La manifestation d'hier, qui s'est tenue place Riad el-Solh pour protester contre les nouvelles taxes adoptées par le Parlement en vue de financer la grille des salaires, a mobilisé quelques milliers de personnes, à son apogée vers midi trente. Le rassemblement, auquel a appelé le parti Kataëb, a reçu le soutien du PNL, du PSP, du PCL, du Renouveau démocratique, des indépendants du mouvement du 14 Mars « On continue », ainsi que des collectifs « Vous puez ! » et « Nous réclamons des comptes », de nombreuses ONG et de la liste Beyrouth Madinati, qui avait échoué face à la liste soutenue par les partis politiques, notamment le courant du Futur et les Forces libanaises, lors des élections municipales de 2016.
Désabusés et désespérés, de nombreux Libanais n'ont pas pris la rue, alors que d'autres, armés du peu de courage qui leur reste, sont descendus au centre-ville, certains sans trop de conviction.
« C'est ma dernière cartouche avant que le Liban ne meure en moi. Si cette situation se poursuit, je quitterai les pays. D'ailleurs, tous les jours, je pense à partir », déclare Farah, diplômée en gestion d'entreprise. « Je travaille dans une compagnie où tous mes horizons sont bouchés et mon salaire est épuisé au début du mois », se plaint-elle. « Je manifeste pour mes enfants. J'ai vécu la guerre et j'ai vu que les choses n'ont pas changé. Mais il faut croire au changement, malgré tout. Je veux que mes enfants restent au Liban, je ne veux pas qu'ils partent travailler à l'étranger. C'est comme s'il existait une politique pour nous pousser hors du pays et nous faire remplacer par une autre population, par les réfugiés syriens par exemple », explique pour sa part Édouard, un médecin. « Le tiers du Liban vit au-dessous du seuil de pauvreté. Si vous ne voyez pas les plus pauvres aujourd'hui, c'est parce qu'ils sont à genoux. Et maintenant, ils (les dirigeants) veulent anéantir ce qui reste de la classe moyenne », ajoute-t-il.
(Diaporama : La manifestation en images)
Intervenant à son tour, Sawsan, consultante, s'insurge : « Je suis là parce que je remplis tous mes devoirs envers l'État, en payant entre autres toutes mes taxes, les abonnements à l'eau, à l'électricité... Je travaille comme une forcenée pour pouvoir payer mon assurance-maladie et économiser de l'argent pour ma retraite. Un État qui se respecte doit assurer tout cela à ses citoyens. » Rima, elle, travaille dans une agence de voyages ; elle croit encore au changement. « Si nous sommes un peu désabusés, les jeunes prendront la relève », dit-elle. Quant à Camille, salarié dans une compagnie de pétrole, il explique, un brin d'ironie dans la voix, la raison pour laquelle il prend part à la manifestation : « Je consacre une somme bien précise de mon salaire à la corruption des dirigeants. Je ne suis pas prêt à payer un centime de plus à travers ces nouvelles taxes qu'ils (les députés) viennent de voter. »
« Ce n'est pas une démocratie, mais une oligarchie »
Nadine est urbaniste. Elle estime qu'au Liban, « le sectarisme, qui sépare une communauté d'une autre, n'existe pas. Les gens sont divisés par classes. Les leaders politiques appartiennent à toutes les communautés ». Maha, experte en communication, s'insurge de son côté : « Ce n'est pas une démocratie, mais une oligarchie, presque une dictature. Si seulement la classe dirigeante payait 20 % de ses richesses en taxes, le Liban serait prospère. Il ne faut pas baisser les bras. Il aurait fallu qu'il y ait plus de monde aujourd'hui. » Enaam, venue au centre-ville avec son fils journaliste, sa belle-fille et sa petite-fille, reconnaît que « les Libanais sont démobilisés : cela a commencé après les grandes manifestations de 2005, notamment celle du 14 mars, s'est poursuivi avec la guerre de juillet 2006, l'occupation du Hezbollah du centre-ville, a atteint son apogée avec le vide présidentiel et cela continue... »
Hier, les manifestants appartenaient plutôt à la classe moyenne, laquelle a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Pourtant, la foule n'était pas vraiment homogène et cela même si les manifestants – venus en famille ou entre amis – avaient les mêmes revendications, les mêmes problèmes et les mêmes réponses aux questions posées.
(Lire aussi : Nasrallah : "Nous soutenons avec force la grille des salaires")
Debout sur le toit d'une camionnette, un homme arborant un costume de prophète façon Moïse, aux couleurs du drapeau libanais, tient un micro. Il s'agit de Milad Abou Malhab, qui avait un jour manifesté tout nu à Beyrouth. Hier, avec cette tenue biblique libanisée, il avait rassemblé une bonne audience et interpellé les manifestants : « Vous êtes là pour poster vos photos sur Facebook ; écoutez, c'est une chanson de Julia qui parle de révolution. Et pourtant, la chanteuse a épousé un ministre et habite actuellement dans un château. »
La manifestation a mobilisé d'autres personnes assez hautes en couleur : un jeune homme prénommé Hussein arborant le drapeau algérien est venu place Riad el-Solh avec un immense haut-parleur. « Je suis Libanais mais j'adore l'Algérie. D'ailleurs, c'est là-bas que je voudrais vivre », dit-il, résolu, avouant qu'il n'a « jamais mis les pieds en Algérie », mais qu'il a tout appris sur le pays à travers les médias sociaux, se faisant plein d'amis algériens. « Écoutez, j'ai même appris l'accent. Ce que vous écoutez est un chanson de rap algérien que j'ai moi-même composée », raconte-t-il.
Un peu plus loin, une femme âgée, Kheiriyé, est sur une chaise roulante. Elle porte un drapeau libanais. Elle explique : « Je viens à la manifestation pour me changer les idées et ne pas rester cloîtrée entre quatre murs. Ainsi, je regarde les manifestants et je me fais quelques sous (en mendiant)... Mais regardez, je n'ai collecté jusqu'à présent que 1 000 livres. »
La manifestation a mobilisé aussi des partis très peu connus qui aspirent à une place, ne serait-ce que minime, sur la scène publique libanaise, comme le parti « Sept » ou encore « le Liban prometteur », dont le président, Farès Fattouhi, un illustre inconnu travaillant dans les pays arabes, est arrivé au sit-in dans une grosse 4 x 4 aux vitres fumées.
Un autre rassemblement est prévu mercredi midi place Riad el-Solh.
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commentaires (10)
LE CONFESSIONALISME EST LA BASE DU LIBAN... COMME LE COMMUNAUTARISME ETAIT LA BASE DE LA SUISSE... TROUVEZ LE MOYEN DE DEVENIR UNE SUISSE DU M.O. EST LE MOT D,ORDRE.... TOUTE AUTRE INTENTION OU PERSPECTIVE EST VOUEE A L,ECHEC !
LA LIBRE EXPRESSION
16 h 58, le 20 mars 2017