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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Pour Erdogan, un « oui » massif... ou rien

Quoi qu'il advienne, dimanche prochain restera probablement considéré comme le jour le plus important de la carrière politique du président turc. Une date-clé dans l'histoire contemporaine de la Turquie.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan saluant ses supporters lors d’un meeting à Istanbul, le 12 avril. Kayhan Ozer/Presidential Palace/Handout via Reuters

Cela ne peut être qu'un oui. Un oui plébéien et déterminé qui lui confierait, sinon les pleins pouvoirs, du moins un statut d'hyperprésident à la mesure de son hybris. Le président turc Recep Tayyip Erdogan ne peut pas imaginer un autre résultat à l'issue du référendum sur la réforme constitutionnelle qui aura lieu ce dimanche 16 avril. L'enjeu est trop important, non seulement pour lui, mais pour l'avenir de la Turquie. S'il gagne, il réalisera sans doute son rêve le plus fou : devenir l'égal de Mustafa Kemal Atatürk dans le cœur de ses concitoyens. Il pourrait alors être officiellement considéré comme le nouveau père de la Turquie, ou plutôt comme le père d'une Turquie nouvelle, pieuse, travailleuse et orgueilleuse, façonnée à son image. Une défaite serait un terrible camouflet, quelques mois après le coup d'État manqué du 15 juillet 2016, attribué par Ankara au prédicateur Fethullah Gülen, où il a failli perdre le pouvoir et la vie. Difficile de savoir comment réagirait dans ce cas-là celui que ses détracteurs surnomment déjà le « sultan ». Même en cas de victoire étriquée du « oui », comme l'annoncent les derniers sondages publiés par la presse turque, la réaction du président pourrait être tout à fait imprévisible, alors que les urnes confirmeraient que la société turque est plus divisée que jamais : tous les scénarios, de l'entêtement à la démission, seront alors envisageables.


(Lire aussi : Que pensent les Turques à l’approche du référendum ?)

 

Ce référendum, il le voulait absolument. Le projet semblait avoir été enterré après les résultats des élections législatives de juin 2015, où l'AKP n'a pas réussi à obtenir la majorité absolue, alors que la question du référendum a été l'un des thèmes majeurs de la campagne. Quelques mois plus tard, durant les élections législatives de novembre, il n'en était quasiment plus question. Entre-temps, la guerre contre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) a été relancée, notamment pour contrer la montée en puissance du parti kurde HDP (Parti de la démocratie des peuples) dans les urnes. Il aura fallu attendre le coup d'État manqué, qu'il qualifie de « don de Dieu », pour que M. Erdogan réaffirme sa volonté de présidentialiser le régime. S'estimant véritablement miraculé et persuadé d'être investi d'une mission divine, le président turc ne va plus cesser à partir de ce moment de durcir son discours et de déclarer la guerre aux derniers garde-fous qui tentent de l'empêcher d'édifier son État autoritaire. Dans sa ligne de mire : les fonctionnaires, dont plus de 125 000 ont été licenciés à la suite d'un vaste mouvement de purge, et les médias d'opposition, accusés d'être à la solde de son ancien allié, désormais ennemi juré, M. Gülen.


Modèle poutinien
Le sultan turc veut un régime présidentiel sans contre-pouvoir. Un régime où l'exécutif devient monocéphale et largement renforcé, sans pour autant qu'il n'ait à répondre de ses actes devant le Parlement, qui se transforme en une simple chambre d'enregistrement. Un régime autoritaire, sans garde-fou permettant de garantir l'État de droit, mais dont la légitimité dépend tout de même des urnes : autrement dit, une espèce de « démocrature », dont la Russie de Vladimir Poutine est sans doute le modèle le plus abouti. Mais contrairement au chef du Kremlin, l'ancien patron de l'AKP doit composer avec une scène politique extrêmement fragmentée, dans un pays où le régime parlementaire peut se prévaloir d'un certain ancrage.

 

(Lire aussi : "Oui" ou "Non" ? La Turquie déchirée avant le référendum)

 

Le président turc sait que le reste du monde va suivre de très près les résultats de ce référendum. Ses relations avec les États-Unis se sont largement refroidies. Celles avec l'Union européenne sont devenues exécrables, au point que l'adhésion d'Ankara à l'UE pourrait être définitivement mise au placard au cours des prochains mois. Celles avec Moscou sont fragiles et imprévisibles, malgré la réconciliation durant l'été 2016, puisque les deux États ont toujours des intérêts très différents sur plusieurs dossiers, notamment en Syrie. Le président turc est aujourd'hui isolé sur la scène diplomatique. La crise syrienne a affaibli son aura, autant qu'elle a réveillé les vieux démons de la société turque. Il est loin le temps de la décennie glorieuse où la Turquie d'Erdogan était présentée comme un modèle de développement économique et de démocratie dans tout le Moyen-Orient. Tout autre résultat qu'une large victoire du « oui » serait aujourd'hui immédiatement perçu comme une marque de faiblesse par ses alliés comme par ses ennemis.
Quoi qu'il advienne, le dimanche 16 avril restera probablement considéré comme le jour le plus important de la carrière politique de Recep Tayyip Erdogan. Et cette journée devrait également faire date dans l'histoire contemporaine de la Turquie. À l'instar d'Atatürk, M. Erdogan a finalement réussi à mêler sa destinée à celle de son pays. Pour le meilleur et pour le pire...

 

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