Ils se sont tous deux donné pour mission de fonder une Turquie nouvelle, à l'image de leurs ambitions. Une république laïque tournée vers l'Occident pour l'un, conservatrice et regardant vers le monde arabo-musulman pour l'autre.
Président de la Turquie de 1923 à 1938, Mustafa Kemal Atatürk a modernisé le pays à marche forcée, notamment en instaurant une république parlementaire sur les cendres de l'Empire ottoman. Au pouvoir depuis 2003, d'abord Premier ministre puis président, Recep Tayyip Erdogan porte un projet islamo-conservateur et aime invoquer la gloire passée des sultans.
Dimanche, les Turcs sont appelés à voter sur un projet de révision constitutionnelle qui renforcerait considérablement les prérogatives du président, un projet dont les détracteurs redoutent qu'il instaure un pouvoir monopolisé par un seul homme. Certains craignent même que cela ne sonne le glas de la république laïque fondée par Mustafa Kemal, dont toute remise en cause de l'héritage est considérée comme un crime de lèse-majesté.
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En autorisant le port du voile dans les institutions publiques et les universités, en encourageant l'ouverture d'un nombre croissant d'écoles "imam hatip", qui mêlent éducation religieuse et généraliste, Recep Tayyip Erdogan tente selon ses critiques d'islamiser la société.
"Tout comme Atatürk a façonné le paysage sociopolitique de la Turquie, Erdogan aussi veut transformer la Turquie, pour en faire une société profondément musulmane", estime Söner Cagaptay, auteur de "The New Sultan" (à paraître, I.B. Tauris), selon lequel "Erdogan est la personne la plus puissante en Turquie depuis presqu'un siècle, et ne rivalise qu'avec Atatürk".
Objectif
"Si quelqu'un vient et supprime les standards démocratiques, ce serait aller à l'encontre de ce qu'espérait Mustafa Kemal Atatürk", met en garde Kemal Kiliçdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP), fondé par Atatürk.
Tout au long de la campagne, M. Erdogan a pourtant invoqué Atatürk pour mieux rejeter les critiques. A l'opposition qui avance que le maintien des liens entre le président et son parti, prévu par la révision constitutionnelle, compromet son impartialité, il rétorque ainsi qu'Atatürk lui-même cumulait les fonctions de chef de l'Etat et du parti, en l'occurrence le CHP.
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Lors de l'acerbe crise diplomatique de mars entre l'Europe et la Turquie après l'interdiction de plusieurs meetings en faveur du référendum, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne, le quotidien allemand Bild avait titré: "Si Atatürk avait été là, il aurait dit non" au renforcement des pouvoirs d'Erdogan. "Ce que nous voulons faire, Atatürk l'avait fait", a répliqué M. Erdogan.
"Il ne faut pas idéaliser le système sous Atatürk", estime Jean-François Pérouse, directeur de l'Institut français d'études anatoliennes à Istanbul. "Le régime de Mustafa Kemal était autoritaire", ajoute-t-il tout en mettant en garde contre des comparaisons, "les contextes étant très différents".
'Un seul Atatürk'
En janvier, le ministère de l'Education a soumis au public un nouveau programme scolaire qui retirait notamment certaines références à Atatürk. Il a reçu 184.042 remarques et plaintes, pour la plupart liées à l'enseignement dévolu au fondateur de la République, avait rapporté le quotidien Hürriyet.
Pour Gülsün Bilgehan, députée CHP et petite-fille d'Ismet Inönü, compagnon d'armes de Mustafa Kemal et deuxième président de la République turque, la levée de boucliers contre cette réforme des programmes scolaires est la preuve d'un attachement à l'héritage d'Atatürk. Cela montre, dit-elle, que la société "n'accepte pas l'effacement de cette histoire".
Yusuf Tekin, sous-secrétaire au ministère de l'Education, avait dû réagir, pour assurer qu'Atatürk garderait une place importante dans le programme scolaire.
Pour Tansel Cölasan, présidente de l'Association de la pensée kémaliste (ADD), le gouvernement veut utiliser l'éducation pour créer une mentalité hostile à la république, "effacer les valeurs de la république, comme la laïcité, les droits des femmes, supprimer la sagesse d'Atatürk et d'Inönü".
"Peu importe ce qu'ils font, Atatürk et la voie qu'il a tracée en tant que fondateur de la Turquie ne peuvent disparaître des esprits", estime néanmoins son vice-président, Uluç Gürkan.
"Erdogan aura certainement une place dans l'histoire, comme Premier ministre et président de la République, mais parmi les autres", affirme Mme Bilgehan. En revanche, "il n'y a qu'un seul Atatürk".
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commentaires (3)
PUTSH ORGANISE... PURGES EN CENTAINES DE MILLIERS... 51PCT... EST-CE UNE VICTOIRE ?
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10 h 04, le 17 avril 2017