Pourquoi toutes ces tribus n'arrivent-elles pas à se fédérer en peuple, alors que l'immense majorité de leurs membres souffrent profondément de la même absence, criante, de droits élémentaires (sécurité constamment menacée par les milices et les réfugiés armés, école publique, santé publique, services publics dans leur totalité...) ? Pourquoi toutes ces tribus acceptent-elles, à chaque fois, d'être empêchées, bloquées, littéralement stérilisées ? Pourquoi, également, échouent-elles aussi régulièrement à remplir leur devoir : élire les bonnes personnes et, surtout, exiger des comptes de leurs élus pour, éventuellement, les sanctionner ? Pourquoi la fameuse résilience des membres de ces tribus a-t-elle fini par devenir de la résignation pure ? Sont-elles irrémédiablement maudites, ces tribus, par l'histoire, la géographie, l'ADN ? Le système ? Ou sont-elles juste infiniment incompétentes ?
Il est sans doute temps que nous Libanais comprenions que nous ne sommes pas un peuple. Mais juste une multiplication de tribus, même pas structurées; des conglomérats cimentés par, au choix, l'appartenance à une même confession (ou secte) religieuse, le niveau social, la culture, le mode de (sur)vie, l'adoration d'un zaïm, le lieu d'habitation, ou encore la conviction d'être au cœur d'une minorité (communautaire, identitaire, sexuelle ou sociétale) constamment au front. Des tribus plus ou moins imposantes en nombre et dont les membres virevoltent souvent entre l'une, l'autre ou la troisième ; des tribus partageant, certes, un même drapeau, un même passeport et une même langue maternelle, mais foncièrement incapables de regarder dans la même direction, sans que l'on ne sache vraiment si elles ne le veulent pas ou si elles ne le peuvent pas. Sauf par deux fois dans leur histoire contemporaine : en 1943, pour l'indépendance du Liban, et en 2005, après l'assassinat de Rafic Hariri. Et encore...
Avant-hier le prix du pain, hier les déchets, aujourd'hui les impôts destinés à financer une grille des salaires sclérosée et criminelle : quand ces tribus investissent la rue, cela finit immanquablement dans l'impasse. Parce qu'à chaque fois, l'essentiel de ces tribus n'est pas là. Parce qu'à chaque fois, ce système que nous avons nous-mêmes créé, ces mentalités que décennie après décennie nous acceptons d'ancrer et cette oligarchie corrompue jusqu'à l'os que nous confondons toujours avec démocratie (consensuelle) restent les plus forts. Et gagneront. Jusqu'à ce que ces tribus finissent par : totalement baisser les bras ; disparaître, englouties par un ou plusieurs vampires régionaux ; ou se suicider pour ressusciter en une seule, une tribu-peuple, née de la fusion des noyaux silencieux, mais véritablement résilients, de chaque tribu. C'est là et uniquement là que cette tribu-mère pourra accomplir tout ce dont rêvent ses filles et ses fils ; là et uniquement là qu'elle sera simplement sublime.
On ne naît pas peuple. On le devient.
commentaires (6)
Finalement le Liban ne "sera" qu'une fois devenu laïque avec séparation totale du religieux et du politique. 70 ans et nous ne l'avons tjrs pas appris ... bien qu'il saute aux yeux de voir où on en est arrivé. Triste !
Remy Martin
20 h 07, le 20 mars 2017