières recyclables que le système d'État au meilleur de son histoire (plus de 300 tonnes par jour). Plusieurs municipalités, en zones semi-rurales et rurales, parviennent aujourd'hui à recycler entre 30 et 95 % de leurs déchets, des performances meilleures que celles de l'État.

Il est aussi nécessaire de créer des ponts entre les acteurs : les municipalités et fédérations de municipalités sont plus efficaces à mettre en place le tri à la source et à opérer des centres secondaires de tri et de compostage que l'État qui, lui, est le seul garant de la bonne opération de décharges sanitaires. Ainsi, toute municipalité ayant un meilleur taux de recyclage que le système d'État ne devrait pas se voir fermer l'accès aux décharges pour sa fraction résiduelle de déchets, sous le fallacieux prétexte de la décentralisation totale, mais au contraire être encouragée par une tarification avantageuse reconnaissant ses efforts de recyclage. En ce sens, la décentralisation est un partage des responsabilités en fonction des compétences, mais aucunement un transfert total.

Enfin, il est aussi utile de réclamer la bonne application du plan de mars, c'est-à-dire de s'assurer du bon déroulement des travaux à l'usine de Coral et du tri effectif des déchets, afin de maximiser la durée de vie des décharges. La société civile a su d'ailleurs être une source de propositions à ce sujet. Il faudrait aussi davantage de transparence quant aux sommes versées et aux quantités triées, compostées et enfouies, ce qui pourrait être obtenu grâce à la loi sur le droit d'accès à l'information récemment votée.

En résumé, un an après la sortie de crise, celle-ci ne s'est pas éloignée. Le temps presse, tout reste à faire, mais tous les éléments sont là. Il ne manque plus qu'une volonté politique de changer de système. Une volonté providentielle présidentielle ?

Ingénieur-étudiant en sciences environnementales à l'Institut royal de technologie (KTH) de Stockholm et à l'École polytechnique, stagiaire à Hiram Finance.

 

 

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