Quelques jours après le mouvement des manifestants Kataëb qui ont arrêté par la force les travaux sur la décharge de Bourj Hammoud, et qui ont dressé des tentes à la porte du chantier, Samy Gemayel, chef du parti, a lancé son attaque la plus violente, à cette date, contre le projet. « Une catastrophe écologique et sanitaire qui s'étendra sur dix ans au moins » et dont « l'alternative serait simple, à savoir retourner au premier plan (du ministre de l'Agriculture, Akram) Chehayeb, fondé sur le principe de décentralisation », a-t-il dit.
M. Chehayeb, qui a repris depuis peu les rênes du dossier, n'a pas été épargné par les critiques du député. Celui-ci lui a demandé, entre autres, « comment il peut accepter l'enfouissement de déchets non triés sur la côte sans étude d'impact environnemental ». Ce qui a provoqué une réponse acerbe du ministre, qui a accusé en termes à peine voilés Samy Gemayel de mener cette campagne en vue des élections futures au Metn.
Rappelons que cette décharge, comme celle du Costa Brava, en construction sur le littoral de Choueifat, au sud de Beyrouth, sont les piliers du plan gouvernemental adopté en mars dernier, pour sortir de la crise des déchets qui sévissait depuis juillet 2015. Ce sont des décharges côtières, c'est-à-dire que les déchets y seront enfouis dans des cellules en mer, avec un brise-lames supposé garantir que la pollution n'atteindra pas le large et un remblai de la côte. D'où les critiques qui ont fusé dès que le plan a été annoncé.
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Dans sa conférence de presse tenue hier au siège du parti à Saïfi, M. Gemayel a dit prévoir que « la décharge de Costa Brava ne sera jamais fonctionnelle étant donné sa proximité avec l'aéroport de Beyrouth et le danger que pourraient représenter les oiseaux (attirés par les détritus) pour l'aviation », ce qui signifie, selon lui, que « les déchets de Beyrouth et du Mont-Liban se retrouveront à Bourj Hammoud ».
« La nouvelle montagne s'élèvera à 15 mètres au-dessus du niveau de la mer, rendant le terrain en question inutilisable, a poursuivi M. Gemayel, pour expliquer l'ampleur de la catastrophe. Sans compter qu'après la fin de l'enfouissement, il faudra dix ans au moins pour se débarrasser des gaz et des produits toxiques qui se dégagent de la décharge. Ces gaz seront soit traités par l'incinération, soit lâchés dans l'air, où ils pollueront l'atmosphère. »
Et d'ajouter : « Le parti Kataëb fait face à l'opération de construction du brise-lames en mer, en prévision de l'aménagement de la décharge, parce qu'il veut arrêter le projet à ses débuts. Les solutions sont simples. On veut dépenser aujourd'hui 115 millions de dollars pour la construction d'une décharge – si l'on ne compte pas les indemnités aux habitants des environs, légitimes et estimées à des centaines de millions de dollars – alors qu'on prépare une catastrophe sur dix ans au moins, d'odeurs nauséabondes et de risques sanitaires. »
« Est-ce qu'il faut que ce dossier reste entre les mains d'une catégorie mafieuse et qu'une grande partie des hommes politiques continuent d'en profiter ? Voilà pourquoi vous n'entendez que notre voix, alors que tout le monde devrait protester », a-t-il encore lancé.
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Des cèdres ou des hommes
Le président des Kataëb n'a pas épargné M. Chehayeb au cours de sa conférence de presse. « Je vais me référer aux propos mêmes d'Akram Chehayeb qui a qualifié la mégacimenterie de Aïn Dara d' "usine de la mort", rejetant sa construction du fait qu'elle se trouve près de la plus grande réserve naturelle du Moyen-Orient, la réserve des cèdres du Chouf, et sur des nappes souterraines d'eau, a-t-il dit. Qu'est-ce qui est plus important, une réserve de cèdres ou 350 000 personnes vivant ici ? Avez-vous peur pour les nappes phréatiques là-bas et pas pour les sources souterraines de la Méditerranée et de tout le littoral du Mont-Liban ? Nous ne comprenons pas ces deux poids, deux mesures. Nous vous soutenons à Aïn Dara, pourquoi ne nous soutenez-vous pas au Metn ? »
Il a rappelé au ministre son propre plan de décentralisation de la gestion des déchets. « Pourquoi alors couvrir ceux qui entreprennent ce projet ? » s'est-il demandé.
« Vous, ainsi que le Conseil des ministres, le Parlement et tous les partis, avez remarqué que des marchés douteux sont conclus dans le cadre de ce dossier, a poursuivi M. Gemayel, s'adressant toujours à M. Chehayeb. En tant qu'ancien ministre de l'Environnement, comment acceptez-vous un projet aussi dangereux, sachant que les déchets seront enfouis sans être triés ? Et comment acceptez-vous que ce projet soit mis en route sans étude d'impact environnemental ? » Il a rappelé que les ministres Kataëb s'étaient opposés à l'absence d'une étude d'impact, mais que le Premier ministre n'avait pas tenu compte de leur contestation.
M. Gemayel a également évoqué la campagne pour l'hygiène alimentaire menée par le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, demandant ironiquement à ce dernier si la pollution de la côte qui devrait résulter de l'aménagement de ces décharges « est conforme aux normes », reprenant une expression fréquemment utilisée par M. Bou Faour.
À ces attaques directes, la réponse de M. Chehayeb ne s'est pas fait attendre. Sortant exprès de la réunion du Conseil des ministres, celui-ci a rétorqué que « les ministres Kataëb étaient présents à la réunion pendant laquelle le plan (gouvernemental de gestion des déchets) avait été adopté ». Dénonçant ce qu'il a appelé des « contre-vérités », il a eu cette réponse : « Si les propos de M. Gemayel et son action sur le terrain lui seront utiles pour les prochaines élections, nous le soutiendrons. Toutefois, si ce n'est pas le cas, nous parlerons alors environnement, et à ce moment-là, nous ouvrirons tous les dossiers. » Par ailleurs, un communiqué du bureau de presse du ministre de l'Agriculture a regretté « des attaques contre le plan de gestion des déchets qui n'ont rien de scientifique ni de logique ».
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Enfouissement de 96 % des déchets
Au cours de sa conférence de presse, M. Gemayel a proposé le recours à des alternatives à ce plan gouvernemental, insistant sur ce qu'il considère comme la principale lacune du plan actuel, l'enfouissement de déchets non triés. « Chaque tonne de déchets contient une moyenne de 35 % de produits recyclables, qui peuvent être isolés facilement dans des centres de tri, puis acheminés vers des usines qui les achètent, a-t-il expliqué. Une autre moyenne de 45 % des déchets sont organiques, principalement des restes d'aliments. Ils peuvent être transformés en compost et utilisés dans l'agriculture. Suite à ce tri, on peut ainsi en finir avec 80 % des détritus. Les 20 % restants sont des déchets inertes qui, après traitement, peuvent servir à la réhabilitation de carrières désaffectées, par exemple. »
Mais ce n'est pas ce qui est prévu, selon lui, pour les décharges de Bourj Hammoud et Costa Brava. « Dans un rapport du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), il est établi que la compagnie Sukleen ne trie que 4 % des déchets, qu'elle les vend au recyclage, et enveloppe 96 % des ordures dans des ballots, ce qui signifie qu'elles auront été mélangées avec du plastique, des métaux ou du verre, affirme le député. Ce qui se passait dans la décharge de Naamé se reproduira à Bourj Hammoud. Les ballots y seront transportés, puis ouverts en vue de l'enfouissement, ce qui dégagera des puanteurs pareilles à celles que nous sentions quand les déchets étaient dans les rues, avec une propagation de maladies et une pollution de l'air qui affectera tous les habitants des alentours. »
M. Gemayel a rappelé qu'un brise-lames sur une superficie de 577 000 mètres carrés sera construit, allant de Dora jusqu'au port de Beyrouth, sur une longueur de trois kilomètres. Il a évoqué les indemnités qui seront dues par l'État, selon les déclarations de M. Chehayeb lui-même, pour tous ceux qui vivent dans un périmètre de quatre kilomètres. « Cela signifie que le danger de la décharge est reconnu, d'où notre décision d'arrêter ce projet », a-t-il dit.
Or « l'alternative est simple, il suffit de revenir au plan d'origine du ministre Chehayeb, qui se fondait sur la décentralisation de la gestion des déchets », selon lui. « Dans chaque caza, la fédération de municipalités ou les regroupements de municipalités devraient construire, comme à Bickfaya, un centre de tri doublé d'une petite usine de compostage, a-t-il insisté. Après cela, les déchets inertes ne seront pas une menace pour l'environnement. »
Interrogé sur la position du parti Tachnag, M. Gemayel a estimé que celui-ci tient à la réhabilitation de l'ancien dépotoir de Bourj Hammoud, une exigence que partage le parti Kataëb, mais qu'on lui avait également promis un tri des déchets, ce qui ne sera pas le cas.
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